Accueil | Entretien par Pablo Pillaud-Vivien, Pierre Jacquemain | 9 mars 2021

Sophie Mendelsohn : « La panique décoloniale a saisi beaucoup de milieux, y compris psychanalytiques »

Sophie Mendelsohn est psychanalyste, ses travaux portent sur les théories critiques du genre et de la race. Elle vient de publier avec Livio Boni La vie psychique du racisme aux éditions de La Découverte. Elle est l’invitée de #LaMidinale.

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UNE MIDINALE À VOIR...

 

ET À LIRE...

 Sur les conséquences psychologiques de la crise sanitaire  
« On constate depuis le premier confinement que la crise sanitaire se reflète dans la crise institutionnelle, à commencer par l’hôpital et notamment l’hôpital psychiatrique. »
« Il y a une difficulté de prendre en compte les effets de ce confinement dans l’après coup de cette expérience d’isolement social que tout le monde a faite. »
« La psychiatrie a toujours été sensible aux crises sociétales. On a en tête la tragédie psychiatrique pendant la seconde guerre mondiale. »
« A l’hôpital psychiatrique, l’isolement a été renforcé et les moyens humains sont en chute libre. »
« Cette crise sanitaire renforce la crise institutionnelle des services publics de manière particulièrement visible à l’hôpital et à l’école. »
« Les psys font face aux effets boomerang de cette crise : je n’ai jamais eu autant de demandes. »
« L’un des autres effets de la crise c’est la précarisation des assises subjectives dans un contexte généralisé de préconisation des repères symboliques, des croyances collectives, des outils de la mise en lien des uns/unes avec les autres. On voit les effets avec par exemple le complotisme, comme traduction de l’anxiété face à la difficulté de se repérer dans le foisonnement de théories, de prédictions, projections ou anticipations en tous genres. »

 Sur la crise sociale, le retour des frontières et le racisme 
« Les effets en termes de montée des racismes, dans le contexte de la crise sanitaire, sont difficiles à évaluer. »
« On peut constater qu’il y a une tendance plus longue qui commence au début des années 2000 - c’est-à-dire la fin de l’ère enchanté de l’antiracisme moral des années 80 en particulier soutenu par le PS - et à partir de 2001, avec les attentats terroristes, on est entré dans une autre phase. »
« Ce qui est apparu dans le débat public de manière très offensive et offensante c’est l’étiquette loufoque d’islamogauchisme. »

 Sur le racisme et sa définition  
« Le renversement de l’argument qui consiste à dire que parler de race c’est être raciste, est un argument fallacieux et de mauvaise foi. »
« Les races n’existent pas au sens biologique mais les effets de race existent. Les effets sociaux de la radiation existent. »
« On n’est pas considéré de la même manière dans la société française actuelle, si on est assigné à une position racialisée par la couleur de sa peau, par son nom ou si on l’est pas. »
« Je ne dis pas que ‘blanc’ ne fait pas une race mais ‘blanc’ ne fait pas l’objet de ce processus de racisation. »

 Sur la polémique autour de la famille royale britannique 
« Il y a la manifestation d’une préoccupation pour la racisation possible de ce qui est censé être la lignée pure de la famille royale d’Angleterre. »
« On retrouve-là une définition du racisme antérieur à ce qui s’est ouvert avec l’ère impérialiste, la constitution des Etats-nations, c’est-à-dire l’aristocratisme comme enjeu de pureté de la lignée, le maintien de la pureté de la lignée. »

 Sur la décolonisation de soi 
« Une décolonisation de soi, c’est une déprise des fantasmes, des idéaux et des croyances avec lesquelles la colonisation française a fonctionné mais aussi avec lesquels la décolonisation française a fonctionné. La fin de l’empire colonial n’a pas mis fin aux logiques coloniales dans lesquelles les sujets restent pris subjectivement. »
« Il existe un processus de défense freudien qui n’est pas le refoulement mais le démenti : il crée une autre modalité de fonctionnement de l’inconscient qui permet de comprendre que l’on puisse accepter que les races n’existent pas sur le plan biologique comme cela a été établi par l’UNESCO puis par Claude Levi-Strauss (c’est même devenu la doctrine de l’antiracisme à la française, d’un Etat antiraciste) mais pour autant, les croyances dans la différence des races et les effets qu’elles produisent continuent à exister, notamment parce que l’on n’a pas travaillé sur les effets de longue durée de la colonisation dans le temps postcolonial. »

 Sur la panique décoloniale chez certains 
« La panique décoloniale a saisi beaucoup de milieux, y compris psychanalytiques. »
« Ce livre n’est pas le fruit d’un questionnement psychanalytique strict ni d’un combat idéologique : il est lié au fait que l’on reçoit les patients et que le discours des patients a changé au regard de ces questions-là. Le psychanalyste doit se laisser interpeller par les conjonctures historiques dans les discours se constituent parce que c’est le creuset d’une construction subjective qui, à la fois, peut passer par des revendications politiques et, en même temps, permet de trouver des points de troubles par lesquels on se construit comme sujet à partir de discours qui sont tributaires des rapports de dominations. »
« Il y a toujours un écart entre ce que les discours nous disent que nous sommes et la manière dont on peut se faire exister comme sujet avec des conflits, des contradictions et une non-transparence à soi. »
« Que ce soit les questions de genres, les questions queer radical ou de transidentité, ou les questions de races : ce sont ces discours qui alimentent et donnent des outils aux gens pour saisir leurs propres points de trouble pour se saisir eux-mêmes et se penser autrement que là où on les assigne à être. »
« La psychanalyse n’a pas à avoir peur de ces discours-là mais elle doit se laisser interpeller par eux pour ne pas devenir un savoir dogmatique et figé qui prescrirait les bonnes conduites en devenant un outil de normativité pur et simple. »
« Pour que la psychanalyse reste ce qu’elle a toujours prétendu être c’est-à-dire un moyen d’émancipation, elle ne doit pas faire du complexe d’Oedipe une norme et une vérité subjective mais l’analyseur des effets subjectifs de la configuration patriarcale de la famille. »
« Soit la psychanalyse se met du côté d’un conservatisme et d’un immobilisme social, ce qui fait que des psychanalystes se sont embarqués dans un combat idéologique et refusent le PACS, l’adoption par les couples homosexuels. Soit elle est capable comme outil d’émancipation à la fois singulière et collective, de se laisser interpeller par les discours politiques éventuellement minoritaires qui émergent et faire jouer ces discours sur eux-mêmes. »

 Sur la politisation de la psychanalyse 
« La psychanalyse est politique au sens où elle ne peut pas abstraire les sujets des configurations historiques dans lesquels ils sont plongés et qui déterminent leur rapport à la norme et leur capacité à faire jouer ses normes, à les conflictualiser et à les rejouer autrement. »
« Nous ne sommes pas des petites monades complètement autonomes et isolés : tout est relationnel. Il n’y a pas de construction de l’individu qui ne soit pas déjà pris dans un contexte relationnel. »
« Il n’y a pas de possibilité de dépolitiser le sujet auquel la psychanalyse a affaire. »
« En tant que telle, la psychanalyse n’est pas un militantisme ou politisée. »

 Sur la jouissance du racisme 
« La jouissance, c’est-à-dire ce qui nous tient en vie, nous oblige à vivre et fait de nous des êtres déterminés par nos pulsions, elle n’est jamais clairement orientée. On ne sait jamais de quoi on va jouir. »
« L’égarement de notre jouissance a trouvé de fausses formes de fixation dans les mythes coloniaux associés à la hiérarchisation des races : on sait comment on jouit de l’autre quand l’autre est inférieur. »
« Jacques Lacan nous dit, entre les lignes, que la fin des empires coloniaux relance cet égarement qui avait été faussement stabilisé dans la configuration sociale proposée par les sociétés coloniales. »
« La post-colonie n’est pas un temps où les choses se calment parce que l’on a mis fin aux empires coloniaux : au contraire, c’est un moment où, parce que l’on perd la boussole que l’on avait cru pouvoir trouver dans la hiérarchisation raciale, on se retrouve repris par l’égarement. »

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