Entre 36 et 68 perturbateurs endocriniens identifiés dans les organismes de sept personnalités de l’écologie [1] : c’est le résultat spectaculaire de l’étude menée par l’association Générations futures en collaboration avec le réseau EEHI. Pesticides, bisphénols, phtalates et PCB se retrouvent donc en nombre chez des personnes dont le mode de vie est pourtant susceptible de leur valoir une moindre exposition.
Une telle démarche n’est pas une première, mais elle a le mérite de dire de manière très parlante le degré d’imprégnation générale par ces substances qui font peser sur la santé humaine des risques de plus en plus attestés. Mais l’Union européenne continue de protéger les intérêts des industriels plutôt que ceux de ses citoyens.
Les perturbateurs endocriniens : qu’est-ce que c’est ?
Un concept assez récent. Même si les premières investigations scientifiques datent des années 70, le terme a été forgé en 1991 sous l’égide de l’épidémiologiste américaine Theodora Colborn pour désigner toutes les molécules et agents chimiques composés qui ont pour propriété de mimer, bloquer ou dérégler le comportement des hormones agissant dans les systèmes vivants, induisant donc chez ceux-ci perturbations et déséquilibres [2].
Cette altération induit une très vaste gamme d’effets délétères sur la santé humaine : cancers, diabètes, obésité, malformations génitales, troubles de la reproduction, baisse de la fertilité, pubertés précoces, atteintes au développement du cerveau, troubles neurocomportementaux, maladies cardiovasculaires, etc.
Comment agissent-ils ?
Insidieusement. C’est-à-dire, le plus souvent, au travers d’une exposition à faibles doses et dans le long terme, ce qui induit un changement de paradigme toxicologique : ce n’est plus la dose qui fait le poison, mais l’exposition prolongée et combinée à ces substances. L’imprégnation par de multiples molécules (l’"effet cocktail") augmente les risques en même temps qu’elle rend plus difficile leur évaluation et l’attribution des causes des pathologies.
En outre, pour une part, les conséquences ne sont pas immédiates, mais peuvent s’étendre sur plusieurs générations avec des effets mutagènes et reprotoxiques, la chute de la fertilité et la baisse du quotient intellectuel moyen. Enfin, des populations sont particulièrement exposées au risque : fœtus via l’exposition in utero, enfants en bas âge, adolescents.
Où sont-ils ?
Partout : dans l’eau, l’air, les sols, les organismes vivants et une infinité de produits de consommation courante (cosmétiques, matériaux plastiques, meubles, revêtements, peintures, détergents, etc.). L’être humain y est donc exposé en respirant, en mangeant ou en buvant, mais aussi au contact de son milieu domestique et professionnel. Le développement de la chimie de synthèse et l’utilisation de dizaines de milliers de molécules – qui génèrent une multitude de produits de dégradation – a contribué à leur extrême dissémination dans les milieux naturels et artificiels.
L’homme, qui a longtemps pensé l’environnement comme extérieur à lui pour mieux l’arraisonner et l’exploiter, se réveille plongé dans cette soupe chimique qui contamine tous les milieux et toute la chaîne alimentaire. Au point que l’organisme humain en est profondément imprégné.
Combien ça (nous) coûte ?
Très cher. Au-delà du coût humain et environnemental, une série d’études a estimé en 2014 que l’exposition aux PE coûtait 157 milliards d’euros chaque année aux économies des pays de l’Union européenne. Et encore s’agit-il d’une estimation basse compte tenu de la méthodologie retenue, très prudente, et du manque de données. En octobre, une étude évaluait (là encore a minima) à 340 milliards de dollars l’impact annuel aux États-Unis. Les coûts pour les générations futures sont quant à eux incalculables.
Que fait-on contre ?
Le minimum. L’Union européenne et différents pays comme les États-Unis, la France ou l’Allemagne ont certes engagé des programmes d’envergure pour évaluer les effets sanitaires et réformer les règlementations, mais leurs ambitions se heurtent au lobbying intensif des industries agrochimiques et pétrochimiques… et à la complaisance des pouvoirs publics et des élus.
Comment les lobbies retardent-ils les évolutions réglementaires ?
Par un lobbying incessant, pardi. Les industriels ont ainsi déployé des moyens considérables pour retarder aussi bien la prise de conscience que les indispensables évolutions réglementaires, s’accrochant par exemple à l’évaluation du danger au travers des seuils toxicologiques, pourtant obsolètes.
En novembre dernier, une centaine de scientifiques ont dénoncé la « fabrication du doute » et la « manipulation de la science » qui « ont retardé des actions préventives et eu de graves conséquences pour la santé des populations et l’environnement ». Constatant que les effets sanitaires des PE sont souvent irréversibles, que les traitements sont rares et que les possibilités de réduire l’exposition sont limitées, ils estiment que la « seule solution pour enrayer la hausse des maladies liées au système hormonal » réside dans une réglementation plus contraignante. Mais, comme auparavant pour le tabac ou le changement climatique, ce projet « est activement combattu par des scientifiques fortement liés à des intérêts industriels, produisant l’impression d’une absence de consensus, là où il n’y a pourtant pas de controverse scientifique ».
[Lire aussi : Annie Thébaud-Mony : « À chaque nouvelle preuve, les industriels lancent des contre-feux »]
Comment Bruxelles capitule devant l’industrie ?
En se soumettant à ces stratégies d’enfumage des industriels. Notamment en cautionnant les stratagèmes sémantiques de ces derniers. Par exemple, en novembre dernier, la Commission considère les PE « comme tout autre produit chimique préoccupant pour la santé humaine ou l’environnement » afin d’éviter une réglementation trop restrictive (pour les profits du secteur). Au printemps, c’était un fumeux « critère de puissance », sans fondement scientifique et directement issu de la communication des industriels, qui semait le trouble. En décembre, la Commission a ajouté un alinéa retors à la proposition de réglementation sur les PE – déjà retardée de trois ans – introduisant de nouvelles dérogations pour les pesticides. Le texte n’a pu être adopté faute de majorité, mais il doit être de nouveau présenté le 28 février dans une nouvelle version à peine améliorée.
On retrouve à chaque fois, à peine dissimulée, l’action d’industriels hyperactifs à Bruxelles [3] qui poussent efficacement à négliger la protection des populations. Sur le dossier voisin des expositions professionnelles à des substances cancérogènes, une enquête du Monde révèle aujourd’hui que quinze des vingt experts sélectionnés par la Commission sont liés à l’industrie… Les autorités européennes continuent d’invoquer de supposées incertitudes scientifiques pour s’éviter une réelle application du principe de précaution : dans les scandales sanitaires, il est malheureusement d’usage que seul un nombre substantiel de victimes avérées constitue une "preuve scientifique"…
Et il y a encore des politiciens ignares et imbéciles, ou tout bonnement achetés, pour vouloir rester dans cette "Europe", pour vouloir "plus d’Europe" ?! (Et d’autres qui font semblant du haut de leur château, mais se fichent bien du service public de santé...)
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