UNE MIDINALE À VOIR...
ET À LIRE...
Sur la perception communiste de la victoire de François Mitterrand le 10 mai 1981
« La masse des communistes était très heureuse le soir du 10 mai 1981 : c’était l’aboutissement d’un espoir qui durait depuis presque deux décennies. »
« Que la gauche ait pu se réunir sur la base d’un programme commun et arriver en tête d’une élection présidentielle, c’était une grande joie pour le peuple français et les communistes. »
« C’était un peu différent pour les militants les plus engagés car ils avaient le sentiment d’avoir payé de leur personne plus que quiconque, plus que les militants socialistes, et ils pensaient être mal rétribués de ces efforts. »
« Le Parti communiste était aussi à l’origine du programme commun. Il avait fait son propre programme mais à vocation générale : “changer de cap”, ce qui avait entraîné une démarche identique de la part du Parti socialiste avec son programme à vocation commune : “changer la vie”. »
« Le Parti communiste avait fait un effort théorique considérable notamment en matière économique, autour de la notion de capitalisme monopoliste d’Etat. J’étais économiste à cette époque-là et je n’avais pas peur d’affronter qui que ce soit car nous détenions une avance idéologique forte. »
« On s’était aussi avancé sur la voie d’un socialisme de démocratie avancée. »
Sur les divergences idéologiques entre le PCF et le PS dans les années 1970 et 1980
« Il est vrai qu’à partir de 1973-1974, on a vu qu’il se jouait une partie entre le PCF et le PS : on pensait qu’ils pourraient avoir le même niveau électoral. Mais des élections partielles ont montré que c’était surtout le Parti socialiste qui tirait bénéfices de cette union. »
« Il y a eu un certain divorce idéologique mais il était artificiel parce que l’on voulait rétablir un équilibre qui nous soit plus favorable. »
« François Mitterrand a abandonné la partie en faisant ses 110 propositions mais elles n’étaient pas si éloignées du programme commun initial, notamment parce qu’il n’avait pas gommé la question numéro 1 des nationalisations. »
Sur les écueils de la présidence de Mitterrand
« En 1981, on avait la foi et il y avait une sorte de démarche un peu religieuse : on croyait qu’on y arriverait. »
« On est tombé dans un monde qui venait d’amorcer une nouvelle phase du capitalisme dans laquelle on est toujours : le néolibéralisme illustré par les élections de Margaret Thatcher en 1979 en Grande-Bretagne, de Ronald Reagan en 1981 aux Etats-Unis et d’Helmut Kohl en 1982 en Allemagne. Au milieu de tout cela, l’élection de François Mitterrand bénéficie d’une courte majorité de gauche et s’inscrit dans le paysage à contre-pied du mouvement général. »
« Dans un monde de plus en plus interdépendant, il était difficile qu’il y ait quelqu’un qui déroge à la règle qui finissait par s’imposer : celle d’un libéralisme se libérant de toutes les contraintes, notamment sociales. »
« Les communistes s’étaient basés sur un socle idéologique assez solide et convainquant mais qui ne correspondait pas exactement à l’état des forces : le Parti socialiste voulait le pouvoir pour le pouvoir, les Français voulaient changer parce qu’ils en avaient assez du gaullisme et le Parti communiste était trop résolu et idéologique pour établir un véritable état des lieux. »
« Il y a eu une soumission très rapide du Parti socialiste à la règle générale Thatcher-Reagan-Kohl. »
« Nous n’étions que 4 ministres communistes dans un gouvernement qui en comprenait une quarantaine. »
Sur le tournant de la rigueur néolibérale de François Mitterrand
« Je me souviens de déclarations de François Mitterrand lors de la cérémonie des voeux en 1982 qui me soutient pour améliorer les relations entre l’administration et les usagers : en mars, il considérait que c’était inutile…"
« Ce qui est intervenu surtout, c’est que Jacques Delors, en mai 1982, à Bruxelles, a conclu un accord qui, en échange d’un prêt de l’Union européenne de 4 milliards d’ECU, s’est engagé en France à désindexer les salaires par rapport aux prix. Pour moi qui étais ministre de la fonction publique, je me voyais dépourvu de tous moyens de régulation de la politique salariale de la fonction publique - qui servait de référence pour les retraités, pour tout le secteur public industriel et même au-delà. »
« Le dérapage de François Mitterrand vers le libéralisme a commencé dès 1982 et s’est acté en 1983. »
Sur François Mitterrand et le Parti socialiste
« Les socialistes veulent des places et du pouvoir. Il n’empêche que certains sont sincères mais occuper les places joue un grand rôle quelque soit le soubassement économique. En gros, on accepte économiquement le capitalisme pour opérer la meilleure redistribution possible. »
« François Mitterrand est un grand homme politique : en conseil des ministres, il dominait les situations avec l’autorité quand il le fallait, l’esquive à d’autres moments, le mépris de temps en temps quand ça ne lui plaisait pas du tout. Il maîtrisait l’art de la politique. Et c’est quand même celui qui a dit : “quand on n’est pas hostile au capitalisme, on n’a pas le droit de se dire socialiste.” »
« Le gouvernement a été réuni à Rambouillet lorsqu’il s’est agi d’adopter la loi sur les nationalisations, loi qui sera la loi du 11 février 1982. Moi qui étais responsable au Parti communiste, au sein de sa section économique, de la question des nationalisations et de la politique industrielle, j’ai été étonné qu’après les conflits dans la rédaction du programme commun, la réduction du programme commun aux 110 propositions de François Mitterrand, on arrive aux 100 nationalisations qu’il s’était engagé à réaliser. Mais une fois que j’ai vu le projet de loi, je me suis dit que c’était pas mal malgré l’hostilité de Badinter ou de Rocard. »
« Dans François Mitterrand au pouvoir, il y a les deux premières années et le reste : dans le reste, il y a le néolibéralisme et le jeu de Mitterrand de l’intégration dans l’Union européenne qui n’arrive pas à se faire et qui apparaît de plus en plus comme l’Union européenne des riches. Mais les deux premières années ne sont pas de la même nature, surtout la première année qui a lancé des réformes très importantes. »
« Ce qui met le trouble parfois, c’est que des réformes qui ont été lancées la première année ne se sont accomplies que deux ou trois ans après. J’ai lancé le nouveau statut des fonctionnaires dès le mois de juillet 1981 mais c’est devenu la loi du 9 janvier 1986 soit 5 ans après ! »
Sur François Mitterrand et la guerre d’Algérie
« Pour moi, François Mitterrand, en même temps qu’il a fait ce qu’il a fait, reste un ancien ministre de l’Intérieur qui a refusé la grâce du communiste Fernand Iveton qu’il a laissé guillotiner parce qu’il s’était prononcé en faveur de l’indépendance de l’Algérie. »
« Chaque fois que j’entends parler de François Mitterrand, dans les secondes qui suivent, je pense à Fernand Iveton et à Maurice Audin. »
« Il y a eu un débat sur l’amnistie des généraux putschistes et mes trois camarades communistes m’avaient dit que c’était à moi d’intervenir en conseil des ministres parce comme ils étaient militaires donc fonctionnaires, j’aurais du signer leur réintégration dans les cadres et leur refaire une reconstitution de carrière. Même les socialistes étaient mal-à-l’aise vis-à-vis de cet acte de François Mitterrand. Et j’avais dit au président de la République : j’espère que vous en ferez autant pour Maurice Audin que pour les généraux putschistes. François Mitterrand a blêmi (c’est une des rares fois où j’ai vu qu’il n’avait pas prévu le coup) et il a répondu “bien sûr, bien sûr”. »
Sur la candidature de Fabien Roussel à la présidentielle 2022
« J’ai adhéré au Parti communiste le 29 septembre 1958, le lendemain du vote sur la Ve République acquise par référendum à 80%. Seul le Parti communiste s’était prononcé contre. Je lui dois cela depuis le début. Je pense que le Parti communiste devrait demeurer le champion de l’opposition aux institutions de la Ve République. Or il semble avoir laissé tomber cette affaire, peut-être par résignation parce que les Français se seraient habitués à l’élection du président de la République au suffrage universel. Les communistes n’osent plus se positionner sur cette question comme sur d’autres questions institutionnelles. Il y a là un déficit considérable. »
« La position tactique à prendre aujourd’hui, c’est que je ne ferais pas la fine bouche devant quelque solution que ce soit s’il y avait une pensée. Ce que je regrette, c’est que cela soit réduit à l’élection d’un candidat sans savoir quelles institutions il défend. C’est un jeu entre partis purement tactique qui n’est pas intéressant et très mauvais pour l’avenir. »
Un long entretien dont la fin est écourtée. Il ne fallait pas dire, pour rester dans la cohérence avec tout ce qui précède, ‘… et très mauvais pour l’avenir.’ Mais ‘…et très mauvais pour l’avenir du communisme.’
Effectivement, ça l’est : le régime de référence a disparu, le PCF est désormais marginal, l’accessibilité aux données historiques ne permet plus le mensonge, l’identité marxiste-léniniste n’est plus revendiquée devant la difficulté de la défendre, la raison d’être de tout parti communiste s’est étiolée.
Il est faux de dire que les communistes se sont réjouis de l’élection de Mitterrand. A la base, oui, et encore. Mais parmi les initiés de l’appareil, non. Le décrochement de Marchais au premier tour, la volonté de Mitterrand de réduire le PCF a quia, son anticommunisme, son intelligence, les pouvoirs qu’il allait détenir, l’hostilité de l’URSS, qui préférait Giscard, tout cela n’annonçait rien de bon pour le PCF. La suite allait le démontrer. L’élection de Mitterrand fut le début de la fin du communisme français.
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