Regards.fr. Le Front national a le vent en poupe, François Fillon vire à droite toute, Manuel Valls est le ministre le plus populaire… Doit-on conclure que la droitisation de la société est en marche ?
Roland Cayrol. Plusieurs phénomènes se conjuguent. D’abord, il n’y a pas de montée enregistrée du FN. Depuis la présidentielle de 2012, on nous raconte cette fable : tout serait bon pour le FN et l’ascension de Marine Le Pen serait irrésistible. Or, en 2012, Marine Le Pen a fait moins que le score de son père dix ans plus tôt, et rien de plus si l’on ajoute le score de Bruno Mégret à l’époque. À la cantonale partielle de Brignoles qui a fait trembler la République, rien de nouveau : le FN avait déjà eu un conseiller général dans ce canton. Et ce résultat est censé nous montrer l’ascension du FN ! Ce que montre toutes les partielles depuis la présidentielle, c’est l’effondrement du PS : ça, c’est vrai. L’abstention croissante de la gauche profite essentiellement à l’UMP. De ce fait, si la droitisation, c’est la montée du FN, c’est en réalité fantasmatique. Mais à force de valoriser le FN en le mettant sur le devant de la scène, on va finir par lui faire la courte échelle et produire son ascension. Cette vague de folie médiatique va finir par produire ses effets. À force de mettre l’extrême droite au centre, on devient les apprentis sorciers du FN.
Le deuxième phénomène, c’est que nous sommes dans une France qui vieillit. Nous avons le corps électoral le plus vieux du suffrage universel. Le poids du troisième et quatrième âge est de plus en plus important. Or il y a une demande dans cette population d’ordre, d’autorité, de discipline. Ce n’est pas un problème droite/gauche : cela concerne tous les électorats, ce qui explique en partie l’image flatteuse de Manuel Valls. Enfin, ce qui monte dans la société, c’est le racisme. C’est vrai dans tous les pays de l’Europe, en Suède comme en Italie, en Angleterre comme en Allemagne ou en France. Un Européen sur deux dit son hostilité ou son antipathie vis-à-vis des musulmans. L’islamophobie est devenue un moyen plus correct de dire son rejet des immigrés d’origine arabe. Les Européens vivent une crise d’identité. Ils ne reconnaissent plus leur cher et vieux pays et reportent leur angoisse sur les arabo-musulmans. Même le tabou de la nationalité a disparu. Dans les villes du Sud-Est, les gens disent qu’il faut les mettre dehors. On leur rétorque qu’ils sont Français et eux répondent que cela ne change rien : dehors ! Là encore, entonner des refrains qui ressemblent à ceux du FN ne fait que le légitimer.
La France n’est pas pour autant devenue hostile au changement ou repliée sur elle-même. Jamais dans l’histoire des sondages, les Français n’ont été aussi attachés à la justice sociale. Ils sont en grande majorité révoltés par l’injustice sociale et la lutte contre les inégalités est au cœur de leurs espérances. Sur l’ensemble des thèmes historiquement chers à la gauche, en vérité, il n’y a pas de droitisation de la société française. Il y a en effet un poids pour l’ordre et une augmentation du racisme anti-arabo-musulman. Mais c’est faux d’appeler cela droitisation et montée irréversible du FN.
Comment expliquer que le Front de gauche ne profite pas davantage de cette situation ?
Il y a un espace pour le Front de gauche attesté par la déception vis-à-vis de la politique Hollande/Ayrault. 35 à 40% des électeurs PS au premier tour de la présidentielle se disent déçus par le gouvernement et la majorité absolue des électeurs des autres candidats de gauche affirme sa déception. Théoriquement, il y a donc un espace mais pratiquement le Front de gauche se révèle incapable de répondre aux attentes de cet électorat. D’abord, il est considéré comme étant dans le même bateau que la gauche de gouvernement. C’est quand même la même famille : le Front de gauche a apporté son soutien à Hollande au deuxième tour de la présidentielle et on le voit, aux municipales, faire ici ou là cause commune avec le PS. Par ailleurs, il n’y a pas de croyance dans un programme du Front de gauche. À part être contre, on ne voit pas les propositions en positif auxquelles on pourrait croire. Enfin, Jean-Luc Mélenchon est un leader qui a intrigué et intéressé pendant la présidentielle mais ses excès de langage et le personnage qu’il se fabrique n’est pas bien convainquant. Il est en voie de « Georges Marchaisisation », si l’on peut dire. Il manque une crédibilité pour des gens qui ont envie que leur force politique partage un jour une expérience de pouvoir. À l’extrême droite, l’électorat aspire à contester et cela suffit. À la gauche de la gauche, le refus s’accompagne d’une envie de participer. On attend plus de cohérence et de crédibilité.
Dans quelle mesure l’UMP peut-elle tirer les marrons du feu ?
Mécaniquement. Son électorat est très sévère par rapport à la guerre des chefs. Il est demandeur d’unité mais comme nous ne sommes pas en période présidentielle, les électeurs se servent du vote UMP pour sanctionner le gouvernement. Les positionnements respectifs de Sarkozy, Copé et Fillon échappent en partie aux électeurs. On voit surtout que la guerre des chefs n’est pas porteuse de projets différents. Et ce d’autant que l’image par rapport à l’identité de chaque leader a changé et ainsi brouillé les cartes. L’UMP peut sortir gagnant des municipales mais cela ne dit rien du match national suivant.
Une petite touche de correction politique quand même chez M. Cayrol, l’augmentation du racisme certes, mais celui-ci s’exprime largement dans les deux sens. Dans tous les pays d’Europe, les dernières enquêtes montrent que si les autochtones rejettent les arabo-musulmans, ces derniers ne sont pas en reste et occupent des quartiers entiers où ils ne souhaitent pas la présence de nos musulmans, où ils ne souhaitent pas les mariages mixtes, les coutumes locales, où ils tentent d’imposer les préceptes de l’islam en lieu et place des habitudes républicaines, etc... ne nous rejouez pas le coup des méchants blancs, non seulement il ne se vérifie plus sur le terrain mais en plus, cette culpabilisation massivement orchestrée est l’un des moteurs de la montée du FN, même si objectivement ce parti plafonne aujourd’hui. M’est avis d’ailleurs qu’il plafonne beaucoup trop haut pour se satisfaire de sa stagnation. Il serait temps que les principes de réalité se substituent à l’idéologie post-coloniale d’éternelle repentance.
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