Les militants communistes ont voté la semaine passée pour décider du texte qui servirait de base à la discussion de Congrès de juin prochain. Comme de coutume, le document proposé par la direction sortante a été choisi par une majorité de ceux qui se sont prononcés. Mais, cette fois, il n’a obtenu la majorité absolue que pour quelques centaines de voix.
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La chute des effectifs
Les tableaux de résultats publiés par la direction sont intéressants à plusieurs titres. On rappellera tout d’abord que le corps électoral des consultations internes est constitué par les adhérents à jour de leur cotisation. Le nombre des "inscrits" correspond donc au nombre de cotisants réguliers et non pas aux "cartes placées". On peut ainsi étudier l’évolution du nombre de cotisants sur dix ans, de 2006 à 2016 [1]. À l’échelon national, le mouvement officiellement reconnu est le suivant.

Entre 2006 et 2016, le PCF aurait donc perdu presque la moitié de ses cotisants. À l’exception de la Drôme et du Calvados, toutes les fédérations départementales comptent moins de cotisants en 2016 qu’en 2006. En 2006, 26 annonçaient plus de mille cotisants ; elles ne sont plus que 12 en 2016.
65 fédérations perdent moins que la moyenne nationale. Sur ce nombre, 12 revendiquaient plus de mille cotisants en 2006. Dans ce groupe, ceux dont la perte est inférieure à un quart des cotisants sont au nombre de trois (Bouches-du-Rhône, Haute-Garonne, Paris).
30 fédérations perdent au contraire plus que la moyenne nationale ; 13 d’entre elles avaient plus de mille cotisants recensés en 2006. Les pertes les plus spectaculaires concernent le Pas-de-Calais (50% de perte) et plus encore le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis qui sont à un peu moins d’un quart des cotisants qu’ils annonçaient en 2006 !
Le recul est continu de 2006 à 2016. Quels que soient la conjoncture et le choix stratégique, le PC voit son corps militant se rétrécir. Le mouvement est toutefois un peu plus accentué entre 2006 et 2008 (échec du "courant antilibéral", perte de 20%) et entre 2013 et 2016 (difficultés du Front de gauche, perte de 17%). En revanche, il est un peu moins fort entre 2011 et 2008 (perte de 13%) et entre 2013 et 2011 (perte de 7%), soit à des périodes où la dynamique de rassemblement du Front de gauche est la plus soutenue.
Il est vrai que les chiffres antérieurs à 2008 peuvent avoir été exagérément gonflés (en incluant des adhérents pas nécessairement à jour de leur cotisation). Il n’en reste pas moins que la chute est sévère depuis 2008 : le recul est de près d’un quart entre 2011 et 2016 et d’un tiers entre 2008 et 2016.
L’évolution du nombre des votants confirme d’ailleurs le tableau. Si le nombre de cartes placées indique à peu près l’espace d’influence de l’organisation partisane, si le fait d’être cotisant implique un rapport plus continu avec elle, la participation à un vote de Congrès suggère un niveau supérieur d’implication militante.
En 2011, par exemple, la direction communiste avançait le chiffre de 135.000 cartes adressées nominalement aux adhérents, de 69.000 cotisants et près de 49.000 d’entre eux ont participé à la désignation du candidat qui devait être le sien à la présidentielle de 2012 (on se souvient que le choix des militants s’est alors porté sur Jean-Luc Mélenchon).
La présidentielle étant, pour les communistes comme pour l’ensemble des citoyens, un moment d’implication plus intense que d’autres, la participation aux votes internes de Congrès est bien sûr moins attractive. Les chiffres depuis 2006 sont les suivants.

Là encore, la baisse est continue et régulière : entre 2006 et 2016, elle est d’environ 35%, de 23% entre 2008 et 2016, ce qui nous rapproche de l’évolution des cotisants. En 2010, on pouvait estimer que le nombre d’adhérents du PCF pouvait se situer dans une fourchette de 90 à 130.000, on le situerait aujourd’hui entre 70.000 et 100.000. À l’échelle de la gauche politique, et surtout de la gauche de la gauche, il s’agit d’un chiffre plus que respectable ; mais il est en net recul.
La fragmentation
Pendant longtemps, le PCF a cultivé l’image d’un corps homogène, bien soudé autour de sa direction. L’image n’était pas fausse, dans un mouvement communiste qui refuse officiellement les tendances depuis les années 1920. Ce n’est pas que les désaccords aient manqué, mais ils ne s’exprimaient pas. Qui n’était pas d’accord s’en allait, tout simplement, parfois avec fracas, le plus souvent sur la pointe des pieds. On a pu calculer que quatre millions d’individus environ ont adhéré au PCF depuis sa création, en décembre 1920 : une fraction seulement y est restée.
Toutefois, celles et ceux qui demeuraient relevaient d’une culture partisane assez homogène pour susciter l’admiration, la méfiance et l’envie. Ce n’est plus vrai depuis la fin des années 1970 et, plus encore, depuis la chute du mur de Berlin en 1989. Dès lors, des sensibilités différentes se sont exprimées et les nouveaux statuts adoptés en 2001 leur ont même permis de s’exprimer officiellement, au moins jusqu’à l’ouverture du Congrès national.
Depuis 2003, la direction nationale peut donc se voir opposer des textes dits "alternatifs", entre lesquels les adhérents sont invités à trancher. Entre 2003 et 2013, elle s’est trouvée en butte aux assauts de sensibilités dites "orthodoxes", dénonçant les risques de dilution de "l’identité communiste". À trois reprises, la contestation a été vigoureuse. En 2003, après le choc présidentiel de 2002, deux listes – dont une présentée par la fédération du Pas-de-Calais – talonnèrent le choix du Conseil national en regroupant 45% des votes. En 2006, au moment des "collectifs antilibéraux", puis en 2008 alors que se profilait l’ouverture en direction de Jean-Luc Mélenchon, la direction put toutefois redresser la barre en dépassant la barre des 60%.
En 2013, alors que les "refondateurs" avaient quitté pour la plupart le PCF, Pierre Laurent donna même l’impression qu’il avait surmonté la phase d’incertitude en regroupant sur son texte 73% des militants participant au vote. On était alors à l’apogée du Front de gauche, avant les échéances contrastées ouverts par les municipales de 2014. L’année 2016, replonge plus que jamais le secrétaire national dans le tourbillon des incertitudes. Il s’en est cette fois fallu de 375 voix pour que la direction se retrouve en situation de minorité absolue.
On aurait pu penser que le rétrécissement de l’espace militant du PCF aurait renforcé ses courants les plus "identitaires". Ce n’a pas été le cas : les trois textes relevant de cette sensibilité sont même un peu en-deçà (25%) du niveau qu’ils avaient atteint en 2013. C’est donc le texte "Ambition communiste" qui crée la surprise en approchant les 24% des suffrages exprimés.
La majorité de 2013 s’est fractionnée, et cruellement, au détriment de l’actuel noyau dirigeant. En 2006, la direction n’était au-dessous du seuil de majorité absolue que dans 12 fédérations, dans 7 en 2008 et dans 6 en 2013. En 2016, elle l’est dans 34 fédérations. Les fédérations importantes (plus de 1000 cotisants) sont partagées : six ont donné la majorité absolue au Conseil national sortant (Bouches-du-Rhône, Seine-Saint-Denis, Haute-Garonne, Val-de-Marne, Gironde, Hauts-de-Seine), six la lui ont refusée (Paris, Rhône, Seine-Maritime, Hérault, Nord, Pas-de-Calais). Les six favorables regroupent un peu plus de 10.000 adhérents ; les six défavorables en comptent 12.000.
Dans l’ensemble, la direction perd 30% de ses voix de 2013, ne progressant que dans trois départements (Eure, Loire, Haute-Corse). Elle recule plus qu’en moyenne dans 41 départements. Elle perd plus du tiers de ses voix de 2013 dans 30 fédérations, dont le Gard, le Cher, le Val d’Oise, les Hauts-de-Seine, le Puy-de-Dôme, la Dordogne, le Nord et le Pas-de-Calais.
Le texte "Ambition communiste", lui, franchit le seuil de majorité absolue dans 6 départements (Vendée, Aveyron, Morbihan, Yonne, Ariège, Manche). Il fait plus que le tiers dans 13 autres (dont le Val d’Oise, le Gard, la Dordogne, le Cher et les Hauts-de-Seine).
Des décisions stratégiques
Le texte débattu au Congrès sera donc officiellement celui de la direction sortante. Mais sa courte majorité absolue ne masque pas la faiblesse de sa position. On sait la part du réflexe légitimiste dans une organisation qui redoute plus que tout la dissension et l’éclatement. Il n’est donc pas possible de conclure que les 50% de votes favorables disent un accord clair avec la stratégie proposée par Pierre Laurent et ses camarades.
L’enjeu, en fait, est plus délicat que jamais. On peut raisonnablement penser qu’une majorité de militants récuse ce qui, peu ou prou, pourrait annoncer un retour à des formules de "gauche plurielle". Le refus de la politique actuelle de l’exécutif n’apparaît pas suffisant pour dessiner un arc possible de rassemblement à gauche.
Reste à passer de la désignation négative (ce que l’on ne veut pas) à l’initiative positive (le rassemblement autour d’une dynamique et d’une candidature). Pour l’instant, un quart des communistes qui s’expriment continue de préférer une démarche identitaire, pouvant conduire à une nouvelle candidature communiste. Le problème est que cette hypothèse a toutes les chances de conduire à un nouveau désastre.
Un autre quart, en choisissant "Ambition communiste", a dit sa préférence pour une logique prolongeant explicitement celle du Front de gauche, ce qui implique un refus absolu des primaires de "toute la gauche" ou de ce qui pourrait en être un succédané. On a ainsi pu remarquer que, si de nombreux responsables proches du noyau dirigeant actuel ont signé le récent "Appel des cent" à une candidature commune à gauche, aucun des militants impliqués dans le texte "Ambition communiste" n’a cru bon de le faire.
La direction communiste actuelle est désormais à l’heure des choix. Elle peut considérer qu’il est urgent… de ne pas presser le mouvement, qu’il ne faut pas se hâter de choisir un(e) candidat(e), qu’il faut laisser se déployer le mouvement social et débattre d’abord du programme. À quoi il n’est pas difficile d’objecter qu’en si peu de temps, il ne surgira pas d’option politique nouvelle du mouvement social, que voilà des années que l’on débat de programme et que l’on s’accorde sur ses grandes lignes, dès l’instant où la volonté politique s’en fait sentir. La formule "d’abord le projet et ensuite seulement l’accord politique" n’a jamais fonctionné : c’est le désir de rassemblement et la clarté de son périmètre qui ont décidé de son dynamisme, et non pas l’accord formel sur des propositions.
Et il n’est pas non plus très ardu de faire remarquer qu’il y aura vraisemblablement une candidature plus ou moins de type social-libéral et la candidature maintenue d’un Jean-Luc Mélenchon qui s’installe dans les représentations de gauche. Dans ces conditions, toute candidature supplémentaire à gauche se prêtera inéluctablement à la suspicion de division, soit de la gauche tout entière au nom du danger constitué par le Front national, soit de la gauche de gauche à un moment où cette gauche-là peut disputer l’hégémonie à un Parti socialiste désorienté. Dans un cas comme dans l’autre, la voie pour les communistes est sans issue, sauf à se fixer d’ultérieures et très improbables recompositions qui voudraient se situer entre l’esprit "Front de gauche" et le PS actuel.
La direction communiste est ainsi face à un double défi : rassembler des communistes déboussolés et éparpillés ; clarifier pour 2017 une stratégie qui, pour l’instant, semble un peu trop se résumer en un "tout sauf Mélenchon". Si elle maintenait son cap becs et ongles, comment éviterait-elle que le choix in extremis d’une nouvelle candidature commune portée par ledit Mélenchon n’apparaisse comme une capitulation en rase campagne et, ce faisant, comme une nouvelle défaite pour la tradition politique du communisme français ?
Bonjour tout le monde,
merci pour ces 1ers éclaircissements.
Concernant les chiffres, à prendre avec beaucoup de précautions. Ceux d’avant comme ceux actuels.
Je pense que les données actuelles sont plus proches de la réalité que ceux "d’avant". La baisse des effectifs est sans doute moins forte que les chiffres ne le font penser.
J’ai connu des situations (années 70 et 80) où des sections donnaient des centaines d’adhérents comme effectifs et tout les responsables savaient que c’était juste pour être devant d’autres sections ou FD...Idem pour les vignettes ou le muguet. Aujourd’hui, on trouve cela dérisoire ou triste mais cela faisait partie aussi de la culture de parti...
Le texte arrivé en tête est le plus bas score depuis toujours pour la direction, c’est à dire depuis que les statuts autorisent des textes alternatifs. Elle est devant une difficulté majeure : mener le combat interne pour rassembler et mener le débat externe pour crée une alternative au PS. Bon courage...
Je suis déçu du score du texte "FDG", celui arrivé second. Il ne constitue pas une alternative crédible à la direction. 24%, c’est peu.
Bon, espérons que la campagne jlm2017 marque l’opinion publique et règle le problème par le haut.
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