Accueil | Entretien par Pierre Jacquemain | 7 octobre 2020

Laurent Mauduit : « L’État n’est pas plus vertueux que le marché »

En plein scandale du rachat des parts de Suez par Veolia, que peut l’État face aux biens communs ? À quoi sert l’État actionnaire ? Faut-il plus d’État ? La nationalisation est-elle une alternative aux privatisations ? Laurent Mauduit, auteur de Prédations : histoires des privatisations des biens publics (Éditions La Découverte), est l’invité de #LaMidinale.

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UNE MIDINALE À VOIR...

 

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 Sur les prédateurs 
« Les prédateurs sont tous les fonds d’investissements, groupes du CAC40, les financiers, le monde de la finance. »
« Les hommes et les femmes politiques sont des co-prédateurs. Le coeur du capitalisme s’est modifié avec les privatisations. Il y a des complicités au sein de l’Etat. Des hauts-fonctionnaires, y compris de gauche, qui s-ont surfé sur les vagues de privatisations et ont organisé eux-mêmes les privatisations. »
« On est dans un système poreux. La singularité de cette opération de prédation, ça a été la prise du pouvoir par les hauts fonctionnaires. »
« On est dans un capitalisme qui ne connait plus de limite. Ils ont mis la main sur des biens autrefois qui échappaient à la sphère marchande. Ils ont aussi la main sur une partie de l’Etat, il y a une sorte de privatisation de l’intérieur de l’Etat. »
« Le fonctionnement de l’Etat est révélateur du mouvement général de privatisation et de marchandisation : ce sont les règles privées qui commandent. »
« L’Etat est en train d’être dissout de l’intérieur. »
« Il y a une privatisation lente, progressive, rampante, y compris de l’Etat. »

 Sur le risque mafieux  
« On a vécu deux grandes étapes : d’abord les banques et les grands groupes industriels français. » « L’argument qu’on avance pour privatiser c’est le capitalisme populaire c’est-à-dire qu’on fait croire aux Français qu’ils vont s’enrichir : cette présentation des choses est une escroquerie. La seconde phase, c’est celle que l’on vit depuis les années 2000 et que l’on vit toujours c’est la privatisation des biens publics : les autoroutes, les aéroports ou la privatisation rampante de la sécurité sociale. »
« Le capitalisme s’est progressivement désinhiber. »

 Sur les concessions de l’Etat 
« Derrière les concessions, il y a les règles du privé. Et les concessions sont sans cesse reconduites. »
« Dans les concessions il y a un cahier des charges que le concessionnaire est sensé respecter. La concession de TF1 avait été établie pour dix ans. La clause c’était ‘le mieux disant culturel’. On a prolongé la concession sans appel d’offres - comme le prévoyait la loi -, à quatre reprises et sans que Bouygues ne paye un euro de plus : c’est ce que j’appelle la prédation. TF1 était un bien public. C’est la même chose pour les autoroutes. »
« Dans les concessions, ce sont les règles du capitalisme avide qui s’imposent. »
« Ça ne veut pas dire qu’il faut revenir aux nationalisations. »

 Sur les communs  
« La grande équivoque du débat public c’est qu’on a voulu opposer les privatisations aux nationalisations. Mais en France, les nationalisations ont toujours pris la forme d’une Etatisation. C’est l’Etat qui a pris la main. Y compris sur les domaines où il n’aurait jamais du prendre la main à l’instar de la sécurité sociale : ça aurait du être légitimement toujours aux acteurs de la rémunération salariale - employeurs et employés - de gérer. »
« L’Etat a de plus en plus pris la main sur la sécurité sociale au point que maintenant le budget de la sécurité sociale est devenue une annexe du projet de loi de finance. On a écrasé la démocratie sociale. »
« Le bilan des nationalisations est très accablant. »
« L’Etat se comporte mal et les citoyens ont été dessaisis du contrôle de leurs biens. »
« Il faut rouvrir le débat sur la propriété et l’allier à la question démocratique. »

 Sur la question démocratique  
« Le débat sur la privatisation n’intéressait autrefois que les cercles politiques et les plus initiés. »
« J’ai été très frappé par les manifestations de l’hiver dernier sur l’hôpital public. Elles faisaient échos à ce slogan : quand tout sera privatisé, nous serons privés de tout. »
« Il y a une sorte d’appropriation de ces questions autour de mobilisations locales : ceux qui dénoncent les privatisations de barrages hydroélectriques, ceux qui défendent les forêts… »
« La privatisation a été la réforme majeure de ces trente dernières années qui a modifié l’horlogerie du capitalisme, qui a modifié nos vies et qui risque de modifier et de détruire notre modèle social. C’est le coeur du problème. »
« Cette appropriation collective, par les citoyens eux-mêmes, va dans le bon sens. »
« Il faut inventer des nouvelles formes démocratiques d’appropriation collective. Il faut inventer des modèles qui renouent avec la question démocratique. Ça ne se fera pas en chambre. Ça se fera avec les citoyens eux-mêmes. »

 Sur la gauche et les privatisations  
« La gauche a deux bilans à faire : sa conversion au néolibéralisme. Lionel Jospin ne veut pas admettre qu’il a le plus privatisé et les chiffres sont là. Et il y a eu une corruption d’une partie des hauts fonctionnaires de gauche qui ont fait le lit de ce capitalisme. Et il y a quelque chose de plus insidieux et de plus important encore c’est que la gauche a vécu sur cette idée, avant qu’elle ne change de doctrine, qu’il y avait d’un côté l’Etat et de l’autre le marché. Et que l’Etat était plus vertueux que le marché. Et ma conviction c’est que non. C’est une fausse alternative. C’est au coeur du débat sur les communs. Est-ce qu’il faut s’en remettre à l’Etat ? Non, je pense qu’il faut s’en remettre aux citoyens. »

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