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Sur l’élection de Gabriel Boric
« C’est le résultat d’une mobilisation sociale, la volonté du Chili de changer une génération politique. C’est un Chili qui veut écrire une autre page de son histoire, débarrassée, affranchie de l’héritage de la dictature. »
« C’est une élection historique. Boric est le plus jeune président que le Chili ait connu. À 35 ans, il a à peine l’âge légal pour être élu. Il est aussi le président le mieux élu que le Chili ait connu [55,6% de participation, NDLR]. »
« La participation n’est pas en hausse seulement par rapport au premier tour. Au Chili, il y a une forme de grève civique depuis fort longtemps. Une désaffection d’une grande partie de la population. Rarement une élection mobilise au-delà de 50% et l’élection présidentielle ne donne pas lieu à un engouement général. »
« La droite chilienne est dans un état d’affolement. Mais Boric dit sa volonté de ne pas inscrire sa présidence dans une polarisation excessive – et parfois inévitable sur le continent latino-américain. »
« Il y a eu une rencontre entre les deux finalistes après les résultats. C’est un signal de la part de ce jeune président de vouloir gouverner largement. »
Sur le positionnement à gauche de Boric
« Certains analysent les situations latino-américaines par le petit bout de la lorgnette. C’est un candidat de gauche, d’une gauche responsable. C’est difficile de gagner dans un pays dont l’imaginaire a été façonné par des décennies de dictature et de néolibéralisme. »
« Il s’inscrit dans un programme de redistribution, de réforme fiscale, d’un salaire minimum, d’un système de retraite avec une retraite minimale. On est dans un des pays les plus inégalitaires d’Amérique latine, donc les propositions de Boric ne sont peut-être pas si radicales, mais elles sont considérables dans la situation politique chilienne. »
« Boric avance également sur les droits des minorités. Il a le projet d’avancer sur la question de l’avortement, sur le féminisme, sur les droits des peuples indigènes. Il est en rupture avec tout ce qu’on a connu au Chili jusqu’à maintenant. »
Sur cette gauche du « vivre mieux » (le slogan de Boric), qui passerait nécessairement par la croissance économique, là où l’Occident parle « décroissance »
« Ces débats émergent aussi au Chili. Mais on part de loin ! La richesse du pays, c’est les mines de cuivre. Sortir de cette culture extractiviste, ça ne se fait pas du jour au lendemain. »
« On est loin d’une gauche écolo. Mais ça commence. Boric est un député du Sud où il y a eu de nombreuses batailles contre les barrages, contre l’appropriation de la nature. Et c’est aussi quelqu’un de sa génération. Il est imprégné du nouveau logiciel. Pendant la campagne, il a dit au candidat du PC qu’il regretterait un jour son soutien à Maduro [le président vénézuelien, NDLR], comme Neruda avec Staline. »
« Cette génération a fait de la question des droits humains un élément profond de changement. C’est une nouveauté très importante. »
Sur l’impact de cette élection en Amérique latine
« L’élection de Boric est d’abord un frein à l’extrême droite sur le continent. Après la vague des gauches des années 2000, on avait l’impression qu’on allait assister à une déferlante d’extrême droite. »
« La gauche est au pouvoir au Mexique, en Argentine, et peut-être le sera-t-elle au Brésil l’année prochaine. »
« Le Chili est un pays où les grandes familles, les grands capitaux forgent le débat public. Il y a très peu de médias critiques. C’est aussi une victoire contre ces dominations de l’imaginaire. La droite a usé de toutes ses cartes : l’argent, les postes institutionnels. On est pas si éloigné que ça de cette situation en France. »
« Cette bataille a été gagnée parce que la volonté de changement était puissante. Elle fait suite à deux ans de mobilisations monstres, quasi insurrectionnelles. C’était impossible à arrêter. »
« Boric incarne cette génération, mais n’est pas l’incarnation directe des mobilisations. Il a su épouser avec beaucoup de talent et de modestie cet élan, cette volonté de changement. »
« La victoire de Kast aurait signifié un très grand trouble. Pas seulement un retour du pinochetisme, mais cela aurait voulu dire que la politique se mettait à affronter la volonté populaire. »
Boric, rupture ou continuité de Michelle Bachelet ?
« C’est une rupture, au sens où les partis qui ont construit et accompagné la transition démocratique sont désormais écartés du jeu politique. »
« Ce n’est pas une rupture au sens où il ne va pas y avoir d’affrontement entre ces forces politiques, elles vont travailler ensemble, de fait. Boric aura besoin d’eux pour gouverner. »
« Michelle Bachelet a appelé à voter pour Boric. »
« Bachelet était respectée, aimée, mais son élection n’avait pas créé un tel enthousiasme. »
Sur la gauche française face aux nostalgiques de Pétain
« Ce qui a permis la victoire de Boric, c’est une hausse considérable de la participation. Il est allé chercher celles et ceux qui s’étaient éloignés depuis fort longtemps de l’exercice électoral. »
« Boric a construit un imaginaire en rupture. Sans compromission. Ce n’est pas le programme de rupture le plus radical qui soit, mais il a parlé solidarité, fraternité, tolérance. Boric a parlé au cœur des Chiliens. »
« Ça me soulève le cœur de me dire que les gauches en France ont su fusionner des listes aux régionales et prétendent aujourd’hui qu’il est impossible de se parler. Je ne sais pas s’il est possible, ou même souhaitable, de créer l’union, mais une chose est sûre : personne ne peut gouverner seul. »
« La logique monarchique de la Vème République écrase définitivement tout, et la gauche a renoncé à être elle-même face à cette élection. Elle a totalement intégré le jeu présidentiel et croit même à cette fumisterie gaullienne de rencontre entre un homme providentiel et le peuple. »
« Il y a une forme d’irresponsabilité à considérer que la présidentielle règle tout. »