Regards.fr. Comment est née cette idée de
processus nommé « Ensemble » ?
Christophe Aguiton. C’est un processus qui a démarré pendant
la campagne présidentielle de
2012. La dynamique de celle-ci a attiré
des dizaines de milliers de personnes
vers le Front de gauche, mais elle a
aussi posé deux problèmes politiques,
à savoir : comment permettre à ces militants
ou simples citoyens de s’intégrer
au Front de gauche ? Et par voie de
conséquence, quelle devait être la place
des composantes constituées dans
le Front de gauche ?
Ce débat a porté sur toute une série
de choses : comment aller vers des
adhésions directes au Front de gauche,
quelle place donner aux assemblées
citoyennes, aux fronts thématiques,
etc. Et il a amené des responsables
de plusieurs « petites » composantes
du Front de gauche, Convergence et
alternatives, Gauche unitaire et la Fédération
pour une alternative sociale et
écologiste [FASE, ndlr] ainsi que des
courants s’intégrant à la campagne
électorale comme les Alternatifs et la
Gauche anticapitaliste à se réunir avec
des militants issus du mouvement social
pour réfléchir à ces questions et tenter
un rapprochement politique.
Des rencontres ont donc eu lieu durant
toute l’année 2012, dans un processus
appelé « Tous ensemble », mais sans
permettre de faire un réel saut qualitatif.
Plusieurs raisons à cela, certains voulaient
donner la priorité à l’élargissement
du Front de gauche et aux adhésions directes,
d’autres voulaient tester des rapprochements
possibles avec le Parti de
gauche, d’autres enfin voulaient vérifier
la solidité des accords politiques avant
de se lancer dans un rapprochement.
En parallèle, à la fin 2012, les cinq
organisations ont commencé à se réunir
entre elles, à élaborer des textes
communs et ont publié un bulletin,
« Trait d’union ». Finalement les deux
processus ont fusionné, ce qui a permis
la tenue d’une réunion nationale le
15 juin 2013 qui a décidé de lancer le
processus de rapprochement entre ces
forces – sauf pour la Gauche unitaire
qui s’est divisée en deux, moitié pour et
moitié contre. Les 23 et 24 novembre,
un nouveau mouvement va donc se
créer, pour une étape de transition pendant
laquelle les courants constituants
continueront à exister.
Quelle est votre identité politique ?
Le mouvement qui va se créer est issu
de trois cultures politiques : une partie
vient de la LCR ou du NPA, une autre de la culture communiste, avec l’Association
des communistes unitaires et
une troisième de la culture alternative,
très présente à la FASE et bien sûr chez
les Alternatifs. Mais ce qui fait la force
de ce rapprochement, c’est l’existence
d’accords politiques qui ont été vérifiés
par la pratique commune de ces différents
courants sur de nombreux terrains
: l’internationalisme avec le mouvement
altermondialiste, l’écologie avec
des luttes comme celle de Notre-Damedes-
Landes, le féminisme, la défense et
la promotion des pratiques alternatives,
le refus de toute hiérarchie et subordination
entre forces politiques et le mouvement
social, la conviction de la nécessité
d’une refonte radicale des pratiques
démocratiques, etc.
Quel rôle entendez-vous jouer
dans le Front de gauche ? Quelle
est votre valeur ajoutée ?
Ce nouveau mouvement peut apporter
trois éléments importants pour le Front
de gauche.
Tout d’abord un élargissement politique
grâce à une sensibilité à des questions
qui ne sont pas ou peu portées par le
PCF et le PG. Deux exemples pour être
plus concret. Il s’est tenu à Bayonne,
il y a un mois, une initiative très importante
pour promouvoir les pratiques
alternatives, sociales et écologiques,
« Alternatiba » qui a réuni plus de 10
000 personnes, venant du pays basque
et au-delà ; le Front de gauche devrait
s’impliquer massivement dans ce type
d’initiative et le mouvement en gestation
peut y aider. Et si l’on regarde les
mobilisations internationales les plus
récentes, deux d’entre elles, en Turquie
et au Brésil, ont porté sur des questions
urbaines, une thématique mise
en avant par le géographe David Harvey
sous le nom de « Droit à la ville »
et qui pourrait inspirer le Front de
gauche ; là aussi le nouveau mouvement
pourrait le faciliter…
C’est ensuite l’insistance dans l’idée
que le Front de gauche doit s’élargir
politiquement mais aussi socialement,
et que cela ne peut se faire par la simple
croissance des partis constituant le
Front de gauche. Peu parmi les dizaines
de milliers de personnes qui se sont investis
dans la campagne présidentielle
de 2012 rejoindront le PCF, le PG ou
notre nouveau mouvement. Il faut donc
permettre des adhésions directes, revivifier
les assemblées citoyennes, etc.
Et, enfin, l’existence d’une troisième
composante peut aider à réduire les tensions qui existent dans le Front de
gauche. Aujourd’hui, le Front est composé
de deux partis importants et de
petites composantes qui ne pèsent
que très peu. Tout désaccord entre le
PCF et le PG se transforme alors en
un bras de fer que personne ne peut
désarmer. Le simple fait d’être trois composantes
importantes devrait permettre
de décrisper, et donc de stabiliser, les
relations en interne.
Avez-vous un partenaire privilégié
dans le Front de gauche ?
Non, car tout dépend des sujets et des
terrains. Pour ce qui est des municipales,
nous sommes tous en faveur de
listes autonomes du Front de gauche
au premier tour, ce qui nous situe du
côté du PG. Mais sur d’autres sujets,
on peut penser à « l’unité de la République
» telle que le PG l’a défendue en
Alsace pendant le référendum régional,
ou encore aux règles de fonctionnement
interne, nous serons très loin du PG.
Comment appréhendez-vous la séquence
municipales/européennes
qui s’annonce ?
Nous ferons campagne avec des listes
autonomes au premier tour dans toutes
les grandes villes, mais nous sommes en
même temps convaincus que la pérennité
du Front de gauche est essentielle.
Plus vite nous aurons donc un accord
pour les Européennes, mieux ce sera !
Le problème de cette nouvelle formation politique, c’est qu’elle reproduit "en petit" ce qu’est le Front de gauche et on ne voit pas ce qu’une seule organisation changera aux rapports de force internes mais surtout externes. Parler de militants issus du mouvement social signifie quoi ? Le mouvement social organisé ? Les forces syndicales ? Des initiatives mouvementistes qui se créent sur un sujet précis et qui passent ensuite la main ?
Le problème du Front de gauche, c’est qu’il a atteint ses propres limites, notamment à cause de la présidentialisation de fait autour de la personne de Jean-Luc Mélenchon et de la propension du parti de gauche à forcer la main à tout le monde en permanence. D’autre part, l’entrée de la "gauche anticapitaliste", par exemple, dans le Front de gauche, n’a pas été un signe d’élargissement, mais de rabougrissement du Front. Il serait plus intéressant de chercher à travailler à des convergences avec le NPA plutôt que d’en récupérer des courants qui au plan de la société -et du monde du travail- ne représentent pas grand chose (1).
La réalité qui nous est posée à tous, c’est bien la représentation politique du monde du travail -qu’elle soit de nature réformiste ou révolutionnaire d’ailleurs.Et donc aussi du rôle des partis politiques en tant que tels.
Que vous le vouliez ou non, la création de cette "troisième force" au sein du Front de gauche apparaît comme une lutte interne au Front de gauche et non pas comme une tentative d’élargissement de celui-ci. La place du front est déjà assez floue, notamment avec la confusion entre parti de gauche, front de gauche, etc. Cette fusion en interne en ajoute, à mon sens.
(1) Avec une exception pour la Gauche unitaire qui en étant une des trois formations fondatrices du Front de gauche a permis à celui-ci de dépasser le cadre traditionnel d’un tête-à-tête communistes-socialistes (n’oublions pas que le PG est issu du PS). La fusion actuelle n’ouvre pas sur l’extérieur mais tend à se refermer "entre soi"
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