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Accueil > Résistances | Par Maxime Combes, Nicolas Haeringer | 28 octobre 2014

En finir avec les grands projets inutiles, imposés et meurtriers

La mort de Rémi Fraisse a montré l’indignité d’un gouvernement qui y a réagi par le mépris. Elle résulte surtout du soutien aveugle à un projet aberrant, et du choix de criminaliser les mobilisations plutôt que de favoriser les expériences citoyennes.

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Maxime Combes et Nicolas Haeringer sont membres d’Attac et du comité de rédaction de la revue Mouvements.

La violence policière qui s’exerce depuis plus de deux mois sur la zone humide du Testet a abouti à la mort de Rémi Fraisse. Les circonstances exactes de son décès ne sont pas encore connues, même s’il apparaît de plus en plus clairement qu’il a été touché par un projectile (probablement une grenade assourdissante) tirée par les gendarmes mobiles. Il est surtout certain que Rémi serait encore vivant si les promoteurs du barrage ne s’étaient pas entêtés à poursuivre des travaux, controversés et injustifiés, conduits sous une répression brutale des opposants au projet.

En décidant de salir la mémoire de Rémi – plutôt que de présenter ses condoléances à la famille – et de dénoncer la violence des manifestants, le gouvernement fuit ses propres responsabilités. La manœuvre est classique, qui consiste à faire porter le débat sur la violence (supposée) des manifestants plutôt que sur les raisons qui ont poussé des milliers de personnes à se mobiliser contre un projet d’aménagement considéré comme inutile et imposé et qui est, désormais, meurtrier.

Entêtement meurtrier et répression des oppositions

La mobilisation citoyenne contre le projet de barrage de Sivens n’a pas débuté le week-end dernier. Depuis des mois, des paysans, des riverains et des militants dénoncent un projet aberrant, dont l’objectif est de soutenir l’agriculture productiviste et insoutenable plutôt que de protéger une zone humide, habitée par de nombreuses espèces protégées. Depuis des mois ces opposants alertent sur la brutalité des forces de l’ordre. Si le gouvernement ne les avait pas délibérément ignorés, s’il avait accepté d’écouter les arguments des opposants plutôt que de leur répondre par la force, Rémi serait encore vivant.

Rien ne justifie ce refus du dialogue et cet entêtement meurtrier. Le gouvernement doit donc répondre de ses choix et de leurs conséquences. On rappellera ici que le principe qui doit théoriquement guider tout opération dite de "maintien de l’ordre" est le suivant : l’intervention des autorités ne doit pas créer un trouble à l’ordre public plus important que celui auquel la dite intervention est censée répondre. Quelle est donc la nature de ce trouble qui justifierait la répression brutale et aveugle ? À Sivens, en prévision du rassemblement du week-end passé, les engins de chantier avaient été préalablement déplacés. La présence de gendarmes mobiles suréquipés ne visait donc pas à empêcher des actes de sabotage.

Ce que le gouvernement souhaite éviter à tout prix, à Sivens comme ailleurs (à Notre-Dame-des-Landes par exemple), c’est donc bien l’expression même de l’opposition à ces grands projets inutiles, imposés et désormais meurtriers. Ce que Manuel Valls – alors ministre de l’Intérieur, il parlait, à propos de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, d’un « kyste » – et François Hollande ne veulent pas tolérer, ce sont ces occupations assorties de l’expérimentation de modes de vie alternatifs, autosuffisants, réellement durables.

François Hollande devant un choix

Ce n’est qu’un renoncement de plus, tragique, pour un président qui se voulait « à l’écoute » et affirmait ne pas vouloir « diviser » la société. L’histoire retiendra désormais de la présidence de François Hollande qu’elle est la première depuis celle de Giscard d’Estaing au cours de laquelle un militant a trouvé la mort lors d’une manifestation écologiste. Pour notre génération, celle qui a grandi avec le mouvement altermondialiste, la mort de Rémi fait écho à celle de Carlo Giuliani à Gênes en 2001, tué par la brutale et meurtrière police italienne à qui Berlusconi avait donné carte blanche.

En 1986, les socialistes considéraient la mort de Malik Oussekine, le 6 décembre 1986, comme une faute politique. Le jeune homme avait été tué par des policiers, partis « à la chasse aux casseurs » après une manifestation étudiante. Alain Devaquet, ministre délégué à l’Enseignement supérieur, avait été contraint à la démission. Jacques Chirac, alors premier ministre, décidait par la suite de retirer le projet de loi. Le "bataillon de voltigeurs", mis en place par Robert Pandraud et Charles Pasqua, était rapidement dissout, bien que ces derniers aient décidé de nier leur responsabilité, préférant salir Malik. De son côté, François Mitterrand avait transmis à la famille de Malik le « témoignage de la nation ».

François Hollande est donc confronté à un choix : se ranger du côté de Berlusconi et Pasqua, en refusant de reconnaître la responsabilité de son gouvernement ou, au contraire, reconnaître le désastre que leurs choix ont provoqué, et mettre en place une commission d’enquête indépendante sur les circonstances exactes du décès de Rémi. Au-delà, la seule sortie honorable serait de décréter un moratoire général sur l’ensemble des grands projets inutiles, et imposés.

Des pratiques et des expériences à défendre

De fait, le barrage de Sivens n’est pas le seul projet d’aménagement pour lequel le gouvernement français fait le choix de la répression et de la criminalisation des mobilisations citoyennes contre le dialogue. Notre-Dame-des-Landes, la ligne ferroviaire Lyon-Turin – dont les travaux doivent débuter côté français en décembre – ou encore la centrale biomasse d’E.On à Gardannes, Europacity, l’usine des 1000 vaches, OL Land, etc. sont autant de grands projets d’aménagement contre les dangers desquels se mobilisent de nombreux groupes citoyens. Pour que le sang ne coule pas à nouveau, il est encore temps de stopper ces projets d’un autre temps et contraires à l’urgente transition écologique et sociale.

François Hollande, le gouvernement et le Parti socialiste semblent totalement incapables de lire l’opposition à ces projets comme une manifestation du « principe démocratie » qu’analysent le sociologue Albert Ogien et la philosophe Sandra Laugier. Hollande, Valls et le PS comprennent ces mobilisations comme autant de formes d’obscurantisme et de blocage rétrograde là où nous voyons des pratiques et des expériences à défendre, des pistes pour inventer une société réellement durable et respectueuse des écosystèmes. Plutôt que d’envoyer la troupe, il serait possible d’imaginer des politiques réellement innovantes, à partir des pratiques et expérience dans lesquels s’engagent les acteurs mobilisés à Notre-Dame-des-Landes, à Sivens, etc.

En plein débat sur la transition écologique, on se prend à rêver que ces zones initialement vouées à être bétonnées soient reconnues comme des espaces d’expérimentations de modes de vie soutenables, accueillant ici un centre de ressources et de recherche sur la permaculture et l’habitat léger ; là un lieu de formation à l’agroécologie paysanne ; ailleurs un laboratoire participatif de travail sur les énergies renouvelables.

Entre la répression policière et le soutien à des expériences concrètes de transition écologique, entre le déshonneur et l’expérimentation sociale, François Hollande et le gouvernement ont donc le choix.

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  • Sur le terrain social ou écologique on revit ce que les sociologues ont décris des années 30 qui ont mener aux fascismes et pire.

    On provoque de la violence contre la misère sociale pour justifier un durcissement des lois répressives et augmenter l’asservissement des classes dirigeantes.

    En effet les gens sont soient passifs,soient par colère ont des réactions spontanément violentes sans que ce soit une attitude réfléchie.

    La Renaudie Le 28 octobre 2014 à 17:12
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  • Il faut arrêter d’être dans la plainte et le regret. Dans ces luttes, toute une nouvelle génération de militants écologistes et de gauche radicale ont été formés. Il y a là un terreau à exploiter. Le fait que les luttes grandissent partout est plutôt encourageant : ce n’est pas un fait nouveau, mais aujourd’hui il y a beaucoup plus de lieux de combats. Il faut continuer la formation et taper partout, encore, encore, encore.

    Clément M. Le 29 octobre 2014 à 09:36
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  • J’ose affirmer qu’à Sivens c’est un double assassinat qui est en passe d’être commis.
    Bien sûr en 1er le meurtre de Rémi est un drame inqualifiable.
    Mais je veux dire aussi que tout barrage est un crime contre l’environnement.
    J’ai été prof dans l’enseignement agricole, dans l’Aveyron, et tenait déjà ce discours à mes élèves futurs agriculteurs dans les années 80.
    Biologiste, comme Rémi, j’enseignais l’agronomie tout en suivant des cours en fac, en hydrobiologie, protection des cultures...
    On pouvait démontrer scientifiquement que tout barrage détruit l’environnement immédiat, mais aussi confisque l’eau au bassin versant et en gaspille une grande partie par l’évaporation. De plus le cours d’eau en aval appauvri en oxygène est encore affaibli face aux pollutions.
    De plus les quelques exploitants de proximité qui vont en bénéficier vont développer des cultures inadaptées et sur-traiter.
    Je qualifiais déjà la maïsiculture de "pollution verte"
    L’agence de bassin Adour-Garonne qui avait été crée pour améliorer la qualité des eaux dans le grand Sud-Ouest a accompli l’inverse des ses objectifs, en finançant notamment ce type d’ouvrage.
    J’avais directement interpellé à ce sujet le président de l’Agence en 1981. Il en convenait.
    Mais les lobbys agro-politico-industriels ont fait la loi.
    J’espère que mon témoignage contribuera à donner encore plus de motivations aux jeunes générations.
    Ne lâchons rien !

    Franc33 Le 15 novembre 2014 à 12:01
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