Accueil > Culture | Entretien par Nicolas Kssis | 7 mars 2014

Lola Lafon : « Une femme n’est jamais ce qu’elle accomplit »

Avec son roman "La petite communiste qui ne souriait jamais", et au travers du personnage de Nadia Comăneci, championne d’exception érigée en modèle par le régime de Ceausescu, Lola Lafon parle des femmes et de l’instrumentalisation de leur corps…

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Regards. Pourquoi avoir choisi un tel sujet et comment l’avez-vous travaillé ?

Lola Lafon. Tout le monde me pose cette question, mais je ne sais pas toujours comment y répondre. Évidemment, à titre personnel, j’ai grandi en Roumanie à cette époque et le personnage me parlait. En outre, c’était l’occasion d’aborder un certain nombre de thématiques qui me sont chères, comme celle du genre. Je suis une femme et je parle de cet endroit, mais je n’ai pas essayé de me mettre à la place de Nadia Comăneci. J’ai surtout voulu disséquer et rappeler comment elle avait été présentée au monde, comment les commentateurs l’ont décrite. Pour cela, j’ai effectué beaucoup de recherches en amont.

Justement, la restitution de ces années entre les JO de Montréal et ceux de Los Angeles laisse pantois quant à la violence que subit cette femme athlète ?

En effet, je n’imaginais pas une telle violence, une telle obscénité. Une femme n’est jamais ce qu’elle accomplit, mais d’abord sa sexualité et son corps. Durant cette période, nous étions confrontés à des gymnastes maintenues dans une enfance prolongée, sans maquillage ni aucun autre signe de ce genre. Aujourd’hui, dans notre ère "marchande", au contraire, on surjoue la féminisation et dorénavant, les jeunes filles gymnastes sont même, à l’inverse, extrêmement maquillées. On constate également l’obligation de porter des manches longues afin de cacher les muscles, comme s’il ne fallait pas qu’elles exhibent ces attributs, pourtant inévitables dans leur discipline. Il faut souligner que les gymnastes sont parmi les sportives qui développent le plus de puissance, une force impressionnante.

Le sport n’est-il pas, finalement, un espace idéal pour révéler ces logiques et ces enjeux autour du corps de la femme ?

Pas plus que d’autres dans reste de la société. C’est juste le sujet que j’ai choisi, en l’occurrence. Je trouve simplement qu’il illustre bien cette malédiction. Nadia Comăneci accomplit quelque chose d’unique, une performance qui ne sera peut-être plus jamais égalée. Mais cela ne change rien pour elle, en tant que femme. J’ai été frappée aussi récemment par la façon dont le cas de Marion Bartoli a été traité quand elle a annoncé sa retraite, de la manière dont on s’appropriait son corps, qui devenait une sorte d’image nationale, jusque dans les avis sur son "surpoids". J’avais eu la même impression quand Laure Manaudou avait décidé d’arrêter sa carrière, ou même avant de quitter Philippe Lucas, comme si elle trahissait le pays. Leurs corps sont médiatisés, elles en sont dépossédées.

Vous établissez une comparaison entre la situation des sportives dans les anciens pays du bloc de l’Est et aujourd’hui …

Les états communistes ou libéraux exerçaient ou exercent la même pression sur le corps des femmes, que ce soit au nom d’enjeux politiques ou des besoins du marché. Ce sont deux procédés assez similaires. Nous connaissons bien ce qui s’est produit dans les républiques populaires, le dopage, le dressage des athlètes, etc. Avons-nous bien conscience de ce qui se déroule sous nos yeux pour le bon plaisir des sponsors ? Est-ce si différent pour les sportives ? N’est-ce pas aussi grave ?

Pourtant, dans votre livre, Nadia Comăneci est tout sauf soumise !

Elle n’accepte pas le statut de victime. Dès le début elle refuse d’être comme les autres, que ce soit chez les communistes ou aux États-Unis ensuite. Dans la Roumanie communiste, tu ne pouvais pas résister frontalement. Cela passait par des choses ou des attitudes plus subtiles. Ce qui est son cas, par exemple quand elle ne sourit pas pour les médailles.

À la fin, on a le sentiment qu’elle ne croit ni dans le communisme ni dans ce qu’elle vit à l’Ouest, qu’elle reste entre deux mondes ?

Je pense que cela vient plus de moi. Parce que j’ai grandi en Roumanie et que j’ai découvert l’occident tardivement. Je refuse l’idée de croire. Cela renvoie à la religion. C’est mon coté libertaire qui doit marquer ici son empreinte.

La petite communiste qui ne souriait jamais, de Lola Lafon. Roman, Actes Sud 2014, 21 euros.

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  • Le concept et la passion du soleil.

    Quand
    l’arbre de la
    vie rappelle
    la jeunesse
    un tendre
    concept décrit
    le soleil.

    Francesco Sinibaldi

    Francesco Sinibaldi Le 24 juin 2014 à 14:50
  •  
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