La reprise d’entreprise par
les salariés est dans l’air du
temps. Comme le montrent
les exemples qui se multiplient
(Fralib, SeaFrance,
Hebdoprint, Helio Corbeil, SET, Fontanille…),
les salariés n’acceptent plus
d’être des pions dont on se débarrasse
lorsque la rentabilité souhaitée par les actionnaires
n’est plus au rendez-vous. C’est
dans ce contexte qu’émergent ces projets
de reprise de l’entreprise sous forme de
SCOP. Pourtant, si ces exemples se multiplient,
ils ne concernent actuellement
que des petites et moyennes entreprises
: MyFerryLink.com qui a succédé à
SeaFrance avec ses 400 salariés est la
plus grande reprise à ce jour. A contrario,
jamais l’idée de nationalisation et de
contrôle par les salariés n’a été évoquée
à propos du groupe PSA, entreprise qui
en l’espace d’un an a perdu la moitié de
sa trésorerie et ne doit son salut qu’aux
10 milliards d’euros versés par le gouvernement
le 23 octobre dernier.
C’est dans ce contexte que les politiques
commencent à se pencher sur la question
réfléchissant à divers projets de lois
en vue de faciliter ces reprises. Durant la
campagne présidentielle, le groupe socialiste
avait déposé à l’Assemblée nationale,
le 28 février 2012, une proposition de loi
« tendant à garantir la poursuite de l’activité
des établissements viables ». L’exposé des motifs était on ne peut plus
clair sur l’intention des députés : « Une
entreprise qui envisage la fermeture d’un
site industriel au sein de son groupe doit
avoir non seulement l’obligation d’examiner
les procédures de reprise qui lui
sont soumises, mais aussi l’obligation
de céder ce site si l’une des offres proposées
reçoit la validation du tribunal
de commerce et un avis positif des instances
représentatives du personnel. »
Le recul du gouvernement
De son côté, une association, Agir pour
une économie équitable (AP2E), vient
d’élaborer un projet de loi qui prévoit pour
les salariés, en cas de cession de l’entreprise,
un droit de préemption leur permettant
de se substituer au repreneur potentiel.
Cette proposition de loi a reçu le
soutien d’André Chassaigne, député communiste
et de divers parlementaires allant
du Front de gauche à l’UMP. Les deux
projets mis côte à côte donnent un cocktail
législatif a priori assez efficace contre
les fermetures d’usines. D’une part, une
obligation de céder à tout repreneur qui
se présenterait (y compris les salariés), et
d’autre part, la possibilité pour les salariés
de se substituer à un éventuel repreneur
si d’aventure un tiers apparaissait.
Oui, mais les choses ne sont pas si
simples. D’abord parce que la promesse
de campagne de François Hollande n’a
pas été représentée au vote de l’Assemblée.
Pire, le gouvernement vient de soumettre
cette proposition aux partenaires
sociaux pour qu’ils la formalisent dans
le cadre des négociations sur la flexibilité
et sécurité de l’emploi. Dans le projet
remis aux syndicats, le patronat a rendu
une page vide sur ce point bien précis
: aucune discussion n’est donc prévue.
Ensuite, en cas de présence d’un
repreneur, les salariés devront s’aligner
sur le prix proposé, ce qui compte tenu
de leurs moyens ne sera pas toujours
facile. C’est d’ailleurs sur cette question
des moyens que tout pourrait bien
se jouer à l’avenir.
Après dix années de gouvernements de
droite, voilà qu’un ministre délégué chargé
de l’Économie sociale et solidaire (ESS)
est nommé en la personne de Benoît Hamon.
Celui-ci a d’ores et déjà promis une
loi sur l’ESS pour 2013. Divers éléments
de cette loi commencent à filtrer, qui
correspondent d’ailleurs assez aux propositions
du groupe de travail parlementaire
sur l’économie sociale et solidaire
animé par Marie-Noëlle Lienemann. Dans
le cadre de la formation de la Banque publique d’investissement, le gouvernement
a promis de dédier 500 millions
d’euros à l’ESS, ce qui pourrait paraître
conséquent pour reprendre des entreprises.
François Longérinas, secrétaire
national du Parti de gauche à l’ESS,
n’est pas de cet avis : « Cette somme
va vite être dépensée par l’économie
solidaire. Il faut voir qu’une simple
régie de quartier a besoin de 40 000
euros par année d’amorçage. » Sylvie
Mayer porte-parole de l’AP2E, partage
cet avis : « Il faudrait actuellement
4 millions d’euros aux 123 salariés
de Pilpa, entreprise de crèmes glacées
à Carcassonne, pour redémarrer
leur entreprise. À ce rythme, les 500
millions paraissent faibles. » À cet égard,
l’article 8 du projet de loi de l’AP2E prévoit
de renforcer le fléchage des fonds
de l’épargne salariale vers la reprise
d’entreprises en coopératives.
Le prix à payer
Il convient d’ailleurs de rappeler que l’ESS
est un vaste ensemble qui regroupe associations,
coopératives, mutuelles et
fondations. Ce secteur emploie 2,3 millions
de personnes. Dans toutes ces
structures, ce n’est pas la mise en valeur
du capital qui motive l’initiative économique,
ce qui constitue indiscutablement
une rupture par rapport aux sociétés
de capitaux. En revanche, dans la majeure partie de celles-ci, ce sont les
usagers qui dirigent l’entreprise, les salariés
restant dans un rapport de sujétion
proche de celui des entreprises de capitaux.
Il n’y a que dans les SCOP et les
SCIC que les salariés sont coopérateurs,
ce qui ne représente plus que 42 000
emplois. Une réelle politique de transformation
sociale ne devrait-elle pas poser
la question de l’intervention des salariés
dans ces structures non capitalistiques ?
Dans les différentes mesures pressenties
par la future loi sur l’ESS, deux
points concernent directement les SCOP.
Le premier porte sur l’autorisation faite
aux SCOP de ne pas disposer d’une
majorité de salariés au capital pour une
période transitoire de cinq à dix ans. Lors
de la reprise de l’entreprise, les salariés
peuvent en effet ne pas disposer immédiatement
de la majorité en capital, tout
en l’ayant en termes de décisions du fait
de l’application du principe « une personne,
une voix ». Ce ne sera qu’au bout
d’un certain temps, par souscription de
parts sociales par prélèvement sur salaire
que la majorité sera obtenue. « Ce
statut transitoire n’a de nécessité que
parce qu’il manque des financements
pour faciliter la reprise des entreprises
par les salariés », objecte Sylvie Mayer.
La deuxième mesure porte sur un « droit
de préférence au profit des salariés ».
Cette proposition semblerait se rapprocher
de celle de l’AP2E, sauf que « droit
de préemption et droit de préférence, ce
n’est pas la même chose », rappelle François
Longérinas. Effectivement, la lecture
du rapport Lienemann sur ce droit de
préférence laisse dubitatif : il semblerait
que les salariés soient seulement
écoutés, informés et puissent faire une
offre sans que celle-ci soit forcément
acceptée à montant égal.
Le montant du rachat, sujet rarement
abordé, risque pourtant de faire achopper
nombre de reprises. Un droit de préemption
signifie que les salariés doivent s’aligner
sur le prix proposé par un repreneur.
Or la valeur d’une entreprise est déterminée
par les dividendes que celle-ci peut
espérer dégager à l’avenir. Les salariés
ont donc tout intérêt à payer le moins
cher possible, et des salaires, nets
comme cotisations, élevés sont la meilleure
garantie d’avoir le prix le plus bas
possible, pour ne pas parler d’un prix
approchant l’euro symbolique. « Tout le
monde tourne autour du pot, la reprise
est devenue un débat politique y compris
vis-à-vis des propriétaires », indique
François Longérinas.
Alors qu’au travers des différentes reprises
d’entreprises existantes se repose
la question essentielle de l’appropriation
sociale, voilà que le gouvernement recule
sur l’obligation de cession d’un établissement
qui doit fermer, amoindrit la possibilité
d’un droit de préemption en faveur
des salariés, positionne l’ESS comme un
tiers-secteur dans le cadre de sa Banque
publique d’investissement, le tout sur
fond de compétitivité-coût qui ne peut
que revaloriser les entreprises et donc
freiner les initiatives des salariés.