Personne – ou presque – ne les connaît. Et quand la presse se risque à parler des deux outsiders, elle est loin d’être emballée. Le propos n’est guère élogieux : « Stein et Johnson seraient tous les deux les pires présidents de l’histoire des États-Unis » ; « Stein et Johnson : les États où ils peuvent tout gâcher » ; « Pourquoi personne ne devrait voter pour Stein ou Johnson »… les gros titres des médias américains sont relativement unanimes sur le sujet : les deux principaux candidats indépendants à l’élection présidentielle américaine ne sont pas les bienvenus dans le duel Donald Trump-Hillary Clinton. Et pour cause : ils perturbent un système rodé de longue date et qui doit voir l’avènement logique de la candidate démocrate.
Le pire dans tout cela, c’est que l’on fait semblant de leur faire porter le chapeau de leur absence au premier débat national (il fallait être crédité d’au moins 15% d’intention de vote dans cinq sondages nationaux – Stein tourne autour de 3 à 5% quand Johnson est entre 11 et 14%) à leur absence de leadership. Mais c’est plutôt tout le système politico-médiatique américain qu’il faut blâmer, qui s’applique à expulser ces dissonances hétérodoxes. Et ces dissonances peuvent coûter cher puisque qu’en 2000, le candidat du parti des Verts Ralph Nader avait fait perdre Al Gore dans l’État-clef de Californie (537 voix seulement le séparaient de George W. Bush), l’empêchant par là-même d’accéder à la Maison Blanche.
Johnson : libéralisme et cannabis
Pour mieux les frapper d’ostracisme, ces Third Party candidates sont souvent rangés dans le même sac : la représentante du progressiste parti des Verts, Stein, soixante-six ans, médecin diplômé de Harvard, est perçue comme une alternative au parangon de l’establishment américain qu’incarne Clinton – Jill not Hill –, quand le libertarien Johnson, soixante-trois ans, très populaire ex-gouverneur républicain du Nouveau Mexique et ancien PDG d’une société qui commercialise légalement du cannabis, apparaît comme l’exutoire parfait pour les nevertrumpists. Mais la réalité s’avère on ne peut plus compliquée. En effet, certains arguments de leurs programmes respectifs font aujourd’hui office de points de convergence des consciences américaines qu’il ne faut pas négliger.
Johnson, reprenant à son compte et répétant à l’envi l’adage libertarien classique "moins d’État, moins de régulation", a trouvé un autre cheval de bataille qui lui vaut beaucoup de sympathie de la part des sympathisants démocrates, notamment parmi les plus jeunes : la légalisation du cannabis dont il est l’un de porte-étendard depuis longtemps. Mais ses positions pro-armes ou très conservatrices d’un point de vue fiscal risquent néanmoins de freiner ce potentiel élan de la jeunesse. Ces arguments peuvent néanmoins faire mouche auprès de l’électorat traditionnel du Parti républicain dont une part éprouve une forte aversion pour Trump, notamment à l’aune de son programme très agressif vis-à-vis du milieu des affaires et des marchés de libre-échange : le report de voix sur la candidature de Johnson pourrait donc être assez important.
Stein, plus à gauche que Sanders
De l’autre côté de l’échiquier politique, Stein cherche à s’octroyer l’héritage de Bernie Sanders pour récupérer ce qu’il y a de plus à gauche dans l’électorat démocrate. Mais il est intéressant de constater que, malgré tout l’amour d’une partie de la gauche française pour Sanders, si Stein reprend les points principaux qui ont fait la campagne du sénateur du Vermont (salaire minimum fédéral à 15 dollars de l’heure, système de sécurité sociale approfondie, annulation de la dette étudiante), elle apparaît comme étant beaucoup plus à gauche que lui lorsqu’elle propose de renoncer à l’arme nucléaire, de diviser par deux les dépenses militaires, de se détourner complètement des énergies fossiles à l’horizon 2030 ou de verser des dommages et intérêts aux descendants des victimes de l’esclavage. Ces derniers points peuvent effrayer un potentiel électorat peu habitué à ce genre de propositions très radicales.
Alors certes, statistiquement, ni l’un ni l’autre ne peut espérer emporter la partie. Mais ce n’est pas pour cela qu’ils se battent si férocement pour avoir une place dans les deux prochains débats nationaux : s’ils dépassent les 5% de voix le 8 novembre prochain, cela leur permettrait de recevoir des dizaines de millions de dollars de fonds publics lors des prochaines élections présidentielles de 2020 – et ça, ce n’est pas négligeable. Tout comme ne l’est pas non plus leur capacité à déranger un système politique un peu vérolé qui n’enchante plus guère le peuple américain. Mais, comme Trump en fait l’expérience, c’est un système qui reste très difficile à bousculer, que ce soit par sa gauche ou par sa droite.
Si j’étais américain, je voterais J. Stein sans l’ombre d’une hésitation. Le vrai vote utile c’est le vote de conscience. Tout le reste est une pure fabrication médiatique de sérialisation / mise en boite des individus.
Répondre