place de la Nation, 1er mai 2016 – photo Adrien Gueydan.
Accueil > Société | Par Benjamin Birnbaum | 3 mai 2016

Pourquoi il faut interdire le gaz lacrymogène

Interdit comme arme de guerre, mais pas pour ses usages "civils", le gaz lacrymogène est d’autant plus dangereux qu’il est utilisé de manière irresponsable. Notamment en France, pays exportateur de ce produit et de son savoir-faire répressif…

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Alors que la police utilise massivement le gaz lacrymogène à l’encontre des manifestants opposés à la loi travail il convient de s’intéresser de plus près à cette arme. Un examen dont résulte la nécessité d’interdire largement son usage pour protéger la population. Une mesure qui devrait accompagner la campagne en cours pour l’interdiction du flashball.

Une arme chimique illégale en temps de guerre

Il est généralement admis que les Mayas ont été les premiers à utiliser le gaz lacrymogène comme arme de guerre pour se défendre contre les colonisateurs européens en 1605. Toutefois, son usage s’est véritablement répandu pendant la Première guerre mondiale. La France, ayant découvert un intérêt militaire au gaz lacrymogène dès 1905, l’a d’abord utilisé contre les troupes allemandes en 1914, le gouvernement allemand a ensuite ordonné à ses soldats de riposter avec des armes encore plus toxiques.

Après la guerre, les conventions de Genève ont successivement banni ces armes dans le droit de la guerre. Par contre, l’usage à l’encontre des civils est resté légal. Dans les années 1960 les pays soi-disant communistes ont proposé une interdiction totale. Lorsqu’en 1993 la Convention sur les armes chimiques a enfin été signée on y trouve à nouveau des exceptions pour l’usage domestique du gaz.

Une arme extrêmement dangereuse

D’après une étude de l’université de Yale, le gaz lacrymogène n’a pas seulement des effets irritants : il s’agit surtout d’un gaz neurotoxique. Ainsi, le contact avec ce gaz ne provoque pas seulement des douleurs immédiates, mais l’exposition prolongée au gaz lacrymogène peut causer des problèmes respiratoires sérieux, voire des crises cardiaques comme on peut le lire dans le Journal of the American Medical Association. Ces effets sont renforcés chez des enfants (que la police a par exemple gazés lors de la manifestation du 1er mai à Paris). Chez des femmes enceintes, il peut provoquer des fausses couches et s’avère mortel pour des personnes souffrant d’asthme ou d’autres problèmes bronchiques.

Le gaz lacrymogène peut non seulement asphyxier des adultes – comme l’atteste l’AFP – mais les tirs de gaz lacrymogène peuvent également provoquer la mort : deux cas en récents en Palestine le démontrent. Par ailleurs, le médecin Sven-Eric Jordt indique que personne ne connaît les effets à long terme de l’exposition au gaz lacrymogène, mais souligne que, dans l’immédiat, il cause des blessures significatives et cela alors que son usage par la police semble se normaliser.

En France la police l’utilise clairement de manière irresponsable : depuis le début de la lutte contre la loi travail – et sans parler de Notre-Dame-des-Landes – elle gaze à grande échelle et notamment les lycéens. Le jeudi 28 avril, elle est allée plus loin en gazant d’abord l’intérieur de la station de métro Nation pour ensuite fermer les sorties – quelques minutes plus tard, la RATP a lancé un premier appel à secouristes –, et le 1er mai elle a encerclé la tête du cortège avant de le gazer.

Que faire face au gaz lacrymogène ?

Il existe environ quinze types de gaz lacrymogène. Alors que les producteurs donnent généralement beaucoup d’informations sur la toxicité et les conséquences potentiellement graves provoquées par leurs produits, ils sont étonnement muets concernant le comportement à adopter une fois exposé au gaz. En principe, pour s’en débarrasser il faut de l’air frais ainsi qu’un nettoyage des yeux et autres parties du corps. Cela implique de pouvoir circuler librement, chose que cette police même, qui gaze, empêche souvent.

Dans le cadre de mobilisations fortes comme à Gezi (Turquie), à Syntagma (Grèce), à Tahrir (Égypte), à Ferguson (États-Unis) ou en Palestine les militants conseillent également des masques, voire de brûler des pneus ou poubelles puisque le feu consume le gaz dans l’air. Des militants de Tahrir ont également conseillé de nettoyer les visages avec du Coca et d’autres recommandent du sérum physiologique. Mais le fait est que, dans certaines situations, comme à Gezi, la police a fait usage de différents types de gaz : ainsi le traitement contre un type de gaz est-il susceptible d’aggraver les effets d’un autre type.

Répression et commerce de concert

Le marché de ces armes "non-létales" est estimé à plus de 1,6 milliard de dollars, avec un fort potentiel de croissance dans les années à venir. La France figure parmi les pays qui profitent fortement de ce marché. Ainsi, dans le cadre des révolutions arabes, le gaz lacrymogène français a servi à mater la révolution de 2011 au Bahreïn et a causé la mort d’au moins trente-neuf personnes selon l’ONG Physicians for Human Rights.

Face à l’accusation de participer indirectement à des violations des droits humains, la France a officiellement arrêté de fournir des armes à la dictature au Bahreïn tout en se réservant des voies alternatives : soit en livrant à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, alliés du régime au Bahrein – un marché qui vaut plus de trois millions d’euros – soit en vendant directement à la dictature mais sous une licence d’exportation différente. De même, le gouvernement français a autorisé l’envoi de gaz lacrymogène au dictateur Ben Ali alors que le peuple tunisien avait déjà commencé le soulèvement de 2011.

La France, exportatrice de "savoir-faire"

En plus des livraisons d’armement la France se considère comme un exportateur de compétences en "gestion de foules", qui forme les forces répressives étrangères. Afin de rendre crédible l’offre français en matière de répression, la France a régulièrement besoin de prouver l’efficacité de ses armes et de sa police. Dans ce contexte, l’entreprise Civipol qui vend un « véritable savoir-faire français » de conseil et des formations reconnaît que la répression des quartiers populaires de 2005 a nettement fait progresser les contrats liés au maintien de l’ordre.

En 2008, juste après la répression des émeutes au Tibet, la Chine a reçu une délégation de la gendarmerie française pour former des policiers, tout comme la France a formé la police du dictateur Moubarak en Égypte et des CRS en Afrique du Sud qui, lors de la grève à Marikana de 2012 ont tué trente-quatre ouvriers. Ainsi, les soi-disant débordements lors des manifestations contre la loi travail ne sont pas seulement organisés par l’Etat à des fins immédiatement politiques, mais ils rapportent des profits.

Vers l’interdiction du gaz lacrymogène

Compte tenu des dangers inhérents au gaz lacrymogène, le groupe parlementaire de Die Linke a présenté en 2011 – à la suite de la répression massive du mouvement social et écologiste contre le projet Stuttgart 21 – une proposition de loi visant à largement interdire le gaz lacrymogène. Leur proposition prévoit de prohiber son usage sauf en cas de danger pour la vie d’un policier ou d’autrui et implique qu’à chaque fois la personne ayant eu recours à cette arme soit identifiable.

Alors que nous sommes dans un contexte de lutte et de répression similaire cette mesure est urgente pour protéger les manifestants et permettre à la majorité de la population – qui est opposée à la loi travail – de s’exprimer librement.

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Vos réactions

  • Je suis tout à fait d’accord, le gaz lacrymogène devrait être interdit, quand on voit la police l’utiliser systématiquement dans les manifs ( parfois à quelques centimètres du visage), c’est aussi violent que les coups de poings et de pieds qu’ils donnent, là aussi très couramment, de préférence aux manifestants au sol ou menottés...c’est vraiment insupportable !
    Il serait intéressant de pouvoir recenser le nombre de gens ayant souffert d’effets secondaires au gazage, le type de leurs blessures et la gravité de celles-ci.
    L’article indique que ce gaz est neurotoxique, mais dans les effets secondaires connus, on ne décrit jamais de troubles neurologiques ( ex : dysesthésie ou paresthésie), est-ce parce que cela n’a jamais été constaté ?
    Merci

    Flo Le 4 mai 2016 à 01:20
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  • D ailleurs dans le langage courant je m escrime a employer et faire employer l expression arme chimique ou gaz de combat plutôt que gaz lacrymogène. Faut pas banaliser cette saloperie, son usage.

    molly mc guires Le 4 mai 2016 à 10:37
  •  
  • Leur lien pour la neurotoxicité n’a aucun rapport avec ça. Soit c’est des manches, soit ils se trompent sans le savoir, soit c’est des manipulateurs. Déjà il faudrait dire de quel gaz on parle. En France c’est le CS.
    J’ai cherché brièvement sur le net, je penche plutôt pour une des 2 dernières explications. (voir "cs gas" sur wikipédia, section toxicité)

    clkluigi Le 4 mai 2016 à 14:19
       
    • "En France c’est le CS."
      Non, en France trois gaz différents, dont le CS, sont d’emploi courant. On parle du reste en langage usuel de "gaz lacrymogène", de "gaz poivre" et de "gaz irritant". Mais les formules chimiques utilisées en France sont bien supérieures au nombre de trois.

      Pour ma part j’ai vu notamment l’emploi d’un gaz non identifié qui laisse une pellicule grasse très rémanente (plusieurs semaines) qui résiste au lavage du linge, impose de jeter tous les vêtements contaminés et oblige à laisser les locaux ouverts durant plusieurs semaines pour une ventilation dynamique après un lessivage soigné et répété avec des produits fortement dégraissants.

      Un partageux Le 5 mai 2016 à 08:16
  •  
  • J’ai trouvé une bombe lacrymo appartenant à "l’unité" 4B à la manifestation de dimanche, boulevard Diderot à Paris. Voilà ce qu’il y avait écrit :
    "Chlorobenzylidene malononitrile
    Renferme du dichloromethane effet cancérigène suspecté"

    Il était précisé qu’il ne faut pas pulvériser à moins d’un mètre du visage (et que si cela arrive, il faut consulter un médecin gnagna)
    C’est une véritable arme de guerre très sournoise. Son usage démesurément banalisé de ces derniers mois est extrêmement inquiétant.

    Cess Le 5 mai 2016 à 01:45
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  • Je trouve l’article assez mal nommé... Il parle de l’interdiction du gaz en général mais semble plutôt faire le réquisitoire de la police francaise (qui, malintentionnée ou non, mal informée ou non, mal dirigée ou non, sait bien plus ce qu’ils font que les "autres".) Les autres, ce sont les civils qui font usage des bombes lacrymogènes. On peut toujours marquer "Defender" dans le titre ou indiquer "utilisable dans les cas de défense" et autres "Arrêtez votre agresseur", il reste utilisé dans nombre de cas de braquages ou de vols aggravés, parce qu’il est libre d’accès, légal, bon marché, et bien plus efficace dans les mains d’un agresseur que dans celles d’une victime...
    Attention, je ne défends pas l’usage du gaz par la police. Je suis d’accord avec l’article, je tenais juste à souligner une omission pour moi loin d’être bénigne.

    Julie Le 5 mai 2016 à 11:27
       
    • Une différence fondamentale à mes yeux : il y aura toujours des individus qui se comportent mal, qui agressent, qui volent. Mais accepter que notre police, qui est là pour notre sécurité, se permet d’utiliser des armes de guerre contre nos enfants ! Il y a là une rupture du contrat qui lie la police à la population.

      Fabiana Le 19 mai 2016 à 20:30
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  • bonjour, j’ai respiré bien à mon insu beaucoup de gaz tiré par cartouches lors de la manif du 28 avril à lyon. Pendant les trois journées suivantes je me suis beaucoup mouché, et à chaque fois, chaque fois, c’était du sang qui sortait. Mes lèvres étaient irritées comme lorsqu’on prend un coup de soleil sur le visage.
    Bref, ça attaque dangereusement les muqueuses.
    Comme beaucoup et comme dirait un enfant : "je n’ai rien fait", je manifestait civiquement pour défendre mes droits.
    Je ne comprends pas pourquoi m’être fait attaquer au gaz.
    merci pour cet article, et merci au commentaire parlant d’ arme chimique, terme adéquate.

    david Le 6 mai 2016 à 14:53
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  • Je m’étonne qu’aucun relais n’est fait ici sur les camarades cgtistes de la police qui viennent de communiquer sur ces casseurs et les attitudes pour le moins ambigües qu’ils dénoncent de leur "haute hiérarchie".

    êtes-vous soutien du gouvernement ? êtes vous l’allié de ces casseurs ? Ou plus simplement cela nuit -il à votre rhétorique d’une pensée non-objective ?

    Vous me paraissez de piètres révolutionnaires, des orthodoxes d’une pensée en panne.

    La Renaudie Le 17 mai 2016 à 08:16
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