« Face à la violence des propos,
nous sommes de plus en plus
souvent obligés d’interrompre
des fils de discussions de nos
forums et de supprimer des
posts. » Depuis sept ans qu’il travaille
pour un site d’information, Bertrand [1] n’a
jamais vu cela. Les modérateurs sont
submergés par une masse de commentaires
illicites : racistes, antisémites, homophobes,
insultants… Pourtant, le site
connaît une audience stable, il n’a pas
enregistré d’inscriptions significatives
de nouveaux participants, en revanche
la virulence des propos, elle, a décuplé.
Pas de doute : « On assiste à une
radicalisation de l’opinion », observe décontenancé Bertrand. Au vu de la
masse et de la diversité des auteurs, il
ne s’agit plus d’une attaque coordonnée
et organisée de trolls – ces internautes
qui participent à une discussion pour
susciter ou nourrir artificiellement une
polémique, et plus généralement pour
perturber le débat. Cette fois, le constat
se fait sur la base de comptes anciens,
chez des habitués dont le ton monte et
qui désormais enchaînent les dérapages.
Le mal est donc bien profond.
Jérémie Mani, président de Netino – une
entreprise spécialisée dans la modération
de sites tels ceux du Monde et de
L’Express – constate également une
augmentation du nombre de messages
illicites : « Plusieurs milliers sont rejetés
chaque jour. » Mais c’est une amplification
un peu en trompe l’oeil car elle n’est due qu’à une participation plus étendue :
« La violence n’augmente pas en volume,
elle reste proportionnelle au nombre
d’internautes qui interviennent dans les
discussions. » La virulence des débats
est très liée à l’actualité. Les grands scrutins
et les enjeux sociétaux cristallisent
les rivalités. Force est de constater que
l’élection présidentielle, le mariage pour
tous et l’assassinat de Clément Méric
ont largement nourri les discussions et
les passes d’armes sur les forums et les
réseaux sociaux. Un trop plein de posts,
de tweets et de propos décomplexés qui
entament sérieusement le moral des modérateurs
: « Devoir gérer tout ce flux de
haine et d’insultes à longueur de journée,
cela développe en nous un sentiment de
malaise profond. On est comme des flics
qui ont le blues à force de patauger dans
le sordide », confie Bertrand.
« Si certains forums sont en proie à un
déferlement de violence, c’est peut-être
parce que les commentateurs les plus
modérés les ont désertés au profit de
Twitter et d’autres réseaux sociaux »,
avance Yann Guégan, rédacteur en chef
adjoint du site d’information Rue 89. Ne
resteraient donc que les béotiens, les
lourdauds, les obtus, les ultras.
Les ruses du contournement
La chasse aux trolls est donc ouverte. Les
sites renforcent leur stratégie de modération
et la consigne dans une charte d’utilisation.
Ils font également appel à des
sociétés spécialisées (Netino, Conciléo)
équipées de logiciels capables de détecter
les insultes et disposant de modérateurs,
présents y compris en Australie ou
Nouvelle-Zélande, qui assurent ainsi une
veille 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Objectif
: ne rien laisser passer. Au besoin,
des comptes sont bloqués. « Depuis que
Rue 89 a établi de nouvelles règles pour
ses forums, le site a pu conserver la qualité
de ses débats », explique Yann Guégan,
ancien community manager du site.
L’animation de ceux-ci est assurée par les
journalistes de la rédaction ce qui garantit
également la bonne tenue des échanges.
Mais les trolls sont retors. Au fur et à
mesure que les règles du débat se durcissent,
ils déploient des stratagèmes de contournement. « Les propos sont
de plus en plus alambiqués, plus allusifs,
ils jouent sur la ligne en évitant
de la franchir, note Jérémie Mani. Ainsi,
pour stigmatiser un Maghrébin, certains
internautes emploient alors le qualificatif
d’“auvergnat”, en référence au dérapage
de Brice Hortefeux. » D’autres
usent de techniques plus grossières :
« Ils utilisent un pseudo à consonance
étrangère et tiennent des discours antifrançais
dans le but de créer la réaction.
Et beaucoup tombent dans le panneau.
Mais quand on s’intéresse à l’adresse
IP de l’ordinateur émetteur, on s’aperçoit
que plusieurs comptes y sont rattachés
et que le détenteur, au regard de ces
interventions antérieures, est clairement
d’extrême droite », relate le président
de Netino. Un classique du genre, dès
l’apparition d’internet le Front national a
investi l’espace numérique : une façon de
détourner la « diabolisation » dont le parti
se dit victime. Mais aussi une volonté de
« réinformer face à une hégémonie culturelle
» selon la terminologie très en vogue
sur novopress.info – agence de presse
« indépendante » affiliée à Marine Le Pen
– ou encore sur fdesouche.com. L’activisme
numérique de l’extrême droite s’est
ignominieusement illustré avec la mort de
Clément Méric – militant antifasciste tué
par des skins liés à Troisième voie. Ainsi
la page Facebook « RIP Clément Méric »
a été piratée par les nationalistes. Le
message : « Tous les jours, des Français
de souche sont tués dans l’indifférence »
a été affiché pendant quelques heures.
De faux comptes Twitter et Facebook
attribués à l’étudiant de Sciences Po ont
été créés puis fermés.
Lutter contre le racisme sur internet est
difficile. Il y a une telle quantité de propos
que les poursuites sont rares. Elles
n’ont lieu que lorsque ceux-ci ont un
écho au-delà d’Internet ou que la victime
intente une action pour les faire retirer,
beaucoup abandonnent l’idée d’en appeler
à la justice. « Il faut porter plainte
individuellement pour chaque propos raciste
», rappelle Tristan Rouquier membre
de SOS-Racisme. Mais « les réseaux
sociaux n’ont pas de statut légal défini
en droit français », explique sur France
Culture maître Matthieu Berguig, avocat
spécialiste du droit de la propriété intellectuelle.
« Or, nombre d’internautes –
notamment sur Twitter – agissent sous un
pseudonyme, il y a donc une difficulté à
identifier la personne titulaire du compte.
Il faut demander les informations à la
maison mère de Twitter dont le siège est
aux États-Unis. Avant, il faut solliciter un
juge pour que celui-ci rédige une injonction
à Twitter de délivrer les renseignements,
mais il faut également que Twitter
accepte de se soumettre à une décision
française. » Le 10 juin dernier, Fleur Pellerin,
la ministre de déléguée à l’Économique
numérique, rappelait que le gouvernement a mis en place « un groupe interministériel
qui coopère de manière constructive
avec Twitter. […] Elles [ces entreprises
Twitter et Facebook] veulent respecter
les cultures juridiques et philosophiques
locales. Mais il y a un temps de latence
car elles viennent d’ouvrir des représentations
locales. […] Ce n’est pas toujours
évident car ce sont des sociétés qui se
considèrent de droit américain, mais
elles doivent respecter les décisions
des juges français. »
En France, les associations antiracistes
témoignent d’une recrudescence des
tweets et des statuts Facebook à caractère
raciste. Pour lutter contre le fléau,
elles réfléchissent à une prise en compte
spécifique de ces atteintes à la loi. Mais
elles ne prônent pas la solution d’un filtrage
des contenus, car les internautes la
jugent trop liberticide. À toutes fins utiles,
il est bon de rappeler qu’une injure raciste
émise dans un espace public est passible
de six mois de prison et 22 500 euros
d’amende. L’auteur de diffamation raciste
encourt 45 000 euros d’amende et un an
de prison. Contrairement aux autres propos
tenus sur Internet dont la prescription
légale est de trois mois, les injures ou
diffamations à caractère raciste ne sont
prescrites qu’au bout d’un an.
Merci pour cet article, que nous allons faire connaître.
Notre association / réseau est un autre outil pour lutter contre les falsifications , bobards, trucages, que répandent les extrêmes droites à partir du Web.
Les Debunkers, démolisseurs des intox de l’extrême-droite.
Notre site web, avec pas loin de 1OO facho-intox démolies à ce jour =
debunkersdehoax.org-
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