Quelques mois après la publication de son livre Les Luttes des putes, Thierry Schaffauser – lui-même travailleur du sexe – estime que le procès du Carlton, dans lequel Dominique Strauss Kahn comparaît parmi les quatorze prévenus accusés de proxénétisme aggravé, illustre la manière biaisée dont la question de la prostitution est posée, occultant la nécessité d’offrir aux individus un statut et une protection.
Regards. Pourquoi, sur une quinzaine de personnes entendues pendant l’enquête préliminaire seulement quatre femmes se portent parties civiles dans le procès du Carlton ?
Thierry Schaffauser. Personne ne veut être exposé médiatiquement comme travailleur du sexe, ces femmes – dont je ne connais pas le parcours – prennent de réels risques. Le huis clos leur a été refusé. Les médias insistent beaucoup sur DSK et le procès ne s’attarde que sur la question du proxénétisme. Est-ce que DSK est client ou pas ? Est-ce qu’il savait ou pas ? Pour moi, ce sont des questions secondaires. Les faits d’abus et de violences sexuelles qui ont été mis en avant dans les témoignages ne sont pas traités pendant le procès, ils sont seulement évoqués au court des témoignages. Si l’on met en balance la gravité des faits, on est en décalage complet.
La manière dont les filles sont venues à la prostitution est examinée en détail. Celle dont certains prévenus seraient devenus proxénètes, d’autres violents, d’autres des patrons qui abusent de leurs salariées, ne semblent pas venir sur le tapis…
Ce devrait en effet être l’inverse. Le procès du Carlton raconte une histoire centrée sur une personnalité médiatique et sur du sensationnalisme. En réduisant les débats à des témoignages individuels, les causes structurelles de l’oppression sont masquées. De manière générale, de nombreux travailleurs subissent la précarité ou des contraintes fortes et ils se retrouvent à devoir accepter des formes de travail qui ne sont pas leur choix. Du côté des travailleurs sexuels, tout se passe comme si nos parcours personnels expliqueraient à eux seuls une forme de fragilité qui nous réduirait à notre condition. De ce fait, la protection des droits n’est pas examinée, ni la capacité des travailleurs à analyser et lutter contre les contraintes qu’ils subissent.
« L’État exclut les travailleurs du sexe du droit du travail »
Comment se passerait l’indemnisation des victimes s’il y avait condamnation ?
Si l’on met de côté la question de la violence, ce procès aurait aussi pu se dérouler aux prud’hommes, mais il se déroule en correctionnelle. Il n’y aura donc ni protection et ni indemnités pour ce qui concerne les conditions de travail. L’argent issu des procès n’est pas redistribué, ou en faible partie, aux personnes qui ont généré ces revenus. Du coup, l’État profite indirectement de notre travail. Je pense que 100% de l’argent que le client reverse devrait revenir au travailleur. On orchestre un État protecteur qui va sauver le faible sans regarder comment l’État, lui aussi, produit de l’oppression. Comment il met en place des forces de police qui répriment, comment il discrimine, comment il met en place des dispositions spécifiques – comme par exemple les lois sur le proxénétisme – qui excluent les travailleurs du sexe du droit du travail.
Pour protéger les travailleurs sexuels, vous proposez de développer des formes d’autogestion, de quoi s’agit-il ?
Un des avantages du travail sexuel est que les moyens de production sont très limités : un lieu pour la rencontre sexuelle avec les clients et un outil de publicité. La rue, sans intermédiaire entre le client et nous, a longtemps représenté une forme de liberté. Mais au cours du XXe siècle, la sexualité sur l’espace public a été de plus en plus pénalisée. Même les espaces de drague en extérieur pour les homos sont moins en moins nombreux. Le phénomène Internet a également joué. Tout cela implique donc de passer de plus en plus par des intermédiaires. L’idée est donc de pouvoir contrôler les moyens de faire sa propre publicité – avoir nos propres sites Internet, notre propre magazine – et des lieux en colocation à deux ou trois pour recevoir.
« Les travailleurs du sexe font partie de la classe ouvrière »
Ces colocations autogérées peuvent-elles voir le jour ?
Cela n’est pas possible aujourd’hui à cause des lois sur le proxénétisme. L’aide à la prostitution englobe tout ce qui est de l’ordre de l’entraide et de la solidarité entre nous. Ainsi, les femmes qui travaillent en camionnette dans la rue prennent des vacances en été pour retrouver leur famille, par exemple ; elles prêtent alors leur camionnette à leurs collègues. Elles peuvent être condamnées pour proxénétisme. Les lois qui sont censées nous protéger sont un frein à l’auto-organisation. Elles nous poussent à passer par des intermédiaires qui en plus, conscients de prendre des risques vis-à-vis de la loi, nous font payer un surcoût, sur le loyer, ou d’autres frais. En pratique, je pense que des formes d’autogestion existent, mais les collègues prennent des risques.
Sur quel type de luttes insiste votre livre ?
Sur les luttes actuelles pour la dépénalisation, l’accès aux droits, pour améliorer nos conditions de travail. Elles s’inscrivent à la fois dans les mouvements féministes et les luttes syndicales. Les travailleurs du sexe font partie de la classe ouvrière et cette approche manque dans la réflexion à gauche. Est-ce qu’on peut bénéficier des acquis des autres travailleurs avant nous ? Quelle solidarité peut-on nouer pour avancer ensemble sur des causes communes ? Comme pour les autres travailleurs, il s’agit de la lutte contre la précarité, pour le développement des droits sociaux, pour l’accès au logement et à la santé. Il est important de ne pas dissocier le droit du travail de l’ensemble des droits. Ce n’est pas un hasard si ce sont les minorités, les migrants, les plus dénuées de droits, qui sont majoritairement des travailleurs sexuels.
Je comprends l’agacement de Thierry Schaffauser qui milite, avec le Strass, pour que le proxénétisme soit dépénalisé et qui essaie de faire croire qu’il existe une prostitution propre, safe et même épanouissante pour les personnes prostituées. Et voilà que tous ses efforts ont été vains après les témoignages d’ex-prostituées indépendantes, au procès "du Carlton" ! C’est rageant.
Jade : "Je dormais dans ma salle de couchage en tenue, au cas où. Et pas question de ne pas se présenter quand on était dans la maison." "Combien aviez-vous de relations par jour ?" l’interroge le président du tribunal. "Il y a un moment où on préfère ne pas compter." et elle a décrit vendredi à la barre des conditions de travail proches de "l’abattage". Pourtant, à l’époque, leur "employeur" disait chouchouter ses hôtesses. "J’suis un papa pour les filles, un papa un peu incestueux parfois", comprendre : il "essayait" les" filles"comme il dit.
Le Strass, pseudo syndicat qui défend les intérêts des patrons (de bordels) et des consommateurs (ces hommes qui achètent des actes sexuels à des femmes précaires qui ne peuvent dire non).
Etre du côté des personnes prostituées, c’est leur permettre de sortir, si, et quand elles le veulent, de ce milieu extrêmement dangereux, Ce n’est pas réclamer que subir des actes sexuels non désirés devienne un métier.
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