« Mine de rien, vous avez fait plier une multinationale, ce n’est pas rien. Bravo à tous ! Il faut fédérer nos luttes, rester soudés et continuer ensemble ». Jeudi 28 février en fin de matinée dans l’usine Fralib de Gémenos, Christophe Barbier, le secrétaire CGT du Comité d’entreprise de Pilpa (usine de crème glacée de Carcassonne, dont les 124 salariés sont en lutte depuis juillet dernier pour sauver leur emploi), a résumé le sentiment général : après 884 jours de lutte, les salariés de Fralib ont remporté une bataille qui fera date dans l’histoire récente du combat syndical en France.
Face à une bonne soixantaine de personnes (dont une quinzaine de journalistes) euphoriques, le délégué syndical CGT de Fralib, Olivier Leberquier, a pris le temps de lire le contenu de l’arrêt rendu le matin même par la Cour d’Appel d’Aix en Provence. La Cour constate « la nullité du plan de sauvegarde de l’emploi et celle des licenciements déjà intervenus [et] ordonne à la société Fralib Sourcing Unit de reprendre à son début ladite procédure et de présenter au comité d’entreprise un plan de sauvegarde de l’emploi concernant l’ensemble des salariés du site de Gémenos ».
Sans se l’avouer, les soutiens des salariés de Fralib attendaient le rendu de cet arrêt avec une pointe d’inquiétude. Si la Cour d’appel avait validé le troisième « Plan de sabordage de l’emploi » (véritable développement du sigle "PSE" selon les Fralibiens) d’Unilever, l’horizon de la lutte, débutée en septembre 2010, se serait obscurci. Et ce malgré la volonté réaffirmée des salariés de poursuivre quoi qu’il arrive. Questionné sur un éventuel Plan B en cas d’échec, « on aura toujours la possibilité d’aller sur le fond, ce n’est pas la fin de nos recours judiciaires » nous avait assuré Gérard Cazorla, secrétaire CGT du CE, fin janvier.
Mais jeudi 28, un large sourire lui barrait le visage. Malgré ses béquilles et une récente intervention chirurgicale, le représentant des salariés avait tenu à participer à l’AG publique dans les murs de l’usine. « Je vais filer la métaphore footballistique, a prévenu son camarade Olivier Leberquier, radieux lui aussi : on vient de gagner la demi-finale, donc on va savourer ça avec les copains de Pilpa. Et puis très rapidement on va se remettre au travail parce qu’il y a la finale à jouer... Et la vraie victoire, ce sera quand les machines de l’usine vont recommencer à tourner et qu’on va sortir du thé mais aussi des infusions avec du tilleul venu de Provence ! »
En annulant ce troisième PSE, la Cour ordonne à la multinationale de réintégrer l’ensemble des 182 salariés, invalidant les manoeuvres de la direction qui, en régularisant des transactions individuelles sur des ruptures de contrat, avait réduit le périmètre du PSE de 182 à 103 emplois. Et ce sans consultation du Comité d’entreprise (CE), une consultation pourtant rendue obligatoire par l’article L 2323-6 du Code du travail. Cela a suffit à la Cour pour annuler la procédure.
Quelle suite à la lutte des Fralib au lendemain de cette victoire ? L’objectif reste le même pour les salariés : « Aujourd’hui, on tient exactement le même discours qu’au premier jour de lutte, explique Olivier Leberquier : on veut maintenir l’activité industrielle et nos emplois. Le direction d’Unilever a le choix entre s’engager dans une quatrième procédure, et cette fois ce sera donc avec 182 salariés et là on leur souhaite bon courage... Soit se montrer enfin raisonnable et venir s’asseoir autour de la table pour trouver une solution ». Une solution à laquelle les salariés de Fralib ont travaillé de longue date. Elle passe par la création d’une Société coopérative ouvrière provençale de thés et infusions (SCOP T.I) dont les projets de statut ont été remis le 16 novembre dernier au Ministre de l’Economie Sociale et Solidaire, Benoît Hamon. Les salariés demandent la conservation de la marque Elephant et des volumes de production tournant autour de 1000 tonnes par an, de façon dégressive pendant cinq ans, pour assurer la transition et engager la relance. Experts, politiques, partenaires locaux sont d’accord : leur projet est viable. « On a fait la démonstration qu’il n’y a pas de justification économique à la fermeture cette usine » qui produisait 3000 tonnes dans sa dernière période et est parfois monté à 5 ou 6000 tonnes, insiste Olivier Leberquier. Une démonstration que la direction du groupe anglo-néerlandais, n° 2 mondial de la vente de produits de consommation courante, a toujours contesté. Les salariés ne se font donc aucune illusion : « Il faut rester très attentifs aux réactions d’Unilever, ils ont encore des cordes à leur arc et il va falloir se battre jusqu’au bout », a rappellé Gérard Cazorla aux salariés réunis dans l’usine. Tous ont en mémoire la succession des « sales coups » et entraves déployés par la direction depuis le début du conflit. Une stratégie du pourrissement que les dirigeants d’Unliever ont pu mené avec « la complicité objective » du gouvernement précédent a souligné Olivier Leberquier. Le délégué syndical rappellant que, après la première annulation de la procédure en novembre 2011, l’équipe de François Fillon avait préféré réfléchir aux conditions d’un troisième PSE avec la direction du groupe plutôt que de recevoir les salariés.
« On a fait tout le travail depuis le début, trois décisions de justice successives ont été rendues qui ont annulé les PSE d’Unilever, résume Gérard Cazorla. Dans ces conditions, on ne voit ni pourquoi ni comment les responsables politiques et le gouvernement actuel pourraient refuser d’intervenir pour appuyer notre projet de reprise ». Les salariés de Fralib, dont le sort avait été un enjeu de campagne et dont Arnaud Montebourg avait fait un combat emblématique de son nouveau ministère au printemps avant de se distancier du dossier, se veulent « vigilants » sur la manière dont le gouvernement va ou non « prendre ses responsabilités ».
Dans la semaine précédent l’arrêt de la Cour d’Appel d’Aix, le 21 février, ils avaient reçu sur le site la visite d’Eugène Caselli, Président PS de la Communauté Urbaine de Marseille Provence Métropole qui a acquis en septembre dernier les terrains, bâtiments et machines de l’usine de Gémenos. Dès le lendemain de sa visite sur le site, Caselli a adressé une lettre au secrétaire général de L’Elysée Pierre-René Lemas. Il lui rappelle que « la situation de blocage n’a pas évoluée depuis le déplacement de Monsieur le ministre au redressement productif du 25 mai 2012, la première table ronde du 1er juin 2012 et les réunions successives des comités d’engagement » et demande (...) « l’ouverture d’une réelle négociation entre les parties au plus haut niveau de l’Etat », se disant « persuadé que les solutions existent et que la puissance publique a son rôle à jouer pour combattre la désindustrialisation de notre pays ».
Moins d’un an après sa prise de fonction, les dossiers de Florange, PSA et, plus récemment, Goodyear ont donné à voir, sur la question du travail et de l’industrie, une équipe gouvernementale très en deça de ses engagements de campagne. Ce dernier développement du conflit Fralib lui offre un semblant de session de rattrapage : alors que la justice vient une nouvelle fois de donner raison aux salariés en lutte, Montebourg and Cie ont toutes les cartes en main pour cette fois s’emparer du dossier et faire preuve d’initiative. L’équipe d’Ayrault est attendue au tournant.