Le ministre de l’Éducation pensait
qu’en annonçant la création
de 60000 postes d’enseignants
sur la mandature, il
aurait la paix. Raté. Le 22 janvier,
les instituteurs ont massivement fait
grève à Paris. Plus de 80% d’entre eux
ont chômé la classe. Un taux de grévistes
proprement exceptionnel. Une grève qualifiée
d’historique par le SNUipp-FSU,
premier syndicat du primaire, qui appelle
avec d’autres le 12 février à une nouvelle
grève, nationale cette fois-ci, contre
la réforme Peillon. Les communes ont
jusqu’au 31 mars pour décider si elles
renouent avec la semaine de 4,5 jours en
primaire en 2013 ou 2014. Pourquoi le
projet de loi sur les rythmes scolaires a-t-il
ainsi excédé ces enseignants parisiens ?
À lire les journaux et les sondages, les
motivations d’une telle mobilisation
semblent largement incomprises, comme
si le discours sur le « mammouth » impossible
à bouger, à réformer, avait gagné
les consciences. Pourtant, l’inquiétude
et la colère des enseignants repose sur
de sérieux éléments. L’idée que le rythme
de travail pour les enfants est aujourd’hui
trop lourd, et que la charge est mal répartie,
n’est pas contestée. Mais la réforme
n’atteindra pas l’objectif d’améliorer la
vie à l’école pour les enfants. En effet,
les élèves finiront toujours à 16h30. Les
enseignants travailleront 45 minutes de
moins par jour mais la présence à l’école
sur les quatre jours sera la même pour
les enfants, et s’ajoutera pour tous le
mercredi matin. Le bruit de la cour, la vie
en collectivité, les activités d’éveil, etc.
: autant d’éléments qui ne sont pas de
nature à alléger la fatigue. Quelles activités
seront assurées pendant ce temps
déchargé ? À quel prix et qui paiera ?
Autant de questions qui restent floues,
à l’appréciation des collectivités dont les
moyens et les projets sont inégaux, sans
compter l’austérité qui s’abat sur toutes.
Par ailleurs, les enseignants ne voient pas
pourquoi ils viendraient travailler une demi-
journée de plus pour le même salaire.
Quels salariés d’entreprise accepteraient
sans broncher de telles modifications
d’emploi du temps ? Les syndicats d’enseignants
sont dans leur rôle en renâclant
à un tel réaménagement des conditions
de travail. L’accusation de « corporatisme
» est curieuse et malvenue, surtout
si l’on songe aux salaires actuels déjà bien
maigres. Savez-vous qu’un enseignant
gagnait, en début de carrière, deux SMIC
en 1982 et qu’il n’en gagne aujourd’hui
qu’1,3 ? Sur trente ans, la détérioration
de la rémunération des enseignants est
aussi colossale que mésestimée. La comparaison
avec les pays de l’OCDE (voir
tableaux) indique combien les profs français
ne sont pas aussi bien lotis que le
discours dominant ne le raconte. Se situer
au même niveau que les Polonais et loin
derrière les Espagnols ne semblait pas
évident… Qu’il s’agisse du primaire ou
du secondaire, la France se situe dans la
fourchette basse au niveau européen du
point de vue de la progression du salaire
du début à la fin de la carrière, sans travailler
moins que les autres. Or, en termes
de salaire comme de valorisation sociale,
le métier d’enseignant aurait du bénéficier
d’une attention et d’une considération
toute particulière pour que soit réussi le
défi de la massification et aidé ceux qui
sont aux premières loges des crises multiples
de la société contemporaine.
Devant la gronde des profs, Vincent
Peillon s’est dit prêt à faire un geste. Le
chiffre de 400 euros annuels, versés aux
seuls enseignants du premier degré, est
avancé ici et là. Pour financer ce coup de
pouce qui coûterait 132 millions d’euros,
le ministère procéderait en fait à une
redistribution, comptant à la fois sur les
primes catégorielles déjà budgétées et
la non-reconduction de trois dispositifs :
les primes attribuées jusqu’alors aux enseignants
de CE1 et CM2 dans le cadre
des évaluations nationales, les stages de
remise à niveau du printemps pris en
charge par les professeurs des écoles et
les primes attribuées aux professeurs enseignant
dans le réseau Éclair – en zone
difficile. Ou comment gérer la misère…