Rokhaya Diallo est journaliste et réalisatrice.
Regards. Lundi 13 janvier, ça discute des péripéties de la famille royale britannique sur le plateau de BFMTV. Soudain, à 18h15, Anne-Elisabeth Moutet, éditorialiste au Daily Telegraph, lâche cette phrase au sujet de Meghan Markle et de son prince de mari : « Il pensait qu’il avait épousé Halle Berry et il se retrouve avec Rokhaya Diallo ». OKLM, comme disent les jeunes… Qu’est-ce que votre nom vient faire ici – et celui de l’actrice Halle Berry aussi d’ailleurs ?
Rokhaya Diallo. C’est ce que je me suis demandé : quel est le rapport avec moi et pourquoi cela lui semble pertinent d’évoquer mon nom comme un repoussoir ? J’ai trouvé ça surprenant et déplacé, d’autant que je ne connais pas cette personne. Je dois incarner, pour elle, ce qu’il y a de plus désagréable chez les noirs. Et vu le sourire sur son visage, elle semble satisfaite de sa trouvaille.
#racisme Au sujet de Harry et Meghan : « On pensait qu’il avait épousé Halle Berry et il se retrouve avec Rokhaya Diallo »
Est-il impossible de parler d’une femme noire comme d’un être singulier ? Pourquoi juger de sa respectabilité en la comparant à d’autres femmes noires ? pic.twitter.com/HakHf1op7o— Rokhaya Diallo (@RokhayaDiallo) January 13, 2020
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Cette réflexion tombe tout juste après l’évocation du racisme dont est dit victime Meghan Markle au Royaume-Uni. Une déclaration raciste pour expliquer qu’il n’y a pas de racisme dans cette histoire...
Elle trouve que l’on parle trop du racisme dont est victime Meghan Markle. Elle sort cette phrase comme une illustration de cet excès. Pour moi, c’est son inconscient qui a parlé. Elle n’a pas trouvé d’autres personnes à comparer à Meghan Markle que deux autres noires. Il y a aussi beaucoup de sexisme dans cette déclaration. « Pauvre prince Harry, il pensait avoir épousé une femme sans opinion et il se retrouve avec l’inverse. » Cela revient à dire qu’Halle Berry, parce qu’elle est actrice, n’a pas d’opinion, ce qui est faux au regard de ses engagements. Anne-Elisabeth Moutet distribue les cartes « bonne noire » et « mauvaise noire ». Apparemment, la bonne femme noire est une belle actrice – avec donc une fonction de distraction – qui n’exprime pas d’opinion. A contrario, la noire radicale, qui parle de racisme, qui brise un consensus policé au sein d’une famille royale est une mauvaise noire.
« Avant toute chose, nous sommes perçues comme des femmes noires et traitées comme tel. »
Sur Twitter, Anne-Elisabeth Moutet en a rajouté quelques couches, ne voyant pas en quoi l’évocation de deux femmes noires serait raciste, puisqu’elle ne voulait mentionner que leurs métiers (actrice et « activiste de gauche »), avant de juger votre indignation de « fonds de commerce ». Qu’en dites-vous ?
Déjà, je ne suis pas plus activiste qu’elle. Nous sommes toutes deux journalistes, elle est de droite, je suis de gauche, point. Elle aurait pu comparer Meghan Markle à Scarlett Johansson ou Jennifer Lawrence, Clémentine Autain ou Caroline de Haas – et encore, pourquoi une Française ? Des actrices blanches, glamours, qui ont du succès, il y en a plein ! Mais non, le premier nom qui lui est venu à l’esprit, c’est celui d’Halle Berry. Elle a choisi une actrice métisse et une femme noire. Parce qu’avant toute chose, nous sommes perçues comme des femmes noires et traitées comme tel. Quant au « fonds de commerce »… Je ne connais pas cette journaliste, elle est en train de parler de la famille royale britannique – moi, j’étais tranquillement chez moi, je ne demandais rien à personne – et elle dégaine mon nom de nulle part. Donc elle attaque une personne avec des poncifs racistes et quand cette personne proteste en lui disant « c’est raciste », elle sort la carte du fonds de commerce. C’est totalement paradoxal.
Avez-vous un quelconque lien avec la famille royale britannique ?
Non, du moins pas déclaré. (rires)
Propos recueillis par Loïc Le Clerc