UNE MIDINALE À VOIR...
ET À LIRE...
Sur l’histoire comme récit national
« Le récit national, ce n’est pas la même chose que l’histoire de France : c’est une manière d’avoir écrit et raconté l’histoire de France, née au début du XIXè siècle et qui s’est formalisée et enseignée à la fin du XIXè siècle. »
« Le récit national, c’est faire commencer l’histoire de France il y a 2000 ans : nos ancêtres, ce sont les Gaulois. Et cette histoire repose essentiellement sur l’action des grands hommes (avec une seule femme, Jeanne d’Arc, qui entre dans le récit national lorsqu’elle se masculinise), sur des événements fétichisés (la bataille d’Alésia, Marignan 1515…) et sur une base très progressiste (la France devient toujours plus puissante et importante, la France de la civilisation contre la barbarie). »
« Le récit national, c’est une l’histoire d’une France portée par un souffle épique. »
« Des hommes et des femmes politiques mobilisent ce récit national à des fins politiques mais, ce faisant, ils disent plus de leur propre rapport au passé et à la politique qu’à l’histoire. »
« Le récit national n’est absolument pas conforme à la recherche historique. »
Sur le rapport entre histoire et politique
« Utiliser l’histoire pour légitimer un discours politique d’aujourd’hui, c’est le classique premier usage de l’histoire - et cela existe depuis l’Antiquité. Tous les gens qui ont brigué des postes de pouvoir sont assis sur le passé et l’ont réinterprété pour montrer que leur présence et leur proposition s’inscrit dans une logique historique. »
« Jean-Luc Mélenchon est un amoureux de l’histoire de France et de la Révolution française. Le fait qu’il utilise ce récit-là pour s’inscrire dans cette filiation n’a rien d’étonnant. Et il se protège de toute critique contre une vision trop identitaire de l’histoire. Il veut s’inscrire dans le souffle révolutionnaire de l’histoire. C’est aussi un usage politique et une instrumentalisation car tous les historiens de la Révolution française savent à quel point c’est complexe et que les interprétations sont multiples. »
« Que chacun choisisse le récit historique dans lequel il souhaite s’inscrire ne me paraît honteux : quand on est enfant d’immigré, on a envie de s’inscrire dans une histoire de l’immigration ; quand on est pris par la guerre d’Algérie, on a envie de considérer que c’est un événement quasi fondateur de l’histoire dans laquelle on s’inscrit, c’est normal. Cela relève de la mémoire individuelle et collective. »
« Le problème, c’est que lorsque l’on mobilise l’expression récit national - ou pire encore, roman national (comme Marine Le Pen ou Valérie Pécresse) -, on envisage son propre rapport au pouvoir. Il y a l’idée que la marche de l’histoire repose sur des actions des plus grands et des plus grandes. C’est donc un récit du pouvoir personnel. Se réclamer du récit national, c’est donc dire que le prochain ou la prochaine, c’est moi. »
Sur la puissance du roman nationale versus la faiblesse populaire de l’approche critique scientifique
« Le récit national est un récit d’une puissance inouïe parce que l’on a tous baigné dedans. »
« Quand on est un peu critique, on est capable de faire un travail de déconstruction et de distance et de dire que le baptême de Clovis n’est pas ce qui a fait advenir du jour au lendemain la France chrétienne. Mais c’est une belle histoire et les êtres humains ont besoin d’être bercés par de belles histoires. »
« Là où les historiennes et les historiens ont peut-être commis une erreur importante, c’est qu’ils ne se sont pas intéressés au fait d’écrire de belles histoires qui soient justes et conformes à la science historique. Par exemple, l’histoire des circulations des hommes et des femmes ou de la construction des inégalités et des dominations entre les femmes et les hommes. »
« Aujourd’hui, les gens comme Jean Sévilia, Lorant Deutsch ou Stéphane Bern s’engouffrent dans l’espace du récit national et ce sont quasiment les seuls même si les choses sont en train de changer : « L’histoire populaire de la France » de Gérard Noiriel est une tentative de contre-poison. »
« Au Puy-du-Fou alors qu’on est vraiment dans un récit complètement d’extrême droite, on a une volonté de popularisation. On a un vrai problème : dans la narration historique, l’extrême droite sait faire du populaire tandis que la gauche de transformation sociale a oublié d’en faire. »
Sur l’historienne Suzanne Citron
« La question du récit national revient sur le devant de la scène mais le nom de Suzanne Citron n’est quasiment jamais cité. »
« Suzanne Citron, dès la fin des années 1970, a commencé à réfléchir à la construction d’une identité nationale. Et en historienne, elle s’est interrogée sur une certaine mise en récit du passé pour fortifier une identité nationale campée sur des frontières nationales, sur un nationalisme xénophobe et sur sa supériorité civilisationnelle. »
Sur le rapport à l’histoire de la droite
« Souvent, à l’instar de Nicolas Sarkozy, on considère le passé comme un immense stock de produits dans lequel on peut aller puiser pour fabriquer un récit de communication. Eric Zemmour, c’est l’accomplissement de cela. »
« Cela ne sert à rien d’analyser les discours d’Eric Zemmour du point de vue de ses contre-vérités. D’ailleurs, il le sait parfaitement qu’il raconte n’importe quoi. Mais cela se joue au niveau de son efficacité propagandiste grâce à sa maitrise indéniable du marketing politique. »
Sur l’histoire comme objet en mouvement
« L’histoire ne peut pas être figée. Et figer l’histoire, c’est déjà un rapport politique à l’histoire. »
« Suzanne Citron évoque ceux qui parlent de la France “toujours déjà là” comme si cela avait été une entité dénuée d’histoire. »
« Figer l’histoire, c’est avoir un rapport conservateur avec elle. Mais il y a des gens que cela rassure de se dire que rien ne bouge. »
« La plupart du temps, les historiens relisent des sources qui ont déjà été lues par d’autres et on les réinterprétant à l’aune de nouvelles questions que l’on se pose. Ce qui est important, c’est donc ces nouvelles questions et comment on y répond. »
« Pourquoi est-ce que les controverses historiques sont-elles parfois d’une passion extrême ? Parce que cela active quelque chose qui est de l’ordre de la fierté nationale avec cette idée qui est extrêmement forte que revenir sur des pages douloureuses affaiblit une nation car on remplacerait la fierté par la honte. »
Sur le politique et l’histoire
« Emmanuel Macron est dans son rôle. »
« Les politiques se sont toujours mêlés d’histoire. »
« Le fait que ça soit le président de la République qui décide de qui on panthéonise ou pas, c’est complètement dans sa fonction. La fonction des historiens et des historiennes c’est d’expliciter - c’est-à-dire de dire ce que signifie une panthéonisation par exemple de Joséphine Baker -. Et c’est aussi de critiquer ce qui ne veut pas dire que ça doit se résumer à c’est bien ou c’est mal. »
« Si un jour Zemmour veut panthéoniser Pétain, ça serait bien que les historiens et les historiennes se mobilisent. »
« Les historiens inventent des noms de périodes : ça donne les Trente Glorieuses ou Belle Epoque. »
Sur l’apprentissage de l’histoire
« La critique est une posture professionnelle. »
« L’enseignement de l’histoire devrait reposer sur une critique : c’est-à-dire sur l’apprentissage, aux côtés d’autres sciences humaines et sociales - et dures aussi -, d’une posture critique. C’est le grand défaut de notre école actuelle aggravé plus encore par Jean-Michel Blanquer, notamment au lycée : l’incapacité à former à l’esprit critique par manque de temps et par réhabilitation du récit et de la variole magistrale. Nous sommes poussés en tant qu’enseignants à mettre de la cohérence, à avoir une narration cohérente, à insister sur des causalités artificielles et du coup à construire un récit qui n’est pas toujours en phase avec la recherche historique. »
Sur l’école de Zemmour
« Zemmour a pris tous les produits réactionnaires sur l’école qui existent depuis quarante ans. »
« Il existe un roman national de l’école. Dire "je veux revenir à une école d’avant 68" n’a strictement aucun sens. Remettre l’uniforme n’a aucun sens non plus : il n’y a jamais eu d’uniforme systématique dans l’école publique en France. »
« Il existe un programme d’extrême droite sur l’école. »
« Ce que proposent Marine Le Pen, Valérie Pécresse - voire à certains endroits ce qui est mis en place depuis cinq ans - à de quoi nous inquiéter. »
« Une école qui ne cesse d’instaurer et de renforcer un tri social en considérant que, selon le milieu social auquel on appartient, on est assigné à une place sociale, c’est une école d’extrême droite. »
« Une école qui exclut des populations notamment d’origines immigrés en refusant de scolariser des enfants sans-papiers, en allant chercher des enfants sans-papiers dans les classes pour les reconduire à la frontière, c’est une école d’extrême droite. »
« Une école qui prétend ne pas vouloir lutter contre les discriminations [comme le souhaite Eric Zemmour] parce que ça serait woke et qui va purger de tous les programmes d’éducation civique tout ce qui concerne les luttes contre les discriminations ; une école qui poursuit les enfants musulmans en les considérant comme immédiatement suspects de vouloir mobiliser leur religion avant les valeurs de la République ; tout ça est extrêmement délétère C’est le projet de l’extrême droite et la gauche a une responsabilité très forte. »