Accueil | Entretien par Marion Rousset | 7 décembre 2012

Elles ont été violées et elles le disent

Libérer la parole des femmes victimes de viol pour que
la honte change de camp, tel est l’objectif visé par
le documentaire « Viol, elles se manifestent », coréalisé
par Andréa Rawlins et Stéphane Carrel. Entretien.

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Le viol n’est pas un fait-divers, mais un fait
social et politique qui touche, en France,
75 000 femmes chaque année. Une
toutes les huit minutes en moyenne. Et
bien davantage encore, si l’on considère
toutes celles qui ne portent pas plainte.
C’est-à-dire, 90 % d’entre elles. Publié fin
novembre dans Le Nouvel Observateur,
le manifeste des 313 contre le viol lancé
par la codirectrice de Regards, Clémentine
Autain, a d’ores et déjà recueilli plus
de 700 signatures. Une initiative en lien
avec le documentaire d’Andréa Rawlins,
Viol, elles se manifestent, diffusé sur
France 2 au même moment. Dans ce film,
plusieurs femmes célèbres ou anonymes
décrivent, dans sa crudité et sa cruauté,
la réalité du crime qu’elles ont subi. Elles
disent l’état de sidération qui s’est emparé
d’elles, les réactions de leur entourage,
les conséquences dans leur vie. Cet appel
et ce documentaire ont déclenché
une avalanche de réponses. Quarante
ans après le « manifeste des 343 » pour
le droit à l’avortement, la parole se libère
sur un autre non-dit.

Regards.fr. Comment est né le projet de
documentaire contre le viol ?

Andréa Rawlins. Les causes avancent par à-coups. On
est dans une époque propice à la libération
de cette parole. L’affaire DSK, son
traitement, a servi d’électrochoc. Dans
un pays des droits de l’homme où les
femmes ont le droit d’avorter, où elles ont
eu le droit de vote avant d’autres, persiste
un archaïsme. Cette histoire a ouvert le
couvercle, les langues se sont déliées,
des personnalités se sont prononcées.
« Troussage de domestique », « Il n’y
a pas mort d’homme »
… Ces mots qui
ont été prononcés ne tiennent pas de la
malveillance, ils témoignent d’un manque
d’éducation, y compris chez des intellectuels.
L’idée de réaliser un documentaire
manifeste contre le viol a germé dans
l’esprit d’un homme, Pascal Manoukian,
à l’agence Capa. Il a proposé de
réactiver le manifeste des 343 en appliquant
le principe aux victimes de viol.
Un sujet tabou.

A-t-il été facile de trouver des femmes qui
acceptent de parler ?

Quand on a commencé à travailler sur
ce film, j’ai été sidérée par le nombre
de personnes victimes de viol dans mon
entourage amical et professionnel. Ce
n’est pas un fait-divers, mais un fléau
social qui concerne toutes les femmes, et
donc toute la société. J’ai activé tous mes
réseaux dans les milieux judiciaires, hospitalier,
associatif. Une masse de femmes
a répondu positivement. Mais si des stars
du monde du cinéma, de la chanson,
du sport, de l’édition se sont confiées à
nous, la plupart n’ont pas voulu témoigner
publiquement. Elles craignaient qu’on leur
colle une étiquette sur le visage. Il y a la
trouille de n’être plus perçu que comme
ça. On ne peut pas leur jeter la pierre…

En 2010, le Collectif féministe contre le
viol, Mix-Cité et Osez le féminisme avaient
déjà publié un manifeste. Pourquoi l’écho
est-il plus important aujourd’hui ?

À la télé, l’initiative est inédite. C’est la
première fois qu’une chaîne accepte un
documentaire qui prend la forme d’un
manifeste politique. Je rends hommage
aux batailles qui ont précédé. Cette pétition
publiée en 2010 disait « je suis l’une
d’elles, je peux être l’une d’elles »
. J’ai un
souci avec cette formulation, car la suspicion
pèse sur les victimes de viol : a-t-elle
été violée ou était-elle consentante ?

Contrairement au manifeste des 343 qui
visait la libéralisation de l’avortement, il ne
s’agit pas sur le viol de faire évoluer le
cadre législatif. Quel est le but de ce film
et du manifeste publié dans Le Nouvel
Observateur ?

La loi est bien faite. Le problème, c’est
qu’elle n’est pas utilisée. Seules 8 à
10 % des victimes portent plainte…
Avec cette initiative, nous proposons aux
femmes de sortir de l’anonymat et de la
honte, afin d’éduquer la société en rappelant
la réalité du viol. Il reste un grand
travail d’éducation populaire à mener.
Dans un dîner en ville, on peut dire qu’on
a été cambriolée ou séquestrée, on ne
peut pas dire qu’on a été violée. Cet aveu
crée un malaise, les convives regardent
leurs chaussures. Clémentine Autain
m’a ouvert les yeux là-dessus. Très peu
de gens savent ce que c’est et ce que
ça implique. L’exemple du type qui vous
tombe dessus dans une ruelle sombre à
4 heures du matin n’est pas majoritaire.
Dans 80 % des cas, ce crime est commis
par un proche. Les porte-parole qui
s’expriment dans le documentaire ont
été sélectionnées parce qu’elles acceptaient
de parler de la crudité et la brutalité
d’un viol. Elles y avaient réfléchi, même si
toutes n’avaient pas réussi à se reconstruire.
Chaque parole individuelle devient
au fur et à mesure universelle.

Andréa Rawlins, coréalisatrice avec Stéphane
Carrel du documentaire « Viol, elles se manifestent
 », diffusé le 25 novembre 2012 sur France 2.

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