« Mercredi 2 avril 2014, j’ai quitté le parti socialiste. » C’est ainsi que Sophie Zana, présidente de Maintenant la gauche (la sensibilité animée par Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel) en Seine-Saint-Denis, conclut sa courte déclaration publiée sur Internet. Huit jours plus tard, c’est Caroline de Haas, ex-présidente d’Osez le féminisme et considérée comme une proche du nouveau ministre de l’Éducation nationale, Benoît Hamon, qui annonce sa démission du Parti socialiste. Les députés frondeurs lancent un appel des 100 au Premier ministre, alors que seulement onze d’entre eux ont se sont abstenus de voter la confiance à Manuel Valls.
« Révolte dans les casernes de l’armée rose »
Il faut dire que la dégelée des municipales, le remaniement qui l’a suivie et la désignation de Jean-Christophe Cambadélis à la tête de la rue du parti ont secoué plus d’un militant. Ces derniers crient à longueur de commentaires leur détresse. Elle gagne aussi les élus. Ainsi, Jean-Marie Darmian, maire de Créon en Gironde, constate, sur son blog, « l’incompréhension et la révolte dans les casernes de l’armée rose ». L’élu, qui est aussi secrétaire général adjoint de l’Association des maires de France, n’est pas connu comme membre des gauches du PS. Il écrit pourtant : « L’armée de la rose privée de plus en plus de fantassins militants et désormais décimée de ses cadres après deux vagues d’assaut mortelles qu’ont été les municipales et l’annonce de la suppression des casernements départementaux. On sent comme un vent de panique ! » Un écho, assez fort en gueule, aux inquiétudes de Jérôme Guedj, député de l’Essonne et proche de Marie-Noëlle Lienemann, sur la « survie du PS ».
Encore et toujours, au cœur des crispations internes au PS, il y a ce hiatus profond entre le discours du Bourget, qui symboliserait ce pour quoi François Hollande a été élu, et la feuille de route dévoilée par le Premier ministre Manuel Valls, mercredi 16 avril, sur le perron de l’Élysée. Il a confirmé qu’il n’y aurait aucun changement de cap. Au contraire, un approfondissement de la politique d’austérité mise en œuvre depuis deux ans désormais. Un exercice que Jérôme Guedj a qualifié de « lunaire » puisque « les députés ont découvert le détail de la feuille de route à la télévision ».
« La séquence politique n’est pas finie »
L’attente d’une prise en compte du parlement par l’exécutif, une des revendications des gauches du PS et des 80 députés frondeurs qui ont interpellé Manuel Valls il y a une semaine, a donc été récompensée. Par un souverain mépris. Si seuls onze députés socialistes se sont abstenus lors du vote de la confiance au gouvernement, promis, juré : on ne les y reprendra plus. « La séquence politique n’est pas finie », tranche Tania Assouline, membre du bureau national du PS émargeant à Un monde d’avance (le courant Hamon-Emmanuelli). Elle attend avec impatience la venue à l’Assemblée des mesures annoncées par Manuel Valls, dont le gel des prestations sociales, pour atteindre 50 milliards de baisse de la dépense publique.
« Malgré l’application très brutale d’une vision de la Ve République, le parlement reste encore un lieu de contre-pouvoir. Il y a des députés qui prendront leurs responsabilités, assure Tania Assouline, par ailleurs élue locale à Montreuil et conseillère régionale d’Île-de-France. Et, malgré les rappels à l’ordre, nous sommes nombreux à vouloir jouer ce rôle-là au sein même du Parti socialiste. » Et la jeune militante de mettre en exergue "l’appel des 100", ou les contre-propositions rédigées, à l’attention de Manuel Valls, par les députés frondeurs menés par Laurent Baumel, Christian Paul, Jérôme Guedj ou encore Pouria Amirshahi.
Négocier la saignée
Ce courrier se veut porteur de propositions réorientant à gauche la politique de la majorité. Il débute par une remise en cause de la cure d’austérité entérinée par l’Élysée : « Nous estimons dangereux économiquement, car conduisant à asphyxier la reprise et l’emploi, et contraire aux engagements pris devant nos électeurs, ce plan de 50 milliards d’économie sur la période 2015-2017 ». Pour autant, ils ne sont pas, clairement, pour une rupture avec la rigueur, en témoigne la phrase qui suit : « Au-delà de 35 milliards, nous croyons que reculs sociaux et mise à mal des services publics seront inéluctables ». Autant dire qu’ils négocient la profondeur de la saignée.
Les parlementaires exigent encore et toujours des "contreparties" au pacte de responsabilité dicté par le Medef. Ils écrivent ainsi : « (concernant les aides aux entreprises) on peut faire mieux avec moins, en ciblant sur l’industrie, en obtenant des contreparties sérieuses et précises en matière d’investissement, et en conditionnant les aides pour éviter tout détournement de l’effort public vers les dividendes, les hautes rémunérations ou la finance. Nous proposons de ramener l’enveloppe du Crédit impôt compétitivité emploi et la baisse des cotisations à 20 milliards au lieu des 30 prévus ». Là encore, il ne s’agit pas d’une remise en cause sur le fond des mesures prises, mais d’en limiter l’ampleur.
« Nous avons fait reculer la gauche dans les têtes et dans les faits »
En cette gauche du PS, il est de coutume de lire, dans ces "amendements" à la politique gouvernementale, des « haussements d’épaule destinés à retenir les militants ». Le ton de celles et ceux qui sont partis, ces derniers jours, pourrait donner raison aux détracteurs des gauches du PS. Ainsi, Caroline de Haas tranche : « Nous avons fait reculer la gauche dans les têtes et dans les faits lorsque nous avons parlé de coût du travail ou lieu de parler de la richesse qu’il constitue et du coût – exorbitant – du capital ». Sophie Zana renchérit : « Le 14 janvier 2014, entendre de la bouche du président de la République, que se poursuivent le cap libéral, la "baisse du coût du travail", le moins d’État, le moins de services publics, le moins de dotations aux collectivités locales, je ne veux plus, je ne peux plus l’entendre ».
D’autres, plus nombreux, quittent le PS sur la pointe des pieds, sans éclat, sans heurts. Pourtant, Tania Assouline veut croire que « les militants du PS, qui ne sont pas des moutons, sauront se faire entendre dans les semaines et les mois à venir ». La vérité des urnes sera lisible le 7 mai, jour où les députés doivent se prononcer sur la trajectoire budgétaire, c’est-à-dire la traduction de la feuille de route fixée par Bruxelles en accord avec l’exécutif français. Pouria Amirshahi, qui s’est abstenu de voter la confiance, a déclaré à Libération : « La trajectoire budgétaire qu’ils vont nous soumettre pour 2015-2017 est loin de recueillir l’unanimité. Je ne suis pas sûr qu’elle sera votée. » Et le député Un monde d’avance de prévenir : « La soldatesque des moines disciplinés, c’est le monde en noir et blanc : très peu pour moi. »
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Une seule solution : vive la dissolution ! http://gauchedecombat.net/2014/04/17/vive-la-dissolution/
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