Fred Sochard
Accueil > Culture | Par Loïc Le Clerc | 24 avril 2015

Rap et islam, l’histoire d’une conversion

Alors que Booba "clashe" Charlie Hebdo : l’affirmation de la foi ou la critique de l’islamophobie ont pris une place prépondérante dans le discours de nombreux rappeurs. Quels sont l’ampleur et le sens de cet engagement ? Réponses en musique.

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Article extrait de "l’enquête sur l’engagement des jeunes" dans le numéro de printemps de Regards.

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En parlant de rap, on a tendance à tomber dans l’éternel mantra : « C’était mieux avant. » Sans y souscrire, une remarque, au moins, s’impose : où sont passés les rappeurs engagés et areligieux ? Où sont les Sniper, NTM, La Rumeur, qui occupaient les ondes avec des messages à teneur politique sans passer par le religieux pour s’exprimer ? Car depuis quelques années, la revendication s’est discrètement déplacée vers la référence au fait religieux. Ils se nomment Kery James, Abd Al Malik, Ali, Médine. Qu’ils soient de la jeune génération ou de l’ancienne, leur lien commun, au-delà du rap, c’est l’islam.

Certes, cette affirmation de la foi, musulmane ou autre, est très minoritaire dans le hip-hop français. Et même parmi les artistes évoqués ici, si l’islam berce leurs vies quotidiennes, s’ils prêchent la paix ou luttent contre l’islamophobie, le message religieux reste rare. Mais c’est bien l’islam qui les rapproche. Une religion, et autant de manières de l’évoquer, à des fins parfois bien différentes.

L’affirmation d’une appartenance stigmatisée

Le phénomène n’est pas nouveau. Déjà en 1996, Yazid, ancien membre du groupe NTM, rappait dans Islam : « Religion que le monde repousse et blâme. Blasphémé par des simples d’esprit dénués d’âme. Trop souvent musulman est synonyme de Coran. Trop de gens l’interprètent mal, sont ignorants. » Ali, lui, cela fait quinze ans que le grand public le connaît : il était le comparse de Booba, à l’époque du groupe Lunatic. Il vient de sortir son troisième album, Que la paix soit sur vous, promis à un succès commercial mesuré, malgré sa qualité indiscutable. Ali y parle majoritairement de sa foi, d’introspection et de la recherche d’élévation. Loin du prêche, comme il l’explicite dans une interview au magazine de rap Booska-P : « Je vis ma foi, donc elle ressort dans ma musique. » Ali se dit « conscient de l’impact que [ses] paroles vont avoir sur les plus jeunes. »

Pourtant, ce rappeur des Hauts-de-Seine n’est pas du genre donneur de leçons, ce qui ne l’empêche pas de saupoudrer son album de mises en garde, comme dans sa chanson Art : « Là où les hommes sont des loups, les gosses sont des cabris. Mettez l’humanité à l’abri. » C’est ce qu’il appelle son « devoir de citoyen » Ali a un autre devoir, celui d’expliquer ce qu’est l’islam. Face à la montée de l’islam radical et de l’islamophobie, lui se place au milieu : artiste religieux, jamais extrême. Son dernier album commence par ces mots : « La paix est le message, là où la haine est comme un marécage. » Et pour promouvoir la paix, Ali n’hésite pas à tendre la main aux autres religions, comme ici dans Dialogue : « “Salam” dans les mosquées, “shalom” dans les synagogues. Seuls les cœurs sincères sont ouverts au dialogue. » Ou encore dans Suprême mélodie, peut-être ses plus belles rimes :

Ali n’est pas sans rappeler un de ses homologues : Abd Al Malik. Rappeur, cinéaste et penseur, Abd Al Malik a récemment fait parler de lui parce qu’il a avancé dans Télérama que du côté de Charlie Hebdo, il y avait une responsabilité, ou plutôt une « irresponsabilité », non sans lien avec l’attaque de janvier. Abd Al Malik, s’il a quitté le rap pour l’univers plus modeste du slam, utilise sa médiatisation pour défendre les musulmans, en tant que minorité opprimée. Mais sans violence, avec sa plume pour arme. Ses mots, empreints de spiritualité, ne versent pas dans le prêche. L’Alsacien préfère raconter des histoires, des contes. Le concernant, on pourrait parler de l’affirmation d’une appartenance stigmatisée.

Croyance et engagements

Pour Karim Hammou, sociologue chargé de recherche au CNRS et auteur de l’ouvrage Une histoire du rap en France, la présence de l’islam dans cette musique n’a rien d’extraordinaire, car selon lui, « dans une société où le cadrage des problèmes publics se focalise de façon croissante sur la référence à l’islam, l’islam devient un thème plus présent dans les œuvres artistique de rap – qui ont souvent démontrées leur étroite volonté d’interagir avec l’actualité du débat public ». Il considère les rappeurs comme des « producteurs de discours publics parmi d’autres, ayant parfois des propositions dissonantes avec l’orthodoxie politique et médiatique ».

Autre exemple de ce rap imprégné d’islam : Kery James. Il commence à rapper avec le groupe Ideal J, avec lequel il enregistre un premier album dès l’âge de quinze ans, au tout début des années 90. Kery James reste depuis lors un inclassable du rap français. Musulman converti, il passe avant tout pour un citoyen activement engagé. Une dualité qui lui permet d’apporter une autre dimension à son message : la paix et l’éducation. Pour atteindre son but, Kery James « construit des ponts », travaille au « vivre-ensemble » Autant de qualités qui n’empêchent pas le rappeur de porter une critique virulente, avec des textes délibérément agressifs comme Lettre à la République, qui plonge le stylo dans la plaie du passé colonial de la France. Autre thème de prédilection : la critique (on pourrait même parler d’autocritique) de ceux qui, issus de l’immigration, alimentent leurs propres préjugés.

Kery James fait partie de ceux qui ont su résister au tournant commercial du hip-hop. Il regrettait alors : « Le rap n’est plus à contre-courant, il porte les valeurs de la société qu’il est censé contester. » Voilà pourquoi Kery James s’engage, revendique. Et si il le fait parfois au travers de l’islam, il ne se considère pas comme « un rappeur islamiste. Mais quelqu’un qui affirme sa croyance et la chante pour rapprocher les générations. »

La laïcité comme ennemi ?

Plus jeune, le rappeur Médine incarne une autre facette du rap, plus provocateur, plus “punch-liner”. Ces textes sont d’une force rare, comme celui de Alger Pleure. Mais derrière ses paroles crues, sa dénonciation des injustices et des amalgames dont sont victimes les musulmans, Médine reste une énigme. Grosse barbe, grosse voix, un label : Din Records (Din veut dire religion en arabe), des minarets à la place des “i”, et même un album qui s’intitule Jihad. Il l’a toujours affirmé, Médine veut casser les codes de l’islam radical pour mieux lutter contre le radicalisme. Seulement, la polémique née de son dernier morceau, Don’t Laïk, dépasse de loin celle de la Lettre à la République de Kery James. Attaqué de toute part, il justifie sa chanson ainsi : « Mes morceaux appartiennent à cette tradition d’œuvre caricaturiste qui exagère volontairement les représentations pour en extraire un contenu parfois absurde et contradictoire. » Il va même jusqu’à se comparer à Charb... Dans ce titre, le rappeur du Havre appelle tout de même à « mettre des fatwas sur la tête des cons » ou clame « crucifions les laïcards comme à Golgotha ».

Seulement, si Médine prétend « distinguer laïcisme et laïcité », on se demande quelle laïcité il défend. Lui qui affirme « Nietzsche est mort », « Je me suffis d’Allah, pas besoin qu’on me laïcise » ou encore « Le polygame vaut bien mieux que l’ami Strauss-Kahn ». On peine à saisir la satire dans ces propos. Médine peut bien plaider la provocation, celle-ci semble receler un double discours.

En trame de fond demeurent deux questions. D’abord celle du conflit israélo-palestinien. Que ce soit Abd Al Malik dans Jérusalem : « Soudain je priais comme un rabbin. Réalisant que tout à dieu toujours revient. Revenant à moi le Coran comme le livre de David puisque l’amour éteint ce qui divise. » Ou bien Médine dans Gaza Soccer Beach et Kery James dans Avec le Cœur et la Raison. Aucun ne saurait rester neutre. Ensuite, il y a cette interrogation : le rap est-il soluble dans l’islam ? Kery James n’utilise pas d’instruments à vent car ils sont interdits, Diam’s a tout laissé tomber pour se réfugier derrière une burqa.

Certains abandonnent tout simplement, là où d’autres, comme le peu que nous venons de voir, continuent à rapper. Car s’ils rappent leur foi, ils diffusent surtout un message qui va au-delà du fait religieux. Karim Hammou relève « une certaine obsession de l’islam [qui] surdétermine actuellement les débats publics autour du rap. L’association d’une critique sociale et d’une référence religieuse dans le rap contemporain vise le plus souvent ce traitement public, politique et médiatique réservé à l’islam et aux musulmans. » En d’autres termes, qu’ils l’abordent par le biais de l’islam ou par un autre, les rappeurs ne font que décrire des réalités sociales qui touchent des milliers de Français sans autres voix ni porte-parole qu’eux.

Article extrait de "l’enquête sur l’engagement des jeunes" dans le numéro de printemps de Regards.

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Vos réactions

  • Dans une société non-laïque ce rap serait interdit.
    Ces rapeurs pratiquent sans savoir que c’est l’existence de la laïcité qui le leur permet.
    Leurs ignorances sont affligeantes autant que leurs inconséquences de ne pas aller vivre dans la quarantaine de pays à Charia..
    La cupidité explique bien des choses...

    hécoeuré Le 24 avril 2015 à 21:01
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  • Vous feriez bien mieux de parler d’une fille comme Keny Arkana. Elle, c’est une vraie révoltée, une vraie contestataire, croyante mais non religieuse, alter-mondialiste, anarchiste, digne héritière des..Léo Ferré, Jean Ferrat ou Mama Béa. A propos de religion, j’aime bien cette phrase du grand Ferré : " Il n’y a pas de meilleurs flics que les religions." Je souhaite aux rappeurs cités de sortir un jour de leurs prisons religieuses..

    LM Le 25 avril 2015 à 18:30
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  • Booba a clashé Charlie-Hebdo, certes, mais je vous conseille surtout de regarder la 2è page du dernier Charlie : c’est pas piqué des hannetons..mais au moins c’est fait avec talent.

    LM Le 25 avril 2015 à 18:32
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  • N’aurait-on pas passé sous silence, dans cet article, un acteur primordial du showbiz : la tune. Comme tout commerce ici bas, les produits, si affligeants soient-ils, sont avant tout conçus pour taxer une clientèle en lui offrant ce qu’elle attend, et dans ce cas précis, de l’auto-apitoiement, des fantasmes misogynes et hyper machistes, des rêves rambo-maffieux. Pas de généralisation abusive certes mais tout le recul souhaitable.

    Fulgence Le 26 avril 2015 à 08:32
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  • Bonjour à tous mais je préfère dire Salam aleykoum même si ça vous paraît ’succéder au monde ancien’. En français Que la paix et le salut de dieu soit sur vous tous. Ou tout simplement ’salut !’.
    Je suis désolée je ne vais pas me faire des copains mais nous avons ici des discutions ’rationnelles libres et argumentées’ non ? L’islam ne s’accommode pas avec le capitalisme, mais les musulmans s’accommode avec le capitalisme comme tous les êtres humains en 2016. Nous ne vivons pas en dehors des sociétés. Même les communistes le font, pas le choix. Quand je parle du communisme je ne parle pas des communistes. Il en va de même pour l’islam. Quand le sage montre la lune l’idiot regarde son doigt. L’islam n’est pas ’ fondé sur le fait que les pauvres peuvent se croire aussi heureux que les pauvres grâce à lui’. C’est un devoir pour un musulman de combattre la pauvreté, l’injustice, l’ignorance, la repression, etc. en étant patient et endurant avec l’aide de dieu. L’islam ne fait pas croire que l’on est heureux, on l’est ou on l’est pas, heureux, si l’islam avait ce pouvoir on serait tous musulmans. Je connais d’ailleurs des riches malheureux et des pauvres heureux. Même si la majorité des pauvres endurent des épreuves comme tous les humains, mais les leurs sont autrement plus ardues que celles des riches. La pauvreté est une maladie de la société en islam. L’ignorance et l’arrogance deux autres. Oui il existe des sociétés ignorantes. Oui il existe des sociétés arrogantes. Ici nous avons beaucoup de chance grâce à dieu mais notre société est arrogante. Et c’est sa pire maladie. Je vous invite à expérimenter le bonheur plutôt que cela ’reste une idée à découvrir’. De plus vous utilisez les mots ’vertu et résurrection’ dans la même phrase ça m’a bien fait rire venant de qq un qui s’imagine être indépendant de toute religion. Permettez moi de prier dieu (Allah ça veut dire le dieu en arabe les chrétiens arabophones prient Allah c’est la même chose) et de continuer cependant à ’pratiquer la discussion libre rationnelle et argumentée’ sur ce blog. Pour ce qui est de la fête de l’humanité, moi ça me fait mal de voir les débats perdent d’année en année en nombre et en profondeur et de constatée la beuverie et l’oublie gagner chaque année un peu plus pendant que les militants tiennent leurs comptes financiers à bouts de bras et de force, faisant le jeu de ce qu’il combattent. Vous aurez tous bien picolé et oublié pourquoi vous êtes à cette fête, avec en bonus l’illusion d’avoir été de gauche pendant 3 jours. Et pendant ce temps, l’humanité compte un milliard de morts de faim part an. Vous pensez que tout peut se résoudre sans l’aide de dieu, en ne comptant que sur l’horizontalité, vous ne valez pas mieux que celui que vous critiquez, qui pense que tout peut se résoudre par dieu, en ne comptant que sur la verticalité. Dieu nous demande de faire les causes, pour résumer si j’attends que l’eau bout sans allumer le feu je vais attendre longtemps, mais n’espérez pas non plus y arriver sans reconnaître le créateur de l’eau du feu et de la réaction chimique. Vous pourrez toujours faire bouillir l’eau, mais elle ne donnera jamais ni bienfaits ni vertues. Salam aleykoum. Salut.

    babou Le 18 juillet 2016 à 03:20
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  • Et je voudrais ajouter un commentaire par rapport à la laïcité.
    On ne mets pas les mêmes sens derrière le même mot.
    Vous parlez de société totalitaires qui applique la ’ charia’.
    ( Ce mot est détourné de son origine comme bien d’autres dans le champ lexical de l’islam mais bon c’est un autre sujet. )
    La laïcité selon vous serait donc garante de nos libertés de croyances et d’expression.
    Si c’est le cas, tous musulmans devrait être en accord avec ça. Je ne vais pas rentrer dans des détails théologiques mais c’est un fait, l’islam garantie la liberté de tout un chacun.
    Si la laïcité nous oblige à être neutre, ce que personne n’est en substance c’est impossible, elle nous oblige donc à nous conformer à une manière de vivre et de penser. Ce qui est le contraire de la liberté.
    Personnellement je vous l’atteste, la laïcité telle qu’elle est promue par nos dirigeants et leurs institutions n’est pas garante de notre liberté. Je me suis déjà fait virer à cause du foulard, trouver du travail est 100 fois plus long déjà que ça l’est pour tout le monde, je me fais insulter, etc.

    babou Le 18 juillet 2016 à 03:35
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  • Désolée pour les fautes d’orthographe je ne me suis pas relue

    babou Le 18 juillet 2016 à 03:42
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  • De plus vous revendiquez le droit à l’islamophobie non violente sous couvert de liberté cette pensée est digne d’un militant d’extrême droite.
    Si l’islam vous provoque de la phobie, je vous invite à l’étudier, on a peur de ce qu’on ne connaît pas.
    Si votre phobie persiste, consultez un psychologue.
    Je m’attriste de voir autant de bêtise dans ces lignes.
    Vous parlez tous d’éthique mais votre arrogance vous cache de votre ignorance.
    Que la paix et le salut de dieu soit sur vous et surtout dans vos coeurs.
    Bon courage

    babou Le 18 juillet 2016 à 04:22
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