En quoi consiste la performance
actuelle de
Marine Le Pen sur les
plateaux de radio et de
télévision ? Depuis la
présidentielle de 2012,
la fille de Jean-Marie
Le Pen a imposé son leadership au FN
et dans l’électorat lepéniste. Les marchands
de sondages l’ont intronisée
« femme politique de premier plan »
et produit phare à destination de leurs
clients. Sur les médias audiovisuels publics
et privés, les vendeurs de temps de
cerveau disponible ont saturé l’espace
médiatique de sa présence, qualifiant de
« bonne cliente » celle qui a renouvelé
les éléments de langage de l’extrême
droite française. Cette conjonction est
en soi une performance et contribue
fortement, sinon à une poussée électorale
encore significative du FN, à l’inscription
grandissante des thématiques
lepénistes dans les discours.
Jean-Marie Le Pen reconnaît le succès
actuel de sa créature politique : « Objectivement,
la conjoncture est favorable
au FN. Le parti marche dans le sens du
tapis roulant. Le Front est porté par les
événements. » Là où le Pen père cultivait
son ostracisme de bête noire de la
télévision éructant de l’imparfait du subjonctif
et des calembours antisémites, Le
Pen fille a réussi à banaliser la présence
du FN dans les médias. Les journalistes
interrogent « le nouveau visage de l’extrême
droite » comme le tout-venant du
personnel politique. Car Marine Le Pen
s’habille et parle comme tout le monde,
n’est-ce pas ? Avec elle l’extrême droite
xénophobe et autoritaire s’affiche dans
un grand rire avec une gouaille digne
d’un jour de marché, à la terrasse du
Café des Sports. « J’ai toujours essayé
d’enrichir le panier du FN avec les préoccupations
des générations actuelles qui
sont les miennes, explique-t-elle, la protection
sociale, la destruction de l’outil
industriel, la société de surconsommation,
la mondialisation, le financement
des retraites. » « Dédiabolisation » donc,
selon le vocabulaire lepéniste repris en
boucle par les journalistes, et brouillage
idéologique pour occuper à la fois le
centre et les extrêmes.
Il faut ajouter, dans notre paysage politique
déprimé et explosif, ce jeu pervers
des médias qui osent confronter
le personnage de Marine Le Pen avec
la possibilité du pouvoir. Elle peut se
délecter de cette instrumentalisation à
double tranchant, qui fait d’elle tantôt la
« chienne de garde du système », selon l’expression de Jean-Luc Mélenchon, et
tantôt le « fruit défendu » dans la bouche
d’un Jean-François Copé. Les pouvoirs
en place misent et jouent à se faire peur.
Au 20 heures de TF1, où Marine Le Pen
se présente en chemisier blanc, cela
donne : « Est-ce que vous allez dire à
vos militants que chaque jour qui passe
vous rapproche du pouvoir ? […] Que
feriez-vous si vous étiez au pouvoir ? »
(Gilles Bouleau, TF1, 13.09.2013).
Complaisance
Car la vraie performance de Marine Le
Pen est dans l’extrême complaisance
et faiblesse de ses contradicteurs. Elle
assène, elle affirme. Personne ne lui dit
son fait. Elle divague, elle profère des
inepties. Personne ne la corrige. Elle
glisse, elle esquive, elle passe du tout à
son contraire, les journalistes de pouvoir
n’opposent pas d’obstacles solides au
tapis déroulant de sa stratégie de communication.
Seule une bonne grosse
provocation, sur les burgers halal ou la
barbe taillée des otages, les fait réagir et
ils font les indignés. Voyons comme cela
se passe dans le détail.
Parmi des dizaines d’émissions qui
reçoivent le FN depuis la rentrée, prenons
RTL, le 3 octobre dernier, jingle :
« Jean-Michel Aphatie vous recevez
donc ce matin Marine Le Pen, la présidente
du Front national » Il est 7h50,
dans la matinale de la radio la plus écoutée
de France, 2 millions d’auditeurs. La
séquence est filmée puis diffusée sur
Dailymotion. Bras croisés, accoudée sur
la table pour se rapprocher du micro,
Marine Le Pen ne regarde pas d’abord
Aphatie dans les yeux, et lâche un premier
petit rire narquois devant la gravité
de la première question qui s’avance :
« Demandez-vous au gouvernement
comme le fait l’UMP, de suspendre la
réforme des rythmes scolaires ? » 1’35
plus tard, après avoir déroulé dans un
phrasé volontairement relâché, et avec
d’ostentatoires moulinets de main, une
antienne sur « les polémiques politiques
lancées par l’UMP et le PS sur des
sujets qui sont quand même secondaires
», puis proposé « une réforme
de fond : deux heures de Français de
plus en primaire », Aphatie lance à
nouveau sa petite perche molle : « Et
les rythmes scolaires… ? » Rien à dire
sur ces « deux heures » ? C’est dans
le programme du FN ? Le journaliste
laisse passer, le FN peut continuer : « La
sécurité à l’école ça, c’est un vrai sujet
de fond… » Aphatie se justifie : « C’est
dans l’actualité… Avec les municipales qui arrivent, vous poser la question n’est
pas forcément une bêtise… » Marine Le
Pen embraye par deux secondes d’éducation
aux médias : « C’est une actualité
organisée ! » Et annonce un « colloque
du collectif Racines », regroupant des
enseignants FN. Les mots « colloque »,
« Racines », glissent vers les auditeurs
sans faire réagir le journaliste. Elle finit
par dire qu’il faut « être souple » sur l’application
des rythmes scolaires. 2’54 :
Marine Le Pen attend sans stress la deuxième
question d’Aphatie à la terrasse du
Café des Sports.
« Soutenez-vous la CGT qui refuse l’ouverture
des magasins le dimanche ? » Le
FN peut enfin parler bricolage sur fond
d’argumentaire poujadiste. « Je suis
pour le maintien de l’interdiction, ditelle,
mais il faut être souple… » Aphatie
insiste devant tant de souplesse : « Soutenez-
vous la CGT ? » Marine Le Pen
déroule son « problème principal », la
disparition du petit commerce indépendant,
« obligée, elle s’en excuse, d’aller
ailleurs que là où vous voulez m’emmener
». Aphatie revient à la charge :
« Vous soutenez la CGT ? » Et reçoit un
trivial : « Ooooooh ! Mais c’est ça vot’
question ! ? », occasion pour Marine Le
Pen, après 4’50 d’émission, de délivrer
des informations capitales aux auditeurs
de RTL : « Je ne suis pas la CGT » ; « Il
faut un dialogue constructif dans notre
pays », etc. « Je peux tenter une autre
question Marine Le Pen ? » Elle rit de
plaisir : « Ouiiiiiii… sûrement un sujet
essentiel… Je le sens ! » Aphatie frémit :
« Merci c’est très gentil… Les jeunes
décrocheurs vont bénéficier d’une allocation,
bonne ou mauvaise idée ? »
Fermez le ban.
« Bavure intellectuelle »
À 5’43, Aphatie annonce que Marine le
Pen va « se retrouver avec les auditeurs
de RTL » qui vont l’interroger. L’entretien
se termine donc ? Non, Aphatie sort sa
botte secrète, son arme la plus massive,
après avoir assoupli la bête de ses trois
questions « d’actualité » : « J’ai lu que
vous allez poursuivre en justice toute
personne qui dira que le Front national
est un parti d’extrême droite ? » L’index
de la main droite d’Aphatie apparaît au
bord de l’écran. Marine Le Pen se fait
grave et, pour la première fois depuis
le début de l’émission, lit son argumentaire
posé sur la table : « Oui, car
c’est une faute déontologique, un acte
de militantisme et une bavure intellectuelle.
» Aphatie ne relève pas la bavure intellectuelle, ni rien d’ailleurs. « Les
origines de votre parti, votre doctrine,
votre contestation du système… »,
voilà pour toutes précisions. Marine
Le Pen exulte : « Vous venez de faire
l’aveu merveilleux !!! Votre contestation
du système vous met à l’extrême
droite ! » et cloue le bec à l’insolent qui
se demande si elle va l’attaquer en Justice
: « C’est un terme volontairement
utilisé pour nuire au Front national et
donc rompre avec l’impartialité avec
laquelle vous devriez être tenu… » 7’43,
« Merci Marine Le Pen… »
Le boulot terminé, la « bavure intellectuelle
» chassée comme une mouche
inopportune, la présidente du FN peut
être satisfaite de ce temps d’audience
que RTL et Aphatie lui ont accordé. Des
petites questions tirées de la maigre
actualité. Elle a souri. Elle s’est moquée.
Elle s’est cabrée. Elle a dit que « extrême
droite » était une injure. En quittant le
Café des Sports de RTL ce matin encore,
elle peut s’avancer tranquillement
vers l’émission suivante. Nul complot
dans ce journalisme de collaboration,
mais une dangereuse coalition d’intérêts
: les médias dominants et moutonniers
ont décidé de lui faire une autoroute.
Il serait temps, face à la « montée
en puissance », la « poussée », l’« ambition
» de Marine Le Pen, que tous ces
médias à forte audience qui la mettent
en scène pratiquent autre chose qu’un
journalisme de marchepied, un journalisme
d’entremetteurs, un journalisme de
maquignons.
si l’actualité politique ne vous convient pas vous pouvez toujours changer de métier cela ne dérangera personne..et vous ne serez moins aigri que votre opinion ne soit pas forcement celle des autres.
Le totalitarisme extrème à la sauce goulaguienne n’est pas ce que les Français souhaitent pour leur avenir..ce qui explique la disparition du communisme...ouf...heureusement...
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