Ce livre est comme un manifeste, pour une nouvelle génération de chercheurs, sous la houlette d’un historien et d’un sociologue. Emmanuel Bellanger et Julian Mischi sont à l’image exacte d’un état d’esprit passionnant. Ils ne s’embarrassent pas d’a priori doctrinaux et de précautions disciplinaires. Voilà quelques décennies que les sciences sociales dissertent sur les mérites de l’interdisciplinarité ; eux sont ouvertement transdisciplinaires. Histoire, sociologie, politologie, prosopographie… Qu’importe le champ et la méthode scientifiques, dès l’instant où ils apportent de la rigueur intellectuelle. L’étude monographique a été longtemps l’antidote des théorisations trop abstraites ? Ils en reprennent l’usage, mais en évitant l’enfermement dans la juxtaposition infinie des territoires locaux. Ni objet séparé, ni simple illustration du « général », le détour par le local est une manière de penser, de façon plus concrète, le grand « tout » de la vie sociale.
L’objet de la méthode : l’ancrage territorial du communisme, ce que l’on appelle souvent le « communisme municipal » (un terme au demeurant souvent récusé par les dirigeants communistes eux-mêmes). L’intérêt de l’approche est multiple. Elle donne, tout d’abord, une image du communisme infiniment moins simpliste que celles, antagoniques, qu’ont distillées les communistes eux-mêmes ou leurs adversaires. La cohérence ou le monolithisme revendiqués ou attribués laissent la place à la diversité, aux écarts, aux failles du contrôle partisan, aux marges d’autonomie, aux accommodements heureux ou malheureux vis-à-vis de la doctrine.
L’ancrage local, en outre, est l’occasion de percer à jour le « mystère » de l’implantation d’une formation partisane à part entière qui s’articule à une sociabilité populaire complexe, dont l’institution municipale s’empare et qu’elle contribue à reproduire. Plus qu’un parti à prétention omnipotente, le communisme politique apparaît ainsi comme une galaxie raccordant le partisan à l’associatif, au syndical et à l’institutionnel. La force de ce communisme-là ? Sans doute de marier, avec plus ou moins de bonheur la radicalité du projet et le pragmatisme de la gestion quotidienne. La fonction de socialisation de la social-démocratie européenne, mariée à la fonction utopique et critique de la tradition révolutionnaire…
Enfin, l’ouvrage collectif est une occasion de réfléchir, tout autant qu’à ce qui fit la force du communisme, à ce qui noua son déclin. Des mutations sociales spectaculaires, non perçues ou mal perçues, finissent par rompre les liens de l’institution partisane et de la sociabilité populaire. Le local, les difficultés et les hésitations de la pratique municipale apparaissent alors comme un lieu de cristallisation des ajustements, des prises de distance. Le tout sur fond de déclin…
Au total, un superbe ouvrage : une belle leçon de méthode et une mine de réflexions, à la fois pour l’historien, le passionné d’histoire ou le militant.