Igor Zamichiei est secrétaire de la fédération de Paris du PCF. Isabelle Lorand est élue de Vitry-sur-Seine. Le vote se déroulera de jeudi à samedi ; les premiers résultats seront à suivre sur @regards_fr ou regards.fr à partir de 16h samedi.
Regards. Il y a six mois, lors du congrès du PCF, vous avez voté ensemble le même texte stratégique. Aujourd’hui vous divergez. Pourquoi ?
Igor Zamichiei. Notre choix de congrès, confirmé à 94% lors de notre conférence nationale, est de travailler à rassembler les forces de gauche anti-austérité, seule voie possible pour battre la droite et l’extrême droite. Or aujourd’hui, ni la candidature de Jean-Luc Mélenchon, ni aucune autre à gauche actuellement déclarée ne propose un cadre politique permettant un tel rassemblement. Le candidat de la France Insoumise va jusqu’à affirmer que cela « empêcherait de fédérer le peuple » ! L’option 2 que je défends vise à désigner un candidat communiste, pour porter dans le débat politique un projet de progrès et de solidarité pour la France et une démarche de campagne qui permettront à la fois de porter les idées communistes et de continuer à travailler une candidature de rassemblement. Ne tirons pas un trait sur tel objectif : les Français commencent seulement à découvrir la violence des projets de la droite et de l’extrême droite. La demande de rassemblement va continuer de monter dans l’électorat de gauche.
Isabelle Lorand. Mon choix en faveur de la candidature de Jean-Luc Mélenchon s’inscrit dans la continuité des idées que je défends depuis un an. Le contexte de 2017 peut être catastrophique. Après l’élection de Trump et le Brexit, on nous annonce un match droite dure / FN avec une gauche en capilotade. La gauche serait réduite aux candidatures de témoignage. Pourtant, je n’ai pas rêvé les Français opposés à la loi El Khomri et à la déchéance de nationalité. Le peuple de gauche existe. Il a besoin que sa colère s’exprime à gauche et il a besoin de représentation politique. C’est pour cela qu’il faudrait une candidature qui redonne l’espoir et qui rassemble de Besancenot à Montebourg. Nous sommes fin novembre. LO et le NPA, EELV et les "frondeurs" sont tous partis de leur côté. Ce que je souhaite ne se profile pas à l’horizon. Dans ce contexte, Jean-Luc Mélenchon apparaît comme le candidat de rassemblement. Des personnalités écologistes disent déjà le soutenir. Des socialistes de gauche le feront. Et aussi, et peut être surtout, l’électorat du Front de gauche le soutient. Pouvons-nous nous couper d’eux ? Mélenchon rassemble déjà au-delà de l’électorat de 2012.
« Désormais, Jean-Luc Mélenchon a tourné la page du Front de gauche au profit d’un très personnel "JLM2017". Son projet n’est plus celui de 2012. » – Igor Zamichiei
Quelle appréciation portez-vous sur la candidature Jean-Luc Mélenchon ?
Igor Zamichiei. En 2012, j’étais heureux de soutenir sa candidature car nous partagions un cadre collectif, le Front de gauche, utile à l’intervention populaire. Désormais, il a tourné la page du Front de gauche au profit d’un très personnel "JLM2017". Son projet n’est plus celui de 2012 comme en témoigne ses déclarations sur l’Europe ou l’immigration. Il revendique un « populisme de gauche », c’est-à-dire une démarche qui, loin de permettre une recomposition de la gauche autour d’une perspective de transformation sociale, pourrait au contraire réduire l’intervention populaire au soutien à sa personnalité et contribuer à étouffer, marginaliser, ce qui reste des forces vives, sociales et intellectuelles, de la gauche.
Isabelle Lorand. Pour unir le peuple de gauche, encore faut-il lui parler, le rencontrer, qu’il vous écoute et vous reconnaisse. Jean-Luc Mélenchon était de toutes les mobilisations et il est identifié comme tel. Ce qui est déterminant en politique, c’est la position "pour ou contre le système en place". Mélenchon est clairement un opposant au capitalisme. On est du même côté et il ne faut pas casser la dynamique populaire qu’il a enclenchée. Et je crois à la politique. Notre parti compte le plus de militants, d’élus. Nous avons cent ans d’âge et un journal : nous pouvons peser. Nous avons construit en 2012 un cadre commun sur une orientation. Nous pouvons le refaire. Il n’y a aucune raison de se soumettre à la France insoumise. « L’union est un combat » reste une idée neuve. Et je note que le PCF a toujours eu de l’influence quand il a été un facteur d’unité.
Que pensez vous de l’idée de présenter un candidat communiste ?
Isabelle Lorand. Les élections intermédiaires indiquent toutes que le Front de gauche est un identifiant politique connu qui donne de l’espoir. Il ne faut pas le casser…
Igor Zamichiei. … mais c’est Mélenchon qui l’a cassé et continue de s’en écarter à cette élection présidentielle.
« Pour la première fois depuis 1969, un candidat de la gauche d’alternative à l’élection présidentielle peut être devant un candidat de l’adaptation. » – Isabelle Lorand
Isabelle Lorand. Ces élections indiquent d’autre part que le PCF seul est à un étiage bas. Nous ne pouvons pas revenir à la situation qui fait suite à 1981, quand le total des candidats de la gauche d’alternative fait 15%, élections après élections, mais ne compte pas, tant ses forces sont éclatées. Faire 15% sur une candidature rassemblée ou 15% sur cinq candidatures n’a aucun rapport… Pour la première fois depuis 1969, un candidat de la gauche d’alternative à l’élection présidentielle peut être devant un candidat de l’adaptation.
Igor Zamichiei. Faire avec la candidature de Jean-Luc Mélenchon un meilleur score qu’un "candidat de l’adaptation", comme tu le dis, ne peut pas être un objectif en soi. Il est possible que cette candidature y parvienne mais, au lendemain de 2017, un tel score peut être inutile à notre peuple car la démarche politique sous-jacente est incapable de rassembler la gauche anti-austérité et de dynamiser l’intervention populaire pour gagner des avancées. Ensuite, si je ne me berce pas d’illusions sur notre score, il n’y a aucune raison a priori d’invalider une candidature communiste ou de la condamner à un score anecdotique.
Isabelle Lorand. Imaginer faire plus que 5% est totalement déconnecté. Je ne conteste pas la légitimité du parti à avoir un candidat. Je suis aussi très attachée aux partis politiques, même si je pense qu’ils doivent changer. Mais je cherche l’efficacité de l’engagement communiste. Je crois que la situation pour le parti et pour nos idées sera plus difficile après un mauvais résultat, en particulier sur le plan financier et sur le nombre de députés communistes
Igor Zamichiei. Pour moi, rendre efficace l’engagement communiste et donner un prolongement au Front de gauche dans la crise politique très profonde que nous vivons, c’est relever plusieurs grands défis [1]. Ces défis ne se résoudront évidemment pas dans l’élection présidentielle, mais une candidature communiste contribuera à les faire progresser, alors que le soutien à Jean-Luc Mélenchon nous en écartera. Quant aux législatives, Mélenchon annonce vouloir présenter 577 candidats de la France Insoumise, y compris face aux députés communistes sortants si nous n’intégrons pas son mouvement… De plus, son orientation politique ne permettra pas de rassembler un électorat de gauche traumatisé par une victoire de la droite et de l’extrême droite, et nous placera dans l’incapacité de remporter des circonscriptions.
« L’engagement communiste qui nous rassemble est bien plus fort que cette différence d’options pour l’échéance présidentielle. » – Igor Zamichiei
Isabelle Lorand. Si nous présentons un candidat à la présidentielle face à Mélenchon, comment justifier que ceux des "Insoumis" se retirent face à nos candidats aux législatives ? À l’inverse, si nous le soutenons, Mélenchon aura du mal à refuser la discussion et le compromis.
Votre désaccord est important. Pouvez-vous vous réconcilier à la suite du vote des militants ? Le PCF est-il au bord d’une crise interne ?
Isabelle Lorand. À mon avis, les communistes sont déterminés à se rassembler sur le choix qui sera majoritaire. Et à faire campagne ensemble. Mais contrairement à ce que certains affirment, il n’y a pas ceux qui sont attachés au PCF, et ceux qui cherchent sa dilution dans je ne sais quelle nébuleuse. Ma conviction est que l’option 2 serait extrêmement préjudiciable à l’avenir du PCF. Et, au-delà, à ce qu’il incarne à gauche : l’articulation entre radicalité et responsabilité, le rapport des intellectuels et du peuple. Ce capital acquis après un siècle d’histoire, d’engagements héroïques et de gestes quotidiens, est si précieux, qu’il est certain que nous serons amenés à questionner les choix que nous aurons faits. Et les conditions d’un avenir prometteur.
Igor Zamichiei. Il n’y a pas de crise interne, car nous vivons un débat démocratique de très grande qualité qui est la meilleure garantie de notre unité. Et aucun de nous n’a la prétention de penser que l’option qu’il défend ne comporte pas sa propre part d’inconvénients et de difficultés politiques. L’engagement communiste qui nous rassemble est bien plus fort que cette différence d’options pour l’échéance présidentielle. Quelle que soit l’option choisie par les communistes, je m’engage personnellement à la respecter.
"De plus, son orientation (JL Mélenchon) politique ne permettra pas de rassembler un électorat de gauche traumatisé par une victoire de la droite et de l’extrême droite, et nous placera dans l’incapacité de remporter des circonscriptions."
Voilà bien ce qui nous oppose de la ligne ortodoxe/huetiste du PCF, affirmer d’un côté leur infaillible pureté idéologique et être disposé à s’allier avec le PS libéral pour gagner (quelques sièges) ou les conserver, de députés. On pourrait effectivement voir des candidats Insoumis s’opposer à ceux du PCF. Ce serait le seul moyen (démocratique) pour trancher le débat.
À lire les écrits de ceux des communistes opposés avec la candidature de JL Mélenchon, à l’exemple de la commission économique du PCF (propos indignes), je ne pense pas qu’ils appelleront, de toute manière, à voter pour JL Mélenchon, et encore moins qu’ils feront la campagne tout court. Ils ne l’avaient déjà pas fait en 2012.
Pour notre part, il n’est pas question de faire disparaître qui que ce soit et surtout pas le PCF. Malheureusement, il s’en charge très bien tout seul.
Un socialiste est plus que jamais un charlatan social qui veut, à l’aide d’un tas de panacées et avec toutes sortes de rapiéçages, supprimer les misères sociales, sans faire le moindre tort au capital et au profit.
(Friedrich Engels
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