Accueil | Entretien par Pablo Pillaud-Vivien, Pierre Jacquemain | 5 mai 2021

Pierre Serna sur Napoléon : « La République ne devrait pas commémorer un homme qui a tué plusieurs fois l’idée républicaine »

Qu’a la gauche à dire sur Napoléon ? Pierre Serna, historien, spécialiste de la Révolution française, est l’invité de #LaMidinale.

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UNE MIDINALE À VOIR...

 

ET À LIRE...

 Sur la gauche et Napoléon  
« Les prémisses du bonapartisme étaient une sorte d’extrême droite populiste extrêmement virulente contre la République. »
« De qui parlons-nous ? Du général qui pille l’Italie - occupant violent à partir de 1796 ? Parlons-nous du général républicain mais qui n’est plus démocrate et devient la matrice des césarismes du 19è et 20è siècles et donc des pires dictateurs de l’Amérique latine que connaît trop bien Bonaparte et qui s’en inspireront ? Parlons-nous d’un homme qui a toujours été l’homme chéri d’une droite conservatrice qui a toujours été contre-révolutionnaire ? »
« Si l’on parle de gauche et de Napoléon, le problème devrait être réglé assez rapidement. »
« La République ne devrait pas commémorer un homme qui a tué plusieurs fois l’idée républicaine et qui a trahi l’idéal républicain dont il était lui-même l’objet. La République a permis l’éclosion de Bonaparte et il s’est comporté de la manière la plus ingrate, la plus violemment cynique contre la République qui l’avait fait général. »

 Sur Macron et la commémoration de Napoléon  
« Emmanuel Macron est dans une impasse politique parce que le temps l’a rattrapé. »
« Napoléon est une enveloppe vide dans laquelle des fantasmes et des imaginaires se projettent. Il est le premier à l’avoir su et compris : c’est un communicant politique de façon assez remarquable. »
« Si comme le dit Macron ‘commémorer n’est pas célébrer’, alors qu’il laisse faire aux historiens leur métier. »
« Le passé se rejoue dans le présent et dans les pièges et impasses dans lesquelles se retrouve Emmanuel Macron. »
« Macron a compris qu’il y avait des enjeux de mémoire et des enjeux sociétaux autour de la question de la couleur et des discriminations raciales (…). Là, il se retrouve face en difficulté parce qu’on est face à un personnage, Napoléon, a eu des politiques d’expansion problématique vis-à-vis d’une domination coloniale. Il ne faut pas oublier que le grand projet c’est de constituer un grand empire américain à partir de Saint-Domingue - aujourd’hui devenu Haïti - avec la Floride, la Louisiane, la Guadeloupe, la Guyane. »
« Ce danger de l’expansion qui est un échec pour Napoléon pose aujourd’hui problème notamment pour la notion de nation et de souveraineté et alors que la France joue encore un rôle militaire et prétend jouer encore militaire aussi important en Afrique. De quel Napoléon Emmanuel Macron va-t-il parler »

 Sur l’héritage de Napoléon  
« Il y a des millions d’ouvriers qui sont opprimés et que l’on fait taire avec le rétablissement du carnet ouvrier. La moitié de la France qui sont des femmes font face à la domination totale d’un système patriarcal voulu par un terme que chéri Napoléon c’est-à-dire les notables. »
« Bonaparte est une créature de la grande bourgeoisie française qui cherche une épée et qui pense trouver en lui une incarnation des institutions françaises. »
« Sous Napoléon, on a une société très fragmentée et très binaire. »
« Avec Napoléon, on invente le césarisme contemporain c’est-à-dire la figure du sauveur en face du peuple. »
« Il y a un Bonaparte du peuple, des notables et des militaires qui va fonctionner dans des imaginaires sans le personnage et va donner des cadeaux empoisonnés à tout le 19è siècle. »
« À l’échéance de 2022, cette idée d’une extrême droite populaire est un héritage bonapartien dont on voit les dégâts aujourd’hui. »

Sur le rétablissement de l’esclavage par Napoléon
« Le jour qui a suivi la grande loi du 16 Pluviôse de l’an 2, c’est-à-dire le 4 février 1794 quand, pour la première fois dans les pays occidentaux, un Parlement, c’est-à-dire les représentants d’une nation, abolit l’esclavage, un député affirme que l’esclavage est un crime contre l’humanité. » 
« Pour tous les gens conservateurs de droite qui avaient critiqué Mme Taubira en disant qu’elle fait de l’anachronisme parce qu’à cette époque-là, il aurait été normal de considérer que la traite faisait partie des systèmes économiques : ce n’est pas vrai. Les Conventionnels ont exigé de penser que l’esclavage était un crime contre l’humanité dès 1794. »
« L’abbé Grégoire, celui qui se qualifiait comme l’ami des animaux, l’ami des femmes, l’ami des noirs, l’ami de tous les dominés, voulait que le mot esclave soit dans la loi pour ne pas confondre avec les libres de couleurs, c’est-à-dire les noirs qui étaient déjà libres. »
« Huit ans après cette abolition de l’esclavage en 1794, une régression : jamais un pays ayant aboli l’esclavage n’est revenu dessus. Or Bonaparte revient. »
« Bonaparte n’a pas forcément une pensée raciste au sens où on l’entend aujourd’hui mais il a une pensée racialiste au sens où il estime que l’infériorisation des Africains est un fait civilisationnel contre lequel on ne peut rien : ce n’est pas tant par la biologie que les Africains sont inférieurs que par l’Histoire. »
« A l’Institut, la classe des sciences morales et politiques lutte contre les préjugés de couleur de races : Bonaparte va la fermer en 1802. »
« Le rétablissement de l’esclavage s’inscrit dans un tout. »

 Sur le Code civil 
« [L’invention du Code civil par Napoléon] est une pure mystification. »
« Le Code pénal ne date pas de 1808 mais de 1791 : c’est l’œuvre des premiers députés constituants. »
« C’est faux de dire que Napoléon a inventé le Code civil : Cambacérès, un des pères du Code civil, dès 1794, pendant la Convention, commence à faire voter les premiers actes du Code civil. Donc le Code civil a été inventé par les députés révolutionnaires et par les conventionnels. »
« Bonaparte est une créature des frères Robespierre. »

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  • Au moment de la commémoration du bicentenaire de la mort de ?Napoléon, voilà que les polémiques vont bon train et certains ne voudraient pas célébrer cet évènement. On peut détester Napoléon comme on peut l’aimer, et là n’est pas le sujet. Je pense que celui qui fut un guerrier puis un empereur entre dans la cercle très restreint des "grands hommes", c’est-à-dire de ceux qui ont marqué l’Histoire de notre Pays.
    Aujourd’hui, considérons que Napoléon appartient à une époque passée, avec ses côtés positifs et ses aspects négatifs.
    N’en déplaise à Monsieur Pierre Serna, ,Napoléon est un très grand Homme. Au-delà de ses erreurs et de ses défauts, il a laissé à la France un patrimoine historique, social et culturel sans précédent. Et en conséquence, il mérite largement une véritable commémoration.
    Et je termine cette réflexion en m’adressant directement à Monsieur Serna, spécialiste de la Révolution française. Si cette période a permis à l’être humain de devenir ce qu’il est aujourd’hui que ce soit en matière de libertés comme, de démocratie, la Révolution a eu aussi des immenses heures sombres avec du sang répandu la plupart du temps sur des innocents. Oui, Monsieur Serna, la Révolution, a été atrocement sanguinaire et cela vous ne pouvez le nier. Et pourtant, l’année 1989 n’a-t-elle pas été douze mois de célébration intense ? Allons, soyons sérieux ! Si on suivait vos idées, on ne commémorerait plus rien sous tous les prétextes possibles. Cela voudrait dire que l’on tirerait un trait sur l’Histoire de France, comme le souhaite aujourd’hui le président de la République avec ses projets insensés de déconstruction ? Je n’ose croire qu’un historien comme vous soit dans une telle dérive ! A moins que je sois inapte à comprendre le monde d’aujourd’hui ...

    Reynaud Le 5 mai 2021 à 16:11
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