Regards.fr. L’avant-dernière séance de négociations sur la convention de l’assurance chômage s’ouvre ce jeudi. Les ministres Aurélie Filippetti et Michel Sapin ont assuré qu’il n’était pas question de remettre en cause le régime des intermittents du spectacle. L’idée de Pierre Gattaz de le supprimer n’est donc pas sérieusement envisagée…
Samuel Churin. Ça dépend par qui ! La CFDT a quand même dit que si cette option ne pouvait être envisagée dans l’immédiat, elle devait l’être à terme. C’est donc une simple affaire de calendrier ! Et qu’est ce que ça veut dire "sauver le régime" ? C’est le contenu précis de la réforme qui compte. Lors de la très mauvaise réforme de 2003, la CFDT a pu dire « nous avons sauvé le régime », alors que les nouveaux critères n’ont fait qu’éliminer les plus précaires du système. C’est toujours la variable humaine qui sert d’ajustement : sous prétexte d’économies, on augmente le nombre d’heures à effectuer pour bénéficier des droits, et les plus fragiles deviennent plus pauvres encore.
L’argument du Medef est toujours le même : les indemnités versées par l’assurance chômage aux 108.000 intermittents s’élèvent à 1,3 milliard d’euros pour 240 millions de cotisations. D’où un "trou" d’un milliard d’euros par an, qui représenterait donc un quart des 4,3 milliards de déficit global de l’Unedic.
Ce discours sur le "déficit" est de l’idéologie pure. Les détracteurs du système affirment ainsi que les intermittents représentent 3,5% des chômeurs, mais environ un quart du déficit de l’Unedic. Si c’était vrai ce serait effectivement scandaleux ! Or cela revient à comparer des centimètres et des litres... Les indemnités des intermittents sont à rapporter à la totalité des allocations, qui s’élèvent à 31 milliards d’euros en 2013. Les intermittents reçoivent donc, non pas un tiers, mais 4% des indemnités. Ça change la donne et contrairement à ce qui est affirmé partout, il n’y a aucun scandale. Le chômage est structurellement déficitaire. Autrement dit, quand vous êtes au chômage, vos cotisations sont évidemment toujours inférieures aux indemnités que vous percevez. De plus, la solidarité interprofessionnelle n’est pas un vain mot. Cela signifie que tous les secteurs sont liés. Lorsqu’une ville accueille un festival, tous les hôtels, restaurants et commerces locaux voient leurs affaires fleurir. À Lille, ce sont les vendeurs de frites et de moules qui ont réclamé Lille 3000 !
Les intermittents sont-ils des "privilégiés" ? Les allocations chômage sont par exemple perçues pendant huit mois, alors que les salariés du régime général ne les perçoivent qu’aussi longtemps qu’ils ont travaillé.
Dire qu’un régime est plus favorable qu’un autre est inexact. Cela dépend des cas et des critères que l’on compare. Dans le régime général, les plus de cinquante ans peuvent être indemnisés jusqu’à trois ans. Pour les intermittents, le maximum est 10,5 mois. Un cadre de régime général peut toucher jusqu’à 6.000 euros de chômage par mois, le maximum pour un intermittent est 3.000 euros. On ne peut pas dire qu’un régime soit plus avantageux que l’autre. Simplement, chacun est mieux adapté à une certaine pratique d’emploi. Si l’on fait basculer les intermittents dans le régime général, tout comme si l’on fait basculer les chômeurs du régime général dans le régime intermittent, cela produira des économies pour l’Unedic non pas parce que l’un ou l’autre régime est moins généreux, mais parce que ses critères ne seraient plus adaptés à l’activité des uns et des autres. Par conséquent un bon nombre de bénéficiaires seraient éjectés du système et l’on aurait moins de monde à indemniser. Mais si l’objectif est uniquement de faire des économies, alors soyons cohérents : éliminons purement et simplement l’assurance chômage !
Certains qualifient ce système de subvention déguisée à la culture. Le Medef et la CFDT estiment que si l’État veut mener une politique d’exception culturelle, alors il lui appartient de la financer par l’impôt, pas en puisant dans les caisses de l’Unedic…
Mais le régime des intermittents n’a rien à voir avec l’exception culturelle ! Historiquement, il a été créé pour les techniciens du cinéma afin de répondre à la discontinuité de leur activité. On s’est ensuite aperçu que ce système était également adapté au rythme de travail des artistes qui, par définition, s’engagent sur des projets de durée limitée (pièces de théâtre, tournage de film, spectacles de cirque), et sont payés au cachet. On leur a donc ouvert l’accès à ce régime. Mais fondamentalement, il s’agit d’une réponse, non pas à un type de métier, mais à un certain rythme d’activité. Or au fur et à mesure que la précarité et la flexibilité deviennent la norme dans tous les secteurs de l’économie et que la perspective du plein emploi se volatilise, je ne vois pas pourquoi on n’étendrait pas ce modèle d’assurance chômage à toutes les personnes qui subissent des périodes de discontinuité, qu’il soient dans le monde du spectacle ou pas. C’est précisément cela que redoute le Medef et c’est pour ça qu’il s’attaque aussi violemment à ce modèle.
Cependant, même les défenseurs du système actuel reconnaissent qu’il est loin d’être parfait, et qu’il faut le réformer, n’est-ce pas ?
C’est juste. Surtout depuis la réforme de 2003, le système favorise ceux qui gagnent beaucoup et précarise ceux qui en ont le plus besoin. Je suis par exemple favorable au plafonnement du cumul salaires-indemnités. L’Unedic doit indemniser des gens qui en ont besoin, pas les autres. Les abus dont tout le monde parle, surtout dans l’audiovisuel, viennent des pressions exercées par les employeurs sur des salariés qui n’ont pas le choix. Les "permittents" représentent 4 % des intermittents selon l’Unedic. Mais si l’État veut vraiment s’attaquer à ce problème, il doit commencer par arrêter de réduire le nombre d’inspecteurs du travail. Enfin, on doit également penser à d’autres moyens de financer l’assurance chômage. On est obsédé par les dépenses sans jamais penser aux recettes ! D’autres pistes de financement sont possibles, mais le sujet n’est jamais abordé.