Le totem économique
François Hollande, président de la République française, s’est rendu accompagné d’une cohorte d’hommes d’affaires mardi 19 février à Athènes à l’invitation du Premier ministre grec Antonis Samaras. Le déplacement, qui a duré 6 heures, n’a suscité qu’une relative indifférence et a très peu été relayé par les médias, suite à un appel à la grève lancé ce jour-là par la centrale syndicale des journalistes grecs. Discrétion, sourire, le président français venu « en ami » se démarque ainsi de la chancelière allemande Angela Merkel, dont la visite le 9 octobre dernier avait déclenché des manifestations d’hostilité dans tout le pays. La méthode douce en somme, mais pour quels résultats ?
Prenant soin d’accorder la veille un entretien au quotidien de centre gauche Ta Nea, « placé sous le signe de l’optimisme » - alors qu’aujourd’hui 3.9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, soit plus d’un tiers de la population grecque ! - au mieux a-t-il pu « miser sur la croissance », invoquée une fois de plus comme un mantra. Aucune certitude ne se dégage des indicateurs économiques : le déficit public pourrait atteindre 4,3 % du PIB pour 2013, contre un objectif initial de 5,5 %, mais la dette grecque devrait continuer à progresser jusqu’en 2014 pour atteindre 190 % du PIB. Quel crédit accorder à ces prévisions, régulièrement démenties par les faits ?
Malgré l’accord conclu le 8 février par les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne, le budget européen pour la période 2014-2020 – dit « cadre financier pluriannuel », fait toujours l’objet de débats houleux, et ne pourra être voté avant l’été. Il prévoit de toute façon un budget en baisse pour les 6 prochaines années. Dans ce cadre, on voit mal quelles avancées concrètes pourraient être annoncées en terme de relance. D’autant que la France, où se conjuguent croissance faible et déficit supérieur à 3%, apparaît à son tour comme un « mauvais élève » de l’Europe. Un paradoxe pour un des État prêteur, qui serait bien malvenu à asséner le credo néo-libéral à ses voisins.
Vendre des frégates à un pays d’armateurs
L’affichage par François Hollande de sa « confiance » et de son « soutien », est censé « rassurer » les quelques industriels français restés en Grèce (Bic, Lafarge, Alstom), voire d’hypothétiques investisseurs comme Vinci, alors que le Crédit Agricole, la Société Générale ou Carrefour ont déjà fermé boutique. Pour les convaincre, il n’est pas à exclure que le gouvernement grec soit obligé de leur accorder des avantages tels (dégrèvement fiscal, mesures dérogatoires au droit du travail…) qu’à l’arrivée, l’opération se solde par encore plus de sacrifices pour la population grecque.
Mais cette apparente visite de courtoisie vise surtout à conclure un gros accord de location-vente portant sur des frégates de la société DCNS. Il ne s’agit évidemment pas d’une simple flottille de plaisance, mais de frégates multimission, dites FREMM, qui devront notamment servir pour la recherche de pétrole et de gaz en mer Egée, où Total a d’importantes visées. L’enjeu est de taille et le ministre français de la Défense Jean-Yves le Drian appuiera à son tour ce projet lors d’une visite officielle la semaine suivante.
Comme représentant de la « Task force », dont l’arrivée des inspecteurs des bailleurs de fonds attendue fin février est censée aider la Grèce à devenir plus compétitive, François Hollande serait plus inspiré de relever le cas de l’usine Vio.Me de Thessalonique, reprise en autogestion sous forme de coopérative ouvrière, dont le succès pourrait servir d’exemple pour le ministère du Redressement productif comme pour celui de l’Economie sociale et solidaire.
La justice taboue
« Libérer l’initiative » ne peut se faire dans le cadre d’une démocratie dysfonctionnelle, au risque sinon d’un contexte social explosif. Dans ce cas « exporter le savoir-faire français » [1] consistait, sous le précédent gouvernement, à opposer une réponse brutale et immédiate à tout problème sécuritaire. Pour s’en démarquer, le gouvernement actuel pourrait à l’inverse mettre l’accent sur la méthode de la garde des sceaux Christiane Taubira en terme de dynamique démocratique [2].
Là où précisément l’Europe conditionne le versement de ses aides à une réforme de l’administration, le blocage institutionnel des pouvoirs législatif et exécutif invite à repenser le rôle du 3e pouvoir, judiciaire, qui doit avoir les moyens de lutter contre la corruption et de protéger les droits des citoyens, fragilisés quotidiennement par les effets des politiques économiques.
Le tribunal correctionnel d’Igoumenitsa a ainsi publié le 15 janvier 2013 une décision fondée sur l’état de nécessité, conduisant à l’acquittement de quinze personnes évadées alors qu’elles se trouvaient détenues dans des conditions jugées dégradantes [3].
Les magistrats mobilisent les outils à leur portée : en grève depuis des mois alors que ce droit ne leur est pas constitutionnellement reconnu, ils se heurtent à une fin de non-recevoir du gouvernement, et en appellent à la coopération internationale pour faire entendre leurs revendications. Les institutions européennes font la sourde oreille mais l’association des Magistrats Européens pour la Démocratie Et les Libertés (Medel) s’est, quant à elle, prononcée en solidarité.
Georges Almpouras, président du Tribunal de première instance de Karpenisi, invité au dernier congrès du Syndicat de la Magistrature à Paris a pointé ces difficultés (voir la vidéo ci-dessous).
Des recours sont toujours pendants contre les deuxième et troisième memoranda… On comprendra les réticences de l’exécutif à aborder le sujet sensible de l’indépendance de la justice. Une journée nationale de grève générale contre les plans d’austérité est décrétée pour le lendemain de son voyage, François Hollande, lui, sera déjà reparti.