Accueil | Entretien par Pierre Jacquemain | 7 janvier 2021

Françoise Lantheaume : « Il y a une montée de la conception libérale de la laïcité »

L’IFOP publie aujourd’hui une étude pour Charlie Hebdo et la fondation Jean Jaurès dans laquelle elle fait état du « ressenti » des enseignants sur la recrudescence des contestations des valeurs républicaines en milieu scolaire. La sociologue Françoise Lantheaume relativise et relève l’absence de sérieux du sondage. Elle est l’invitée de #LaMidinale.

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UNE MIDINALE À VOIR...

 

ET À LIRE...

Sur la fermeture des écoles et des universités
« Il y a des effets immédiats, à tous les âges, quand il y a rupture de la scolarité - de l’école à l’université.
« Le rapport à la pédagogie est déshumanisé. »
« Pour les plus jeunes, la fermeture des écoles transforme de façon évidente les relations entre l’école, la famille, les élèves. »

Sur la forme de l’étude de l’IFOP
« Quand on lit les questions posées par l’étude, c’est très étonnant. On se demande quelles idées avaient en tête les enquêteurs pour poser des questions aussi farfelues. »
« L’échantillon de l’enquête permet déjà de relativiser les résultats. »
« Il y a des absurdités dans les questions du sondage qui laissent un peu douter du sérieux de l’enquête. »
« Ça n’a pas beaucoup de sens de demander aux enseignants s’ils ont quelque chose à signaler sur l’ensemble de leur carrière. Ce qui serait étonnant c’est qu’il n’ait rien à signaler - d’autant qu’on ne sait pas ce qu’il y a derrière ce que les enseignants signalent. »

Sur l’autocensure des enseignants
« Il faudrait déjà savoir sur quels sont les enseignants qui se sont autocensurés. Ce sont souvent les plus jeunes enseignants. Ça converge avec un résultat d’une enquête qualitative - sur les religions en milieu scolaire - que nous menons depuis cinq ans. »
« Ce sondage s’intéresse aux ressentis, aux représentations, notre enquête s’intéresse aux situations réelles. »

Sur la formation des enseignants
« On pense tout de suite à la formation alors qu’il faudrait davantage mettre l’accent sur l’absence de mixité sociale et culturelle dans certains établissements. »
« Plus il y a d’homogénéité sociale et culturelle - que ça soit par le haut ou par le bas - plus il y a des difficultés. »
« Les élèves savent très bien ce qui fait débat et peut mettre en difficulté un enseignant. Il y a un bizutage quasi obligé dans certains établissements. »

Sur le contexte des attentats et les valeurs de la République
« Au fil des années, l’effet attentat diminue. Ce qui était perçu comme un danger, une menace, quelque chose qui prenait le pas sur les problèmes quotidiens, petit à petit, ça reprend sa place dans l’activité ordinaire. »
« Ça n’est pas forcément en termes de contestation que ça se manifeste mais ce qui est sûr c’est que la dimension religieuse, l’affirmation d’appartenance s’exprime beaucoup plus volontiers qu’avant. »
« On est plus dans la reconnaissance de spécificités individuelles et ça rejoint d’ailleurs une évolution du système éducatif où on demande aux enseignants d’individualiser l’enseignement. »
« Il y a une montée de la conception libérale de la laïcité, c’est-à dire d’abord la reconnaissance de la liberté de chacun avant d’être perçu comme un principe qui permet de vivre en commun. »

Sur les accusations de complaisance, de relativise contre les chercheurs
« La plupart des gens qui parlent de ces sujets ne font pas d’enquête empirique. Il font au mieux des sondages. »
« Nous sommes allés sur le terrain sans a priori - et peut-être même avec l’idée qu’il y avait plus de problèmes qu’avant. »
« Ce qui nous rassure c’est qu’il y a d’autres enquêtes, y compris quantitatives, qui vont dans le sens de nos enquêtes qualitatives. »
« La façon de présenter les choses, le sérieux des enquêtes sont pour beaucoup dans les résultats. »
« Ce qui m’étonne, c’est comment les médias s’engouffrent dans ce type d’enquête, sans aucun esprit critique. »

Sur la désertion de l’école publique par les enfants de confession juive
« La désertion des familles de confession juive à l’égard de l’école publique ne date pas d’aujourd’hui et a commencé à augmenter dès les années 80. »
« Cette désertion est un manque à gagner pour l’école publique parce que ça enlève de la diversité. »
« La question de la mixité sociale et culturelle de l’école n’est pas le problème simplement de l’école : c’est aussi le fruit d’une politique de la ville, d’une politique sociale et économique qui produit de l’homogénéisation. »
« Certains parlent d’une archipelisation de la société. Le risque c’est une archipelisation de l’école. »

Sur « l’apprentissage et la transmission des valeurs républicains »
« Les enseignants diffusent à leurs élèves des normes scolaires et sociales. Ces normes, comme elles sont le fruit de la République, transportent aussi les valeurs d’égalité de traitement, d’égalité des droits ou des valeurs de liberté. »
« La liberté est le principe politique le moins mobilisé par les enseignants. La liberté à l’école c’est toujours un petit peu dangereux, semble-t-il. »
« Tous les enseignants transmettent les valeurs républicaines en marchant, dans leur pratique quotidienne parce que pour eux, implicitement, pour faire un bon citoyen, il faut d’abord fabriquer un bon élève. Et fabriquer un bon élève c’est fabriquer un élève acculturé aux normes scolaires et sociales qui les sous-tendent - et ces normes incluent les valeurs de la République. »
« Il faut arrêter de penser qu’il y a des gens qui n’ont pas de valeurs. Tout le monde porte des valeurs. C’est un peu le faux nez de cette question sur les valeurs de la République. »
« Il faut sortir de l’idée que nos valeurs, celles de la République, ne peuvent pas être discutées. Comme si elles étaient un dogme. »
« Le fait que les élèves ont envie de débattre, de poser des questions, est plutôt bon signe alors qu’actuellement on a tendance à le prendre de manière défensive. »
« Il faut savoir ce que l’on veut : soit on veut des élèves formés à l’esprit critique, soit on les forme à n’être que des perroquets. »

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