Faire un film sur ce qu’il y a de moins visuel, à savoir le son, les voix d’une radio, l’idée paraitrait saugrenue, si elle n’était proposée par Nicolas Philibert, documentariste remarqué depuis ses travaux sur le Louvre (La Ville Louvre), l’école et la transmission du savoir (Etre et Avoir) ou l’anti psychiatrie telle qu’elle est mise en pratique à la clinique de La Borde (La moindre des choses). Rectifions notre propos. Car si par définition le son est « sonore », nous savons, d’expérience, qu’en même temps il n’y a pas plus évocateur, pas plus ouvert sur l’imaginaire que lui. A la radio particulièrement, où, à chaque son correspond une image, à chaque voix un visage. Pas forcément de la personne réelle, mais en tous cas résultant d’une (re)construction visuelle, associée à chaque timbre singulier. Un travail d’invention constant et infini propre à chaque auditeur–auditrice. Au point ou nous en sommes, autant se faire prévenant. Ainsi, si vous n’aimez pas la radio et encore moins le service public, si la création sonore, les bruits et les silences vous hérissent les poils d’agacement, autant passer votre chemin. Cette Maison de la Radio au sein de laquelle Philibert a passé plusieurs mois, au coeur de laquelle il nous immerge pendant près de deux heures, n’est pas pour vous. Les autres par contre seront très bienvenus.
Il s’agit donc d’un film sur le son, et le travail humain qu’il nécessite, à tous les étages de cet édifice que l’on appelle affectueusement la maison ronde. L’inventaire à la Prévert de cette institution radiophonique impressionne : une soixantaine de studios, des auditoriums, une salle de concert et un millier de bureaux, la maison de la Radio réunit l’administration centrale de Radio France et les services de la plupart de ses stations : France Info, France Bleu, France Culture, France Musique, le Mouv’ et FIP. Elle héberge aussi les locaux de Radio France Internationale (RFI), qui a longtemps fait partie de l’entreprise publique avant de devenir une société distincte, ainsi que quatre formations musicales permanentes, une régie publicitaire et diverses filiales encore, dixit le dossier de presse. En résumé, un paquebot. Ou bien une arche, circulaire, au milieu de laquelle Philibert se promène. Bien entendu, le documentariste, comme tout auditeur pratiquant, voire militant de la radio de service public, a ses « chouchous » qui peuvent parfois aussi être les nôtres, comme Alain Veinstein ou Colin et Mauduit. Mais ce qui passionne véritablement se situe ailleurs. A la fois dans la surprise qui nous saisit au moment où l’on fait connaissance de visu avec certaines voix familières, comme Angélique Bouin ou Mickael Thébaut, présences indispensables à la matinale de France Inter, mais aussi en découvrant celles et ceux qui nous sont totalement inconn(e)s mais sans lesquel(le)s l’âme de cette maison serait tout autre, les « petites voix » des grandes émissions, les producteurs attentifs, les techniciens amusés, les musiciens inspirés...
La démarche de Philibert, pour inédite qu’elle soit au cinéma, ne doit pas faire oublier l’autre grand et même gigantesque documentaire qui ait été consacré à la maison de la radio. Un documentaire sans images, radiophonique donc, que l’on doit au « tailleur de son » qu’était Yann Paranthoen. Un portrait de Lulu (c’est le titre de cette œuvre), femme de ménage au travers du regard de laquelle se détachait le portrait singulier du service public de radiophonie où elle passait le balai tous les matins… Philibert lui rend hommage, en gardant au montage le moment de solitude de Jean Bernard Pouy organisé par Rebecca Manzoni pour son émission. L’auteur du Poulpe se souvient alors de Paranthoën, enregistrant le bruit des patates qui poussent dans la terre. Un moment de poésie comme seule une radio pouvait l’offrir à ses auditeurs, autant dire un luxe aussi radicalement élitaire que radicalement disparu…
Il est d’usage dans les milieux de la télévision, afin de désigner les « pas beaux » les moches, celles et ceux qui ne répondent pas positivement à ses diktats esthétiques d’utiliser cette expression pour le moins condescendante : « il/elle a une tronche à faire de la radio ». Le film de Philibert y répond à sa manière, c’est à dire celle d’un cinéaste documentaire, en choisissant manifestement le parti de la beauté du son, son élégance et celle de ceux qui le véhiculent par les ondes, grandes, petites ou moyennes, contre celui des autres. Contre celui des cons.