Bornée par l’échéance proche de la "primaire de la droite et du centre", redémarrant en pleine hystérie de la polémique sur le burkini, la rentrée politique s’annonçait rude du côté de la droite, et la compétition entre les têtes de gondoles de l’ex-UMP présageait quelques surenchères.
À leur décharge, les "Républicains" peuvent invoquer la tectonique des plaques politiques : poussés par une gauche de gouvernement qui se droitise allègrement (lire l’encadré ci-dessous) et tirés par une extrême droite qui remporte la mise sans avoir à dire quoi que ce soit, ont-ils d’autre choix que d’adopter une hiérarchie des préoccupations qui place au sommet la trilogie des "3i" : identité-islam-immigration ? Donnant ainsi crédit à la "politique du moins pire" à laquelle se bornera l’ambition politique du PS en 2017.
Récit national et flamme française
Le parti a notamment ainsi recouru à ses racines (chrétiennes) pour chercher des nutriments dans un terreau qu’il ne renie plus. Revoici donc le « récit national » que François Fillon veut resservir aux écoliers – plutôt que de leur tournebouler l’esprit en y instillant le poison du sens critique et de l’autonomie de pensée. Les programmes d’histoire pervertis par les soixante-huitards constituant un filon appréciable, François Fillon trouve également opportun de réhabiliter les vertus du colonialisme, s’offusquant que l’on reproche à la France d’avoir simplement « voulu faire partager sa culture aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Nord ». Ingrats.
À ce sujet, Nicolas Sarkozy ressort de son tiroir la « repentance permanente ». Il y a aussi trouvé un briquet : « Nous allons gagner parce que nous sommes décidés à rallumer la flamme française. (...) La vieille, la noble, la sublime flamme française qui ne s’est jamais éteinte et qui ne s’éteindra jamais », lance-t-il. On est à deux doigts de la « flamme sacrée » qui ouvre un certain hymne. « L’héritage », qu’il estime être « l’un des plus beaux mots de la langue française » (peut-être pour appuyer sa volonté de baisser les droits de succession), l’ancien président de la République ne crache pas dessus. Un héritage bonapartiste qui le voit se présenter en « candidat du peuple de France » contre les élites, les « nouveaux bien-pensants », les « minorités qui gouvernent » et qui exercent même une « tyrannie ».
L’ordre du temple scolaire
De l’Empire à la République autoritaire, il n’y a qu’un pas : Sarkozy veut imposer à « tout jeune de dix-huit ans qui n’aura pas d’emploi ou de formation » un « service militaire où il apprendra à se lever tôt, à respecter la discipline et même à parler français ». Même. Dans le registre caporaliste, Jean-François Copé a des munitions : à l’école, ce sera « uniforme pour tous, lever du drapeau, chant de la Marseillaise ». En effet, « on a naïvement cru que l’amour de la France se transmettrait seul, comme par enchantement (…) alors que le patriotisme n’est pas inné, il s’acquiert, s’apprend, s’enseigne ». L’amour obligatoire, ce qui dit quelque chose de la capacité de séduction de la patrie.
Le "petit" candidat Geoffroy Didier, déjà promoteur des "tests de radicalisation" dans les collèges et lycées, se pose décidément en spécialiste de l’éducation. Il propose des « cours de politesse, de valeurs de la République et de culture française ». De la France, il faut inculquer « son mode de vie (de la baguette de pain qui symbolise la France dans le monde à ses racines chrétiennes qui font son identité culturelle) ». De la boulangerie à l’église : rendez-vous sur la place du village.
John Wayne vs Attila
Uniforme à l’école, aussi, pour François Fillon – qui aimait grimper dans des chars Leclerc et des Rafale quand il était premier ministre. L’époque étant à la guerre, il s’agit aussi de prendre des poses pas moins martiales que le couple exécutif actuel. Le politologue Éric Ciotti l’a bien dit : « La prochaine élection présidentielle se jouera sur la façon de protéger les Français, et sur la capacité à être un chef de guerre. Cette question sera essentielle, bien avant celle du chômage ». Sarkozy l’a entendu : « La guerre c’est la guerre, il faut vaincre, il faut écraser nos ennemis ». Et « La France doit rester la France », même si son libéralisme lyrique le conduit à invoquer la conquête de l’Ouest et John Wayne – acteur réactionnaire qui a souvent incarné des justiciers expéditifs.
En attendant, il faut mettre au pas la « cinquième colonne » chère à Christian Estrosi. Nadine Morano tonne : « Celle qui porte un voile intégral et qui récidive, je lui supprime ses allocations. Si elle est étrangère, je l’expulse ». Elle-même, semble-t-il. Bruno Le Maire est, sans mal, plus subtil. Il parle de « culture » française, par exemple. Il soigne sa différence. Alors que les autres candidats à la primaire sont, à La Baule, tombés sur Christiane Taubira, lui s’est choisi pour cible… Najat Vallaud-Belkacem, « Attila de l’Éducation nationale » qui « propose qu’on apprenne l’arabe en CP ». Frissons garantis dans l’assistance.
Haro sur les assistés
Car à droite, on s’indigne aussi. Principalement contre ceux qui abusent de la générosité nationale (pas les évadés fiscaux, NDLR). Jean-François Copé tape du poing sur la table : « Le PIB, c’est 30% pour le social et 3% pour la sécurité. (…) Il faut inverser les tendances ». Aiguillonné, Nicolas Sarkozy demande « la suppression de l’Aide médicale d’État et qu’aucun étranger ne bénéficie de prestation non contributive avant cinq ans ». Mais ce n’est pas xénophobe : « Le peuple de France n’est pas xénophobe parce qu’il considère qu’il a un problème avec l’immigration ». Qu’est-ce que vous allez chercher là ?
Bruno Le Maire ne craint pas de jouer d’une vieille scie contre l’allocation de rentrée, qui « alimente les rayons hi-fi des supermarchés du coin ». Candidat d’une synthèse trans-droites, le "troisième homme" ne néglige pas les fondamentaux.
Dans ce casting, force est d’admettre qu’Alain Juppé se distingue. Le « bonze de Bordeaux », candidat de « la France heureuse », croit en l’adage de la présidentielle qui se gagne au centre, avec modération. Pas sur le plan économique, évidemment, et en donnant des gages d’autoritarisme dans son programme : lutte contre la criminalité, construction de 10.000 places de prison, encadrement du droit du sol, réécriture des accords de Schengen… Face à lui, Nicolas Sarkozy tient à affirmer qu’il ne sera pas « le candidat qui propose un peu de droite et un peu de gauche », c’est-à-dire, dans une sorte d’aveu qui vaut aussi pour ses autres rivaux [1], « pas le candidat du juste milieu ».