À mi-mandat, la "boite à outils" de François Hollande s’est-elle transformée en pochette-surprise ? Dans l’objectif assez désespéré de restaurer une présidence si mal en point, non pas en recourant à des décisions proprement politiques mais en faisant appel à quelques tours de communication, le président a sorti de son chapeau – outre des tablettes pour les collégiens – le projet pour Paris de faire acte de candidature pour l’organisation des Jeux olympiques 2024, parallèlement à celle pour la tenue de l’Exposition universelle l’année suivante.
Candidature à l’échec
De cette semi-annonce, énoncée au cours de l’émission télévisée du 6 novembre, les commentateurs ont surtout retenu la réponse cassante de la maire de Paris, Anne Hidalgo, le lendemain : « Je voudrais vous dire que rien ni personne ne me fera changer de calendrier et de méthode, en ce qui concerne notamment la candidature de Paris aux Jeux olympiques. » [1] Celle-ci avait d’ailleurs rappelé, en mai dernier : « Je n’ai pas porté ce projet dans ma campagne. Les Parisiens attendent de moi du logement, des équipements, de la justice, de la facilité économique. » La prudence de l’édile, que le président avait pointée sur TF1, se justifie pourtant parfaitement.
En premier lieu, une candidature aux JO, qui nécessite en soi d’importants moyens financiers, oblige à organiser une considérable opération de communication, qui a pour caractéristique essentielle de n’être profitable que si elle est gagnante : les échecs enregistrés pour les éditions de 1992, 2008 et 2012 avaient ainsi alimenté l’autodénigrement national sur la capacité de la France, moins à organiser cet événement qu’à mettre en œuvre ce qu’il fallait pour l’obtenir (peu importait, d’ailleurs, qu’il s’agisse de recourir à des moyens allant du lobbying le plus éhonté à la corruption, le cas échéant). Le processus de candidature est long, complexe, coûteux, et soumis à des aléas comme seules les organisations sportives internationales peuvent en réserver.
On pourrait toutefois estimer que le jeu en vaut la chandelle, et que l’expérience aidant, Paris aurait plus de chances de l’emporter cette fois-ci. Las, et cela illustre la science du contretemps, voire du contresens, de François Hollande : sa proposition survient au moment même où l’on n’a jamais autant remis en cause l’intérêt économique et l’intérêt général des grands événements sportifs pour les métropoles et les pays qui les organisent.
Illusoires retombées économiques
Le mythe des formidables retombées économiques a en effet volé en éclats, sous l’impact d’exemples particulièrement désastreux comme en donnèrent par exemple les JO d’Athènes et le championnat d’Europe de football au Portugal, organisés tous deux en 2004, qui ont légué des infrastructures et des équipements inutiles et aggravé dramatiquement la dette des États et des collectivités locales. Aux "éléphants blancs", comme ceux qui parsèment le territoire de l’Afrique du Sud depuis le Mondial 2010, s’ajoutent des désastres écologiques comme celui des JO d’hiver de Sotchi et des dénis de démocratie tels que les a illustrés la Coupe du monde cette année au Brésil.
Les études les plus récentes indiquent soit la difficulté à évaluer ces retombées, soit l’assurance qu’elles sont négatives, obligeant à invoquer de nébuleux bénéfices d’image [2]. Leurs partisans estiment que des JO ou une Coupe du monde de football peuvent faire office d’« accélérateurs » économiques en favorisant des grands projets d’aménagement ? Mais, d’une part, leur cahier des charges ne peut se juxtaposer que ponctuellement aux besoins réels d’une région ou d’une ville et, d’autre part, les investissements nécessaires peuvent tout aussi bien être consentis directement dans les projets utiles (ce que les économistes calculent comme des "coûts d’opportunité"). [3]
Ainsi, lorsqu’il s’était agi de vendre à l’opinion les bienfaits de la réception du championnat d’Europe de football 2016 en France, impliquant la rénovation ou la construction d’une dizaine de stades, le conte de fées présentait les partenariats public-privé comme la panacée, sa bande-son était celle du "retard français" en matière de stades. À un an et demi de la compétition, les perspectives sont incertaines, ou alarmantes. Les rapports parlementaires se sont enchaînés sur les travers des PPP, « bombes à retardements » pour les collectivités, parfaite illustration de la mutualisation des dépenses et de la privatisation des profits. [4]
Diktat des organisations sportives
Le pouvoir des organisations sportives est lui-même de plus en plus contesté, au travers des conditions qu’elles imposent aux pays et villes hôtes. Celles qui ont une portée symbolique : zone d’exclusion commerciale au profit de leurs sponsors durant les compétitions, espaces de circulations réservés pour leurs membres. Et surtout celles qui mettent les compétitions au service de leurs profits : ainsi, l’UEFA, qui attend 900 millions d’euros de bénéfices de l’Euro 2016 en France, avait-elle stipulé aux pays candidats qu’ils devraient l’exonérer d’impôts. L’information n’a eu quelque écho qu’en début de ce mois [5]. L’instance de Michel Platini a annoncé, le 23 octobre dernier, qu’elle reverserait charitablement 20 millions aux dix villes qui accueillent des matches…
Engagés dans une course au profit en totale contradiction avec les valeurs dont ils font leur communication, la FIFA, l’UEFA ou le CIO imposent des critères et des cahiers des charges de plus en plus exigeants, au point que Munich, Stockholm, Davos, Oslo et Cracovie (certains après référendum) ont renoncé à candidater pour l’organisation des JO d’hiver 2022, ne laissant en lice que Pékin et Almaty au Kazakhstan. L’attribution des compétitions elle-même atteste que les gouvernements sportifs, autocratiques, opaques et incapables de s’autocontrôler, sont les vecteurs d’une corruption institutionnelle. [6]
Le moment choisi par François Hollande pour préconiser une candidature olympique est donc celui où les projets de ce genre ne sont jamais apparus aussi aventureux et leurs bénéfices aussi douteux. L’urgence est plutôt, pour les États, de faire pression afin de changer le rapport de forces et d’imposer des conditions décentes aux pouvoirs sportifs mondiaux. « Les Jeux sont désormais un luxe de pays émergent à forte croissance ou un caprice d’autocrate mégalomane. Que les dieux de l’Olympe nous préservent de Paris 2024 », écrivait en février dernier l’économiste Jean-Pascal Gayant. Héros élyséen déchu, le président de la République semble enclin à un tel fourvoiement.
Bonjour,
Le mythe des grands événements sportifs facteurs d’union nationale et créateurs d’emploi semble malheureusement intouchable comme le sport en général. Il est toujours étonnant de voir les purs libéraux prôner subitement une politique keynésienne de grands travaux.
Sujet tabou et consensuel, le sport reste un point aveugle. De l’extrême droite à l’extrême gauche - y compris chez les militants dits progressistes - la volonté de ne rien savoir sur le sport entendu comme "fait social" est terrible.
Vive l’Euro 2016 vont nous crier les Cohn Bendit et Besancenot aveugles aux sommes colossales englouties. Et je ne parle pas des valeurs véhiculées par le sport (entendu comme activité physique compétitive et codifiée).
Vous pouvez demander mon dernier ouvrage aux Editions du Cavalier Bleu
Bien à vous
Michel Caillat
Auteur de "Sport : l’imposture absolue" (2014, Cavalier Bleu), et de divers ouvrages de sociologie du sport
Responsable du Centre d’analyse critique du sport (CACS)
Ancien professeur d’économie et de droit
0682575573
lecacs@live.fr
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