Depuis dix jours, la rentrée est explosive autour de l’école primaire Jules-Ferry 1 dans le quartier Étienne-Marcel-Chanzy, à Montreuil. Chaque matin, une cinquantaine de parents d’élèves et de riverains sont rassemblés dès 7h30 à quelques mètres du portail, devant l’usine SNEM. Ils demandent la fermeture de cette petite entreprise de traitement de métaux.
Celle-ci consomme des produits toxiques pour faire subir des bains anticorrosion à des pièces d’acier destinées aux industriels de l’aéronautique, Safran et Airbus en tête.
« Plutôt que d’envoyer des CRS, la préfecture aurait dû envoyer des scientifiques ! »
Cette "installation classée pour la protection de l’environnement" (ICPE) est soumise à une autorisation du préfet et à des normes drastiques. Depuis une dizaine d’années, Nicolas Barraut, voisin immédiat du bâtiment, alarmé par la vétusté de la façade et par des odeurs inquiétantes, demande des garanties sur la sécurité du lieu, sans obtenir satisfaction. En juin dernier, un cas de leucémie chez un enfant du quartier (le troisième en dix-sept ans) a déclenché un mouvement collectif vite médiatisé.
Après une visite des locaux le 11 juillet dernier, les services de la Préfecture ont établi que l’évacuation, le stockage des déchets et les rejets atmosphériques n’étaient pas réglementaires (arrêté daté du 8 août). L’exploitant a été mis en demeure de procéder à une remise aux normes avec un délai allant jusqu’à trois mois pour les travaux de ventilation. L’usine peut donc légalement fonctionner jusqu’en novembre. C’est trop long, pour le collectif de riverains qui demandent l’application du principe de précaution.
Le 4 septembre, venus à une centaine, ils ont bloqué l’entrée et stoppé l’activité de l’usine pendant trois jours. Après avoir été délogés par la police le 7 septembre au matin, ils ont occupé les bureaux des quatre écoles du secteur. « Savoir d’où vient la leucémie n’est pas le principal : on ne cherche pas un coupable, explique Nicolas Barraud. Nous voulons que l’usine ferme et qu’il y ait des études sur le danger qu’elle fait courir aux élèves des écoles, aux riverains mais aussi aux salariés. Plutôt que d’envoyer des CRS, la préfecture aurait dû envoyer des scientifiques ! »
D’après un courrier de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France, daté du 4 septembre, un échantillon d’air prélevé par le Laboratoire central de la préfecture de police en août, à l’intérieur de l’usine, révélait un taux élevé de chrome 6. Celui-ci atteignait 3,6 microgrammes par m3, alors que la norme maximum pour une journée de travail entière ne doit pas dépasser un microgramme par m3 (selon la "valeur limite d’exposition professionnelle").
« On joue une course contre la montre. Et la mairie devrait la jouer avec nous. »
Le chrome 6 est un irritant pour les muqueuses et la peau classé par le Centre international de recherche sur le cancer dans le groupe des substances "certainement cancérogènes". « Avec ce taux, les ouvriers doivent impérativement avoir les protections adéquates », fait remarquer Gilles Cailhaud, chimiste de l’environnement au CNRS. Celui-ci ajoute : « Une seule analyse n’est pas suffisante. Si l’on veut faire une analyse de l’environnement, il faut comparer des prélèvements à différents moments de la journée et de la semaine. Et surtout analyser l’eau : étant mobile, l’eau polluée représente un plus grand danger pour l’environnement ».
Du côté des employés, il n’y a pas de comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui pourrait apporter une expertise indépendante. En revanche, il y a quatre ans, des salariés syndiqués à la CGT avaient lancé un cri d’alarme : « Dès qu’il pleut, l’eau envahit nos locaux ». Et le 6 septembre dernier, on a pu entendre de la bouche d’un employé en colère que les lieux n’étaient toujours pas étanches, et que les techniciens travaillaient « dans des conditions de m... ! »
Aujourd’hui, la CGT demande une mise aux normes pour maintenir les emplois, alors que le collectif de riverains et de parents d’élèves, estimant que le bâtiment est trop délabré, réclame la fermeture et le reclassement des salariés. Le collectif mobilisé, qui a lancé une saisine auprès du procureur de la République pour "mise en danger de la vie d’autrui", ne veut pas perdre de temps. L’usine pourrait fermer pour mise en liquidation judiciaire car la SNEM fait l’objet d’une procédure de sauvegarde.
« Nous avons vu ce qui s’est passé juste à côté, à Romainville, raconte Nicolas Barraut. La société Wipelec a mis la clé sous la porte en laissant un site ultra-pollué. Ici, nous voulons que la dépollution du site soit financée par les pollueurs et non par les contribuables. On joue un peu une course contre la montre. Et la mairie devrait la jouer avec nous tant que l’usine est en activité. »
« Ce sont Airbus et Safran les responsables, c’est à eux de payer la mise aux normes. »
Jeudi 14 septembre, le collectif attendait une réponse de la municipalité interpellée sur le déplacement sanitaire des élèves. Le maire avait lancé une étude épidémiologique dans les écoles proches pour évaluer la présence de composants potentiellement déclencheurs de leucémie. Le député de la circonscription, Alexis Corbières, serait pour sa part en train de préparer une question écrite sur le sujet à l’Assemblée.
Annie Thébaud-Mony, sociologue à l’INSERM et spécialiste de l’amiante, est venue apporter son soutien aux riverains et salariés le 8 septembre. Selon elle, le préfet aurait les moyens régaliens de s’adresser à Safran et Airbus : « Ce sont eux les responsables, c’est à eux de payer la mise aux normes, au nom du principe pollueur-payeur ».
L’affaire de la SNEM de Montreuil soulève la question de la responsabilité dans la chaîne de la sous-traitance : ce sont Airbus et Safran qui décident des méthodes de travail de leurs sous-traitants et donc des ouvriers de la SNEM. Airbus et Safran ayant obtenu une autorisation spéciale pour continuer à utiliser le chrome 6 après le 21 septembre, date de l’interdiction de cette substance par la réglementation européenne, les travailleurs de la SNEM devront continuer à manipuler cette substance.
Annie Thébaud-Mony pointe le scandale : « Cette dérogation concernant un produit dangereux revient à acheter un droit de tuer, de tuer les salariés et les riverains. Comme pour l’amiante, ce sont encore les industriels de l’industrie chimique qui ont obtenu ces dérogations. Depuis des années, ils bloquent les avancées de la réglementation de la communauté européenne ».