Accueil | Analyse par Roger Martelli | 7 décembre 2012

Pour une gauche digne du non !

FN en embuscade, UMP en miettes, PS au centre…
La politique tangue. Comment le gauche va-t-elle
se ressaisir ?

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La politique française se restructure
à grande vitesse.
Quels que soient les péripéties
de l’UMP et les
espoirs de l’UDI centriste,
la droite continue de se radicaliser en
son coeur, autour d’un projet combinant
l’ultralibéralisme économique et l’autoritarisme
sécuritaire, largement inspiré
par la composante extrême du Front
national. Quant au socialisme français,
il semble prêt à s’engager ouvertement
dans la voie d’un social-libéralisme
jusqu’alors repoussé.

Ce n’est certes pas la première fois
que la social-démocratie française se
livre à un recentrage de son action.
Mais, jusqu’à ce jour, elle s’était toujours
refusée à lui donner la cohérence
d’un projet. En Europe, le modèle de la
social-démocratie acceptant les normes
économiques fondamentales du capital
est resté longtemps celui du socialisme
allemand. En 1959, au congrès de Bad
Godesberg, la social-démocratie décida
de renoncer à la référence historique
qu’elle faisait au marxisme et se fixa sur
une formule destinée à faire florès : « Le
marché autant que possible, l’intervention
publique autant que nécessaire. »

Dans le discours, le socialisme français
s’est longtemps attaché à refuser
officiellement ce modèle. Au début des
années 1970, le socialisme mitterrandien
affichait un anticapitalisme qui l’opposait
aux social-démocraties d’Europe
du Nord. En 1997, encore, Lionel Jospin
récusait vivement le social-libéralisme
de Tony Blair et de Gerhard Schröder,
arguant de son dédain d’une « société
de marché ». Or, pour la plupart des
observateurs, François Hollande est désormais
infiniment plus proche du sociallibéralisme
allemand ou britannique que
du « Changer la vie » socialiste de 1972.
Les primaires organisées par le Parti
socialiste il y a quelques mois ont, il est
vrai, figé le jeu dès le départ. La candidature
de François Hollande s’opposait
à deux candidatures réputées plus à
gauche (Arnaud Montebourg et Martine
Aubry), Manuel Valls occupant alors la
fonction du faire-valoir négatif à droite.
Ce déséquilibre initial poussait de facto Hollande vers le centre et suggérait,
à mots couverts, qu’il n’y avait pas
d’alternative à l’acceptation fondamentale
des « forces obscures du marché ».
Mais la pression exercée par sa gauche
et, davantage encore, l’entrain du Front
de gauche obligeaient le candidat « central
 » à préserver prudemment la tonalité
« gauche » du discours officiel (c’est
l’équilibre de son discours inaugural du
Bourget). « Normal » : une façon ramassée
de dire « pas trop à gauche, pas
trop à droite ». Une fois au sommet de
l’État, la vivacité de la crise aidant, les
prudences discursives sont renvoyées
au vestiaire. Et plus question de disserter,
comme le malheureux Jospin, sur le
« oui à l’économie de marché, non à la
société de marché »
. François Hollande
a finalement assimilé la conviction que,
en pratique, l’une ne va pas sans l’autre.

Rassembler sans exclure

Ce n’est pas une bonne nouvelle.
D’abord parce que le choix de la double
réduction des déficits et du coût du travail
est économiquement irréaliste et
socialement désastreux. Ensuite parce
que l’échec de la gauche « molle » risque
davantage de déboucher sur la victoire
d’une droite « dure » que sur l’affirmation
majoritaire d’une gauche « radicale ». En
bref, le plus redoutable serait que la capitulation
débouche sur une contre-révolution,
davantage que sur une insurrection.
Ce scénario est-il évitable ? Sur le papier,
oui. Des luttes, partielles ou plus
globales, un effort collectif pour formuler
et promouvoir une méthode et un projet
alternatifs et un regroupement suffisamment large de forces critiques et alternatives :
l’énoncé général des exigences n’est
pas si compliqué. Mais si le choix de
ce regroupement est le seul pertinent, il
exclut tout ce qui pourrait l’empêcher ou
le retarder. Pas question, par exemple,
d’imaginer qu’il pourrait provenir du « ralliement
 » progressif, au Front de gauche,
des forces qui en sont pour l’instant
écartées. Extrême gauche, socialistes de
gauche, écologistes : nul ne devrait être
tenu de se rallier à qui que ce soit. Nul n’a
à battre sa coulpe, ni sur des choix tactiques
à l’intérieur d’une organisation (la
gauche socialiste), ni sur ses anathèmes
passés (le NPA), ni sur ses tactiques législatives
ou même ses choix européens
récents (les écologistes). Tout individu,
toute force qui s’écarte désormais de
l’option sociale-libérale a vocation à faire
partie d’une majorité de gauche à venir.
Le choix des sommets de l’État n’est pas
sans conséquence pour toute la gauche.
Dès l’instant où la cohérence gouvernementale
est tirée officiellement dans une
direction sociale-libérale, le temps n’est
plus au « ni oui ni non ». L’abstention
n’est plus de mise et la seule réponse
lisible est le non. Mais, pour que ce non
devienne une évidence à gauche, et pour
qu’il ne fasse pas le jeu d’une droite
agressive et aux aguets, ce qui compte
désormais est la manière de dire non.
Ou plutôt, elle est dans la manière de
faire comprendre que le non a un seul
objectif : éviter que, une nouvelle fois, la
capitulation sociale-démocrate ne débouche
sur une démoralisation populaire
accentuée, ouvrant un boulevard à une
contre-révolution libérale-sécuritaire.

Pour une gauche digne de ce nom, il y
a aujourd’hui une double impasse : une
obsession du refus qui peut porter à la
solitude ; une prudence dans la critique
qui brouille la clarté de tout message.
La surenchère antisocialiste est sans
effet ; l’indulgence pour les choix du
parti majoritaire est une faute… Mettre
en garde les gouvernants contre les
conséquences de leurs choix, le faire au
Parlement ou dans la rue est sans doute
une nécessité. Cela pourrait toutefois
être de piètre efficacité face à une logique
installée, qui a toutes les chances
de se peaufiner. Créer en revanche les
conditions d’une majorité de rechange à
venir, faire montre en ce sens de la plus
grande ouverture, du sens le plus aigu
de la tolérance et de la mesure, voilà
qui devient la clé, auprès de tout ce qui
est à gauche et qui ne se reconnaît pas
dans l’orientation officielle. Que le Front
de gauche ait à son actif l’antériorité de
ses choix est à son honneur ; son utilité
sera jugée toutefois à l’aune seule de sa
capacité à rassembler sans exclusive.
Et, pour cela, de sa capacité à innover
dans la désignation d’une alternative
de société. Il n’y a pas de raccourci
qui permettrait de faire l’économie
de cette voie.

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