Les deux expressions reviennent souvent sous la plume des commentateurs : « Laisser du temps au temps » et « il n’y a pas de problème urgent qu’une absence de solution ne puisse résoudre ». La première est de François Mitterrand, la seconde, d’Henri Queuille, regretté président du Conseil de la IVe République. Hélas, ces deux théoriciens de la stratégie de l’édredon ont fait des émules. François Hollande est l’un d’eux. On peut craindre par conséquent que l’après Cahuzac ressemble à l’avant. Au-delà de la personnalité du Président, il y a une bonne raison de le penser : l’affaire pose en profondeur un problème politique, et même de culture politique. Ce n’est pas un homme qu’il faut changer, mais l’homosocialicus. Une montagne ! C’est sur la conversion de la social-démocratie au néolibéralisme qu’il faudrait revenir. Peu à peu, une politique a fini par conditionner des comportements individuels. Depuis trente ans, certains de nos dirigeants socialistes sont allés si loin dans cette direction, que l’évasion fiscale n’est même plus, à leurs yeux, une pratique déviante. C’est un système. Un mode de redistribution au profit des plus riches. Les uns creusent le déficit, tandis que les autres — vous, moi, le salarié, le retraité, le chômeur — sont sommés de le combler. Et cela donne la politique d’austérité. On a l’impression que les responsables socialistes sont intégrés au système, au sens où on disait jadis qu’un syndicat corporatiste était intégré à l’appareil d’Etat.
Quelques noms illustrent cette mutation. Ce fut d’abord Jacques Delors — un précurseur — à la présidence de la commission européenne, puis Attali à la BERD, DSK à la tête du FMI, et Pascal Lamy à l’OMC. Et bien d’autres à des échelons inférieurs. C’est toute une culture qui a conditionné les individus, transformé les habitudes de vie des états-majors. Voilà pourquoi le changement, si on l’attend de ce côté, est hautement improbable. Et voilà pourquoi, on peut craindre que la stratégie de l’édredon, agrémentée de quelques trouvailles cosmétiques dans le genre « choc de moralisation » ou « publication de patrimoines », ne finisse, à court terme, par l’emporter. Si elle l’emportait durablement, le prix à payer serait terrible. Il s’ensuivrait un long discrédit de la parole politique : abstention, démobilisation, montée en puissance d’une droite dure, en seraient les manifestations.
Mais la politique, c’est la lutte des classes, c’est à dire des interactions et des rapports de forces. Ce qui est certain c’est qu’après Cahuzac, la politique d’austérité va devenir plus insupportable encore. Elle l’est déjà socialement, elle le sera moralement. Le sentiment d’injustice s’en trouvera exacerbé. Après Cahuzac, certains grands thèmes politiques peuvent être réimposés au centre du débat. La réforme bancaire, la réforme fiscale, la lutte contre l’évasion fiscale, l’interdiction des licenciements boursiers, vont prendre un tout autre sens. Toute une politique de renoncements et d’abandons marquée depuis un an par l’empreinte de l’ancien ministre du Budget peut être revisitée. Pour les raisons évoquées plus haut, il ne faut évidemment pas attendre que le Parti socialiste et le gouvernement opèrent ce tournant. Il dépendra donc beaucoup de la gauche de la gauche de réimposer ces thèmes. Peut-être est-ce aussi l’occasion de remettre en cause l’institution présidentielle. La question du financement de campagnes électorales devenues follement dispendieuses n’est pas pour rien dans le rapport des politiques à l’argent et aux milieux financiers. Si Cahuzac a été toléré, voire encouragé, c’est peut-être aussi parce que ses relations étaient bien utiles qu’efficaces. Au prix d’un accord au moins tacite sur la politique à mener ensuite.