Il était temps qu’elle parte, dira-t-on. L’évidence de ce départ n’aura été contestée que par son caractère étonnamment tardif. Un départ si minuté, si orchestré, si spectaculaire qu’il risque bien de rester comme le fait majeur de son mandat au ministre de la Justice… juste devant sa nomination. Il fait tellement l’événement qu’il semble même éclipser l’examen ce qui s’est passé entre ces deux moments, voire suggérer qu’il ne s’est finalement pas passé grand chose dans l’intervalle.
La comédie du départ
Autre paradoxe, cette sortie fait les affaires de tout le monde : de l’intéressée d’abord, mais aussi du gouvernement et même de ses détracteurs qui peuvent revendiquer une victoire tant ils avaient – jusqu’au ridicule – réclamé cette démission. Pour son compte, elle n’aurait pu persister très longtemps sans finir par perdre son crédit. Un crédit que l’on croyait entamé, mais que la médiatisation de son échappée a magiquement et instantanément restauré. Elle aurait aussi fini par embarrasser un gouvernement dont elle ne pouvait même plus être la "caution de gauche" tant la situation était devenue absurde, puisqu’il s’agissait de cautionner une politique épousant de plus en plus une pensée libérale et réactionnaire (lire aussi son portrait : "Icône et caution : Taubira la funambule").
Il y a là une part de comédie, qui transparaît dans les bons termes de la séparation. Des perrons de l’Élysée et de Matignon, on peut voir cette sortie théâtrale d’un d’œil bienveillant : la pièce était écrite et le "désaveu" de l’exécutif (désaveu à peu près inoffensif tant il est tardif) sera contrebalancé par des gains significatifs : coudées plus franches et cohérence plus grande (que symbolise la nomination de Jean-Jacques Urvoas) avec le projet gouvernemental.
Le mariage pour tous, peu pour le reste
Le bilan de Christiane Taubira à l’hôtel de Bourvallais est évidemment dominé par la bataille du mariage pour tous, qu’elle aura très fortement personnifiée, laissant le souvenir marquant de ses interventions à l’Assemblée. Une bataille menée sur le terrain "sociétal", le dernier que n’a pas abandonné cette "gauche" de gouvernement. Pour le reste, sa réforme pénale a été infléchie contre sa volonté [1], celle de la justice des mineurs est restée en chantier et celle de la "justice du XXIe siècle" a été ajournée. L’objectif d’une plus grande indépendance du parquet n’a été que partiellement atteint, celui la suppression de la rétention de sûreté abandonné.
Aussi les reproches et les invectives qui lui sont adressés depuis la droite et l’extrême droite relèvent-ils pour une grande part d’une imagination malade, notamment quand il s’agit de fustiger un "laxisme" que son mandat n’a absolument pas confirmé. L’autre part appartient à l’expression d’un racisme à peine déguisé chez la plupart de ces adversaires, abjectement explicite chez certains. Taubira a cristallisé, avec le mariage pour tous, des haines bien enracinées dans une France réactionnaire en plein renouveau (lire aussi "Marseillaise : Taubira-Benzema, même "débat". Là réside l’hommage à lui rendre : elle aura encaissé avec une rare dignité des attaques particulièrement ignobles. Ces coups-là, elle les a pris seule, et nul ne sait comment elle les a endurés (ni comment il les aurait endurés, à sa place).
Une démission après les autres
Comme le résume le plus repris de ses derniers tweets, mercredi, l’ex-ministre aura prétendu "résister" aussi bien en restant qu’en partant. Elle assure également franchir ce pas « sur un désaccord politique majeur » qui désigne évidemment la déchéance de nationalité : si cette mesure ne lui permettait pas de rester stoïque plus longtemps, elle lui a aussi offert une belle porte de sortie. Le désaccord politique était pourtant constitué depuis bien plus longtemps…
Dans le récit médiatique, Christiane Taubira est redevenue « fidèle à ses convictions » après, durant presque quatre ans, les avoir sinon reniées, du moins compromises au sein d’un gouvernement dont l’orientation leur était de plus en plus radicalement opposée. Sa démission la plus significative n’aura pourtant pas eu lieu ce mercredi, mais au cours des quatre années précédentes, durant lesquelles sa résistance s’est essentiellement limitée à des déclarations sibyllines ou des gestes symboliques – comme une apparition à une réunion de frondeurs. Se contenter d’apparaître, ou de paraître, avaliser quand même la dérive du duo Valls-Hollande : difficile de trouver là de bonnes raisons de célébrer le courage politique de l’ancienne garde des Sceaux, qui aura illustré avec une certaine acuité l’expression "opposition de de pure forme".
Incarner un projet plutôt qu’un symbole
Pour les uns et les autres, Christiane Taubira n’a jamais cessé d’être ce qu’elle représente, et elle s’est laissée réduire à ce qu’elle représente – au bénéfice de tous, le sien en premier lieu – faute d’avoir incarné une action et une pensée politique plus concrètes. Elle a interprété un rôle ingrat mais flamboyant et lyrique dans un casting qui prévoyait de privilégier ses qualités de figurante. Et elle s’en est arrangée, non sans cabotiner, jusque dans cette mise en scène de sa fuite à vélo depuis la place Vendôme. L’ultime épisode, légèrement burlesque mais médiatisé avec enthousiasme, d’un feuilleton sans grande profondeur.
Il est de peu d’intérêt de l’accuser d’avoir pris goût au pouvoir au point de lui rester trop longtemps attachée, mais on peut être frappé par le fait qu’elle sorte à ce point gagnante de son expérience, quoi qu’elle fasse ensuite de ce capital politique et de cette image si puissante. C’est bien, alors, dans ce qu’elle va désormais faire de sa carrière que va se jouer le sens de celle-ci. Dans l’espace d’une gauche qui appelle des recompositions et des clarifications et qui s’agite à l’éventualité d’une primaire, elle a indéniablement la possibilité de jouer un rôle majeur. À condition, cette fois, de prendre ses responsabilités, de sortir de son rôle, de donner une profondeur à l’icône qu’elle ne peut se contenter d’interpréter indéfiniment.
Meilleur papier lu jusqu’à présent sur la démission de Taubira.
Répondre