Accueil > Société | Entretien par Clémentine Autain | 10 octobre 2016

Samy Johsua : « La crise sociale submerge la crise pédagogique »

Une étude du Conseil national de l’évaluation du système scolaire a mis en cause le bilan des ZEP, en pointant l’école comme accélérateur des inégalités. Spécialiste de l’éducation, Samy Johsua en décrypte les apports et aussi les impensés.

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Samy Johsua est professeur en sciences de l’éducation et conseiller municipal Front de gauche à Marseille.

Regards. Selon l’étude du CNESCO, l’école amplifierait les inégalités sociales. Cette conclusion vous paraît-elle juste ?

Samy Johsua. Il est vrai que l’école n’arrive pas à réduire les inégalités, mais elle ne les crée pas ! On peut mesurer l’avancée démocratique en observant l’écart entre les groupes. Mais compte aussi l’évolution moyenne de la société. S’il faut considérer les inégalités, il faut aussi saisir si les catégories populaires sortent de l’école en sachant lire ou pas. Or les performances moyennes de la société ont considérablement augmenté jusqu’au milieu des années 1990. Puis, c’est vrai, elles ont stagné voire reculé. Surtout, cette stagnation de moyenne est due au fait que les catégories les plus défavorisées voient leurs résultats baisser. Ainsi, les 20% les moins performants sont nettement moins performants qu’il y a vingt ans. C’est dramatique – une première dans l’histoire française. Alors il faut être précis dans le diagnostic et dans les solutions.

Pour quelles raisons les élèves les plus défavorisés voient-ils leurs performances baisser ?

L’étude du CNESCO insiste sur le fait que toutes les politiques compensatoires, c’est-à-dire celles qui sortent du système habituel – Zones d’éducation prioritaire (ZEP) et autres méthodes particulières reposant sur l’idée de donner plus à ceux qui ont le moins – ont été un échec. Elle montre que l’idée que, financièrement, l’Etat donne davantage aux ZEP, est fausse. Souvent, le nombre de personnels dans les établissements ZEP est inférieur à celui des autres établissements. Surtout, les jeunes enseignants y sont nettement plus nombreux. Or, ils sont moins payés que les plus âgés : c’est l’une des raisons principales pour lesquelles les ZEP ne coûtent en réalité pas plus cher. En outre, l’étude établit qu’il y a au maximum deux élèves en moins par classe dans les collèges en ZEP. Les travaux menés par Thomas Piketty montrent pourtant que la sensibilité de la réussite au nombre d’élèves par classe est tout à fait considérable.

« Le CNESCO élimine arbitrairement l’hypothèse que tout ceci puisse avoir un lien avec l’accroissement de la crise sociale et économique. »

Cela signifie que les ZEP ne sont en réalité pas privilégiées, en termes de moyens ?

En réalité, on donne moins aux ZEP par élève que ce qu’on donne dans les collèges moyens. De plus, comme nous n’arrivons pas à bien faire dans les ZEP, une tendance existe à contourner le problème par une sorte de renoncement, une baisse des exigences. Il est vrai que c’est parfois plus difficile pour ces catégories. Mais si on fait faire du foot aux élèves dans l’idée qu’ils fassent des maths après, cela ne marche pas car, en réalité, il n’y a pas de rapport. Certes il faut inventer de nouvelles façons de procéder, mais pas changer l’objectif. Un certain nombre de pédagogies ont soutenu cette idée que l’école est là pour "socialiser" et non pour appréhender les savoirs, ou alors dans un deuxième temps. Cette option est catastrophique, elle renforce les difficultés au lieu de les solutionner. Et la réforme des collèges va encore aggraver les choses.

Faut-il renoncer aux ZEP ?

La conclusion du CNESCO est plus que problématique, suggérant qu’il faudrait supprimer les ZEP. Rien ne dit que le peu que l’on a pu faire n’est pas mieux que si l’on n’avait rien fait ! De plus, le CNESCO élimine arbitrairement l’hypothèse que tout ceci puisse avoir un lien avec l’accroissement de la crise sociale et économique. Or c’est évident qu’il y a un lien. Celui-ci agit par le haut avec les contraintes budgétaires, et par le bas avec les difficultés sociales des familles. Quand l’idée s’installe que le frère qui a réussi le bac n’a pourtant pas de travail, cela a un impact sur l’investissement de ses sœurs et frères à l’école. Et il y a le durcissement de la concurrence généralisée : entre établissements, entre familles, entre élèves. La crise sociale submerge la crise pédagogique. Enfin, de manière étonnante, il n’y a pas d’approche fine des différentes façons de fonctionner des ZEP. Toutes n’ont pas versé dans ces impasses, toutes ne se valent pas. Les enseignants ont souvent mal pris les conclusions de ce rapport car celles-ci ne saisissent pas les efforts pédagogiques existants.

« On ne peut pas supprimer les ZEP et vouloir un traitement scolaire égal pour tous les élèves si, à côté, le système privé continue à vivre comme aujourd’hui. »

L’étude occulte-t-elle d’autres leviers d’inégalité ?

Si l’on se place dans l’hypothèse d’en finir avec les ZEP, il faudrait que les collèges soient égaux du point de vue du recrutement des élèves. Pour 2015, une étude a montré qu’un dixième des collèges scolarise moins de 14,6% d’élèves d’origine sociale défavorisée pendant qu’un dixième des collèges en scolarise plus de 62,7%. Les collèges privés accueillent deux fois moins d’élèves défavorisés et deux fois plus d’élèves très favorisés – même si dans certains quartiers populaires des collèges privés recrutent une majorité d’élèves défavorisés. On ne peut pas supprimer les ZEP et vouloir un traitement scolaire égal pour tous les élèves si, à côté, le système privé continue à vivre comme aujourd’hui. La question n’est pas d’obliger tout le monde à aller à l’école publique, mais d’en finir avec cette aberration du financement de l’école privée par l’argent public. Supprimer les ZEP en maintenant les inégalités de recrutement en général et en maintenant le système privé en l’état conduirait à un échec certain.

Peut-on conserver les ZEP en les rendant plus efficaces ?

Une autre hypothèse est possible : concentrer l’effort des ZEP sur moins d’établissements, en assurant une baisse substantielle du nombre moyen d’élèves – entre cinq et sept élèves en moins par classe. Il faudrait alors s’occuper des pédagogies adaptées en donnant des moyens considérables à la recherche pour savoir quelles approches sont les plus efficaces. Par ailleurs, il faudrait mettre en discussion, en présence de chercheurs, les méthodes expérimentées par les enseignants. Cela supposerait de faire confiance aux profs. En Finlande, ce double effort a été produit. Et le pays est en tête de toutes les comparaisons internationales !

« Il faut recréer de nouvelles motivations spécifiques à l’école. Des centaines de milliers d’enseignants s’y attachent, et souvent avec succès »

Céline Alvarez, avec son livre Les lois naturelles de l’enfant, a défrayé la chronique en cette rentrée. Elle propose justement de repenser les pédagogies pratiquées à l’école. Que pensez-vous de ses préconisations ?

L’idée qu’une seule pédagogie soit la solution miracle est une aberration. Ce qu’elle dit, c’est en substance : « Il faut faire comme je fais, en s’appuyant sur la neuropsychologie ». Mais si l’on disposait d’une solution universelle, de type Montessori sur laquelle Céline Alvarez s’appuie, on le saurait depuis un moment ! Selon elle, il existerait une "méthode naturelle d’apprentissage". Alors, comment se fait-il qu’avec ces méthodes, les humains n’aient pas appris à lire avant la découverte de l’écriture ? L’école est fondée sur la mise en relation des humains avec les savoirs à partir de choix sociaux – faire des maths, apprendre à lire, faire du foot, etc. Rien de "naturel" là dedans.

Elle insiste aussi sur la motivation des élèves…

La motivation n’est pas une donnée intrinsèque à la personne. Il n’y a aucune raison que tous les élèves soient motivés pour faire des maths ou du foot. La question est de savoir comment mettre en relation ce que sont les individus, pétris de motivations diverses, avec des choix sociaux, qui impliquent de décider par exemple que tout le monde doit apprendre à lire. Les motivations sont en rapport avec les classes sociales : des produits culturels. Il faut arriver à mettre en correspondance ces motivations socialement déterminées avec ce que la société décide comme objectifs pour son école. Recréer de nouvelles motivations spécifiques à l’école. Pas toujours facile. Mais des centaines de milliers d’enseignants s’y attachent, et souvent avec succès.

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  • Vous pensez sérieusement que les classes dirigeantes veulent des classes populaires éduquées et ayant, grâce à l’école, acquis des outils leur permettant de se mêler de la façon de gouverner ?
    Ils veulent que les quartiers populaires se foutent sur la gueule entre eux et qu’ils se défoncent... au mieux que quelques personnes issues de ces quartiers fassent partie du club des peoples avec la bénédiction de l’industrie du sport et du divertissement mais certainement pas que ces individus participent à l’organisation politique de la société.

    On peut comparer ce phénomène au niveau des pays ; vous pensez pour de vrai que l’europe et les USA aient envie que le Ghana par exemple, acquiert politiquement suffisamment de poids pour donner son véto et empêcher les compagnies pétrolières occidentales de piller ses richesses et de polluer son littoral ?
    Les dirigeants exigent d’avoir sous la main des populations ignorantes et préoccupées seulement par la lutte pour la survie ; dans les quartiers pauvres comme dans les pays pauvres.

    Regardez le film documentaire sur Thomas Sankara qui était diffusé hier soir sur LCP, ce grand homme avait fait remonter en 3 ans le taux d’alphabétisation du Burkina Faso à 22 %, sans aucune aide des occidentaux.

    Ils l’ont récompensé comment ?

    Arouna Le 10 octobre 2016 à 11:41
       
    • Les partis politiques au pouvoir sont des machines de guerre avec l’idée militaire de fabriquer l’esprit de l’homme afin qu’il conçoit la guerre et ainsi la finance et aussi pour nous esclavagiser au travail jusque la retraite dans un environnement que nous détruisons.

      Les notations à l’école servent à fabriquer des futurs ingénieurs pour taper sur la tête des ouvriers.

      Il existe plusieurs niveaux et plusieurs formes de fascisme et le führer n’en était qu’un petit exemple afin de catalyser la penser de l’être humain éduqué dans la terreur, les maîtres de cette terreur sont toujours présent, ils occultent la vie pour une gouvernance mondiale par l’autorité.

      Le but c’est la pensée unique, devenir aussi con qu’un feu rouge et nous enlever progressivement l’instinct de spontanéité qui fait de l’homme sa vraie nature un peu comme la mayonnaise Lesieur :
      Tout le temps la même couleur.., tout le temps le même goût..
      Cdt

      saci Le 10 octobre 2016 à 19:05
    •  
    • Je suis complètement d’accord avec Arouna. Et j’ajoute ceci. Cette interview ne présente aucun intérêt ; on sent un Samy Johsua suppliant à genoux le Grand Capital de l’entendre.
      Bien au contraire, je trouve fort intéressant le rapport du CNESCO, non par ce qu’il conclut, ce sont des ennemis au service du Capital qui l’ont rédigé, mais parce qu’il laisse "fuiter" ainsi par exemple, la différence d’effectifs entre les écoles en ZEP et les écoles hors ZEP n’est pas du tout significative, elle est même ridicule.
      La bourgeoisie nous lâche une info essentielle, à nous de l’utiliser...

      dariokhos Le 10 octobre 2016 à 21:32
  •  
  • <>

    "Le monde ne récompense pas l’honnêteté et l’indépendance, il récompense l’obéissance et la servilité"

    "Le contrôle hors travail revient à transformer les gens en robot dans tous les domaines de leurs existences en leur inspirant une philosophie de la futilité, en concentrant leur attention sur les choses les plus superficielles comme une consommation dictée par la mode. "

    NChomsky

    saci Le 10 octobre 2016 à 19:43
  •  
  • Salut à tous.

    Que dire ? L’interviewé a tellement raison !
    En tant que didacticien récemment retraité, je relève surtout cette phrase : " Certes il faut inventer de nouvelles façons de procéder, mais pas changer l’objectif." Et pour cela, il faut des équipes de volontaires, surpayés, qui se sentiront concernés 24h/24 et qui expérimenteront de nouvelles méthodes d’enseignement, pas des méthodes de gardiennage !
    Durant mes années de recherche appliquée en didactique, avec des groupes d’enseignants de collège et de lycée, j’en ai rencontré qui expérimentaient des nouvelles méthodes pédagogiques -hélas plus sous-payés que sur-payés ! Ils forment maintenant leurs collègues, transmettent la flamme.

    Désormais, il faut que l’institution les reconnaisse et les paient au moins autant que les vieux pantouflards qui terminent leur carrière dans des établissement tranquilles (tout en restant de ’bons profs’). Au moins 1 000 euros de prime par mois, c’est la moindre des choses. Et des moyens matériels en proportion.

    S’il y a un objectif clair et une véritable reconnaissance institutionnelle, beaucoup d’enseignants adhéreront, car beaucoup ont la foi dans leur métier, dans leur rôle social et citoyen.

    Donc si l’école va mal, on le doit essentiellement aux politiques qui ne lui donnent pas les moyens de bien travailler. Il suffit de constater les comparaisons entre les pays de l’OCDE : la France ne cesse de descendre dans le classement.

    Renvoyons ces politiques irresponsables ! Qu’ils s’en aillent tous !
    Vive la VIe République !

    Alain V Le 11 octobre 2016 à 08:35
       
    • Si l’école va si mal, n’est pas la faute justement des didacticiens ?
      Pourquoi faut il changer sans arrêt les méthodes d’enseignement ?
      Tout le monde sait que les vieilles méthodes étaient les meilleures.
      Les mathématiques modernes, la méthode globale, la suppression de la grammaire, puis sa réintroduction par novlangue etc.... voilà quelques exemples de pédagogisme qui ont mené à l’échec. Non ?

      Thomas Le 12 octobre 2016 à 23:36
  •  
  • @ Thomas
    Je suis d’accord avec vous pour ce qui est des "maths modernes" que l’on a très vite abandonnées. Quant à la méthode globale, elle n’a été pratiquée que par quelques-uns et n’existe plus depuis assez longtemps. La grammaire quant à elle, n’est qu’une interprétation de la langue que nous utilisons. Or elle était construite en fonction de la grammaire latine. La plupart des pays latins ont modifié leur grammaire afin qu’elle rende mieux compte de la langue d’aujourd’hui. J’ai enseigné le français à l’étranger et l’allemand en France. A ce titre, je peux vous dire que les nouvelles grammaires sont beaucoup plus efficaces pour l’apprentissage des langues, et du français en particulier . Malheureusement, il y a quinze ans, mes enfants (second mariage, en France cette fois) n’ont pas pu bénéficier de cette nouvelle grammaire, si bien que leur apprentissage du français a été plus long et plus pénible.
    Voilà, ce n’est qu’un bref témoignage, vous en faites ce que vous voulez. En tant que didacticien, je n’ai fait qu’observer et théoriser les "bonnes pratiques". Je n’ai jamais dit à un enseignant ce qu’il devait faire. En équipe de chercheurs en didactique, nous avons simplement étudié les pratiques de ceux qui étaient efficaces en essayant de comprendre pourquoi.

    AlainV Le 13 octobre 2016 à 06:35
       
    • Personnellement, j’ai appris la grammaire traditionelle.
      J’ai eu l’occasion de réapprendre récemment la nouvelle grammaire avec un neveu.
      Et je trouve que c’était consternant. J’avais l’impression que tout était fait pour que les anciens ne comprennent rien.
      Et sincèrement j’y ai vu une forme de complexité inutile.
      Ma grand-mère qui avait juste son certificat d’étude écrivait sans faute d’orthographe.
      C’est sans doute banal de dire ça mais tout le monde le sait.
      Ce qui est également troublant c’est que les pédagogistes font des études statistiques mais n’ont jamais été face aux enfants.
      Quand est ce que l’école va cesser de faire perdre du temps aux enfants.
      Boileau disait : "ce qui se conçoit bien s’énonce clairement."
      En réalité les bons élèves sont ceux qui ou sont aidés à la maison par les vieilles méthodes ou sont capable de remétaboliser tout seuls, les concepts souvent absconds qui leur sont proposés.
      En résumé je dirait : la pédagogie, c’était mieux avant, et c’était plus démocratique et plus égalitariste.

      Thomas Le 14 octobre 2016 à 01:27
  •  
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