Si NKM n’était pas le pur
produit politique que l’on
connaît, on la croirait toute
droite sortie de l’aile ou la
cuisse de Sarkozy. Vous
savez, le film avec Louis
de Funès, diffusé 2344
fois depuis la privatisation de TF1,
après le JT de Claire Chazal. Le film
qui préfigure la révolution industrielle et
numérique, chère à l’ex-ministre sarkozyste,
et accessoirement à son frère,
pdg de price-minister. Rappelez-vous :
dans des usines sans ouvriers – zones
franches de droit du travail of course et
programme du CNR “Les Jours Heureux”
réduit en poudre - des poulets
cubiques vous tombent tout emballés
dans les assiettes de l’avenir.
Mais il y a un double-effet NKM. Et
la communicante, habile comme une
anguille, peut faire aussi grande dame
apprêtée, style trente glorieuses. On la
dirait parfois sortie d’un film de Jacques
Tati, Mon Oncle et sa villa futuriste
middle-class qui côtoie la banlieue populaire
en ruine. Vous vous souvenez, la
voisine célibataire, son grand chapeau,
ses manières : « Je connaaaais de joliiies
histoires… », sussure-t-elle à l’enfant
indifférent. NKM a tout compris de
la politique, isn’t it, une artiste du storytelling,
qu’on nous sert au robinet des
tubes numériques et autres tablettes
internet.
Car pour la bataille municipale de Paris,
NKM a fait sa mue et fendu l’armature :
nouveau look pour une nouvelle vie, afin
de satisfaire l’oeil de la télé-réalité qui
nous surveille. Adieu Longjumeau, ville
fleurie et son marigot tactique. Grand
saut sur la capitale, où la droite se
casse les dents depuis Delanoë. NKM
vient porter « une nouvelle énergie »,
puisque la politique n’existe plus hors
des écrans de divertissement et de
contrôle. Puisque l’hégémonie culturelle
passe par la bataille d’images, et
réciproquement. Pour affronter la force
tranquille, un tantinet austère disons,
d’Anne Hidalgo, la candidate UMP
déploie ses micro-récits. La députée de
l’Essonne a remisé chouchous et barettes.
NKM relookée, c’est sourires et
cheveux lâchés, boucles au vent. NKM,
jeans, blouson de cuir et boîtes de nuit.
NKM métro and cigarettes. NKM se
lâche pour Paris !
Sur France 2, un reportage de l’émission
“Envoyé spécial” mettait en scène
la biographie et la carrière des deux
femmes politiques pressenties pour
devenir Maire de Paris. Dans une scène
de taxi nocturne, comme filmée par
Olivier Assayas ou Claire Denis, NKM
s’épanche, mots et confidences bien
pesés : « Je pense que c’est très destructeur
de passer son temps à maîtriser
ses mots, de maîtriser sa parole,
de la contraindre. C’est un apauvrissement
de soi-même, de sa relation avec
les autres. Je préfère dire les choses
comme je les sens. Quitte à ce qu’elles
soient occasionnellement détournées. »
NKM est une actrice de la politique qui
sait composer avec les codes des séries télés. Elle sait faire briller, de sa voix
douce, le vernis de la simplicité sous la
brutalité du programme. « Je pense que
les étiquettes sont une violence faite
aux personnes. On essaye de vous enfermer
dans des boîtes. Quand on me
le fait, on passe en général assez loin
de la réalité. » Toujours cette violence du
“Truman Show” de la réalité…
Tant de perfection télégénique et scénaristique
impressionne. Tant de cordes
à son arc aussi : polytechnicienne, service
militaire dans la Marine, mère, artiste,
et même architecte… Son projet
pour Paris prévoit de relooker en piscines
et lieux branchés des stations de
métro devenues fantômes. Tout un programme.
A croire que le produit NKM
a été brainstormisé et peaufiné par
des publicitaires de métier. Un récent
sondage de l’institut “marketing-politique.
com” ironisait : “A quelle produit
associez-vous NKM ?” 43% des français
répondent “Elnett de L’Oréal”, 19%
“Ultra-Brite d’Unilever”, 12% la fameuse
éponge double-face “Scotch-Brite” et
le reste, des revêches sans opinion. Il
faut reconnaître la limite de tels sondages.
Mais tout de même. Quand on
ouvre le placard laissé par Chirac et
Tibéri à Paris, on se dit que la droite parisienne
méritait une forte tête de gondole.
NKM c’est le pack idéal, malgré le
forfait limité à 2014, trois lettres pour
une marque qui est, à elle toute seule,
son patrimoine politique, son projet, son
logo. Dans N-K-M, le “K” du milieu a du
poids : il drague davantage la référence
hollywoodienne à JFK que celle de l’exprésidentiable
DSK sombré entre Sofitel
et Carlton. Et puis le “M” qui “aime
Paris”, ça c’est de la trouvaille.
Voyons NKM sur un plateau, ou plutôt
dans l’assiette oeuf-bacon de Roland
Sicard. La vie politique médiatique
réserve quelques passages obligés.
Dont le privilège télé-matinal des “4
Vérités” sur France 2. Le titre fleure
bon les belles heures de François-Henri
de Virieu dans les années 80. Un rêve
de journaliste : passer l’homme ou la
femme politique au presse-agrume de
la vérité. L’adage le dit : dire ses quatre
vérités à quelqu’un, c’est ne pas le
ménager et l’éclairer de sa franchise.
Mais pourquoi les mettre en quatre, si
ce n’est pour en marquer l’intensité ?
Les titres des émissions de télé ne sont pas moins fabriqués que les slogans
politiques.
A l’heure du petit déjeuner, le journaliste
Roland Sicard ne manque pas
d’appêtit. Lui qui cueille au petit matin la
famille politique au grand complet. Une
institution, “Les 4 Vérités” sur France
2. Sans doute la plus vieille émission
de la télévision encore à l’écran, après
le tirage du Loto. Huit ou neuf minutes
de politique entre la tartine beurrée et
les cartables en route. Et surtout dans
une matinale qui fait plus d’un million de
téléspectateurs chaque jour et plus de
36% de part d’audience.
Ce jeudi 30 janvier, c’est donc l’heure
des “4 Vérités” pour NKM. Au lendemain
de la grande confrontation télévisée
de tous les candidats à la Mairie
de Paris, où elle a dit dans un lapsus
vouloir « remercier toute seule… et tous
ceux qui nous écoutent, après une journée
chargée. » A “Télématin”, William
Lémergie a réveillé son monde tranquillement
depuis 6h30. Arrive cette parenthèse
politique. Générique. Musique.
NKM apparaît, chevelure et sourire en
majesté.
Il est 7h50, Roland Sicard avance le
premier sujet : « Comment ce positionne
l’UMP sur la théorie du genre ? » NKM
: « Je vous dirai surtout comment je me
positionne moi... » Indépendance toute
gaulliste ou gaullienne, comme son
père, comme son grand-père, ambassadeur
à Moscou du temps du Général - l’arrière-grand-père Morizet, lui, a participé
à la fondation du PCF en 1920.
Relance de Sicard, première pique :
« C’est ce que dit Vincent Peillon… »
NKM : « Des parents inquiets, on ne
leur répond pas par la menace mais par
le dialogue, est-ce qu’il le dit aussi ?
» Sicard insiste, elle martèle : parents
inquiets, menaces, dialogue. Deuxième
sujet : « Que comptez-vous faire pour
améliorer la sécurité ? » Croissant béni
pour NKM : « Je veux…, puis se corrige,
je voudrais une police municipale. […]
Le doublement des caméras de protection.
[…] » Le sourire de Sicard se
fait narquois. NKM va devoir résister à
l’affront de ces plans de coupes sur le
journaliste qui la toise. « Troisième point,
je veux le retour des arrêtés contre la
mendicité aggressive » L’arsenal sécuritaire
de la “Droite forte” ou de la “France droite” est planté comme décor derrière
la voix doucereuse et les effets de cils. «
Cette pression de la mendicité… abîme
le vivre-ensemble » Ah ! Cette pauvreté
qui dégrade l’image de Paris aux yeux
des american touristes. NKM, la droite
sans fards.
Vient la minute du slogan de campagne
: « Je veux mettre une nouvelle
énergie pour Paris… » Interruption de
Sicard, décidément bien moqueur : «
C’est ce que disent tous les candidats.
» Sicard paraît presque hilare. On sent
que NKM se pince pour rester sérieuse.
Autre sujet : « Il y a beaucoup de dissidences
à droite… » NKM reconnaît des
« déceptions » dans son camp et grossit
le trait, dénonçant 40 listes dissidentes
à gauche avec le Front de Gauche et
EELV autonomes au premier tour : « Ce
n’est pas très honnête, dit-elle d’un très
large sourire, puisqu’ils ont gouverné
ensemble. »
Roland Sicard décoche son dernier
sujet : « Vous voulez instaurer des référendum
parisiens, pour quoi faire ? » Le
fantôme ou le fantasme gaulliste refait
surface : « Je veux gouverner loin des
camps, loin des partis, loin des côteries,
sous le contrôle des citoyens…
» L’ambition personnelle de NKM, présidentielle
de 2017 en ligne de mire,
pointe dans cette rencontre mal embouchée
entre l’égérie de circonstance
de la droite parisienne et ce qu’il reste
du peuple de Paris.
L’art du storytelling consiste à formater
les esprits, des consommateurs comme
des citoyens. Christian Salmon montre
que le marketing à l’oeuvre dans la
publicité et le management a investit
massivement le champ politique. NKM
est l’une des créatures de cette politique
spectacle. Face au vide effectif
du pouvoir, impuissant à combattre la
Finance et ses instruments, on fabrique
des personnages communicants, davantage
agités ou afférés qu’agissants.
La télégénie de NKM flotte et, de temps
en temps, peut piquer fort si quelqu’un
ose la chercher de trop près. Roland
Sicard a su jouer avec elle ce matin-là
du miroir de la télé. Mais dans une autre
émission, le journaliste Yves Thréard,
du Figaro, en a pris pour sa calvitie : «
Vous avez une coiffure hollywoodienne
depuis le début de la campagne ? »
NKM cinglante, et l’oeil malicieux parce
qu’elle sait que tout cela n’est qu’un jeu
: « Je ne fais pas de commentaire sur
votre coiffure M. Thréard ! Je trouve ça
déplacé, dans une interview sérieuse
et politique. » Si on ne coupait pas les
vérités en quatre dans les petits cercles
de la télégénie médiatique, d’autres
pourraient s’occuper sérieusement des
problèmes politiques.
Merci pour cet point de vue interessant. Bravo !
Coralie du site tri déchets
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