Accueil | Par Marion Rousset | 7 novembre 2012

Grandes grèves et petits rituels

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Un hexagone barré d’une banderole
sur laquelle était peint le mot d’ordre
« grève ». C’est l’oeuvre qui fut choisie
pour représenter la France à l’exposition
Entropa, inaugurée au coeur du siège
bruxellois du Conseil européen en 2009.
Pourtant, la France de la première moitié
des années 2000 ne se classe qu’au
dixième rang des pays d’Europe par
nombre de journées individuelles non
travaillées. « N’en déplaise aux amateurs
de stéréotypes, la singularité française en
la matière tient moins dans la fréquence
des grèves que dans la répétition, de loin
en loin, de mouvements généralisés »
,
soulignent les historiens Michel Pigenet
et Danielle Tartakowsky dans l’immense
somme qu’ils ont dirigée – plus de 800
pages – sur l’histoire des mouvements
sociaux en France. À propos des grèves
de 1936, l’historien Antoine Prost définit
aussi la spécificité du grand mouvement
social à la française : « Née dans leurs
foyers où elle peut s’expliquer, la grève
déferle, emportant toutes les entreprises
(…). C’est un mouvement irrépressible
que les organisations ont conscience de
ne pas maîtriser. »

Le découpage de cet ouvrage déroule
quatre séquences chronologiques de
1814 à aujourd’hui. Depuis les premiers
tâtonnements jusqu’aux désaffiliations
des quarante dernières années,
chacune coïncide avec l’irruption
discrète ou au contraire spectaculaire
de recompositions, voire de cultures
de mobilisations inédites comme ce
fut le cas à l’apogée de la centralité
ouvrière. « À l’exception de Michelet,
les historiens ont longtemps dénié
aux catégories populaires la capacité
d’exprimer un projet politique autrement
que par l’adhésion électorale au contenu
de programmes élaborés en dehors
d’eux. »
Jules Michelet est justement
celui qui déclarait ne pas douter, en
janvier 1848 : « J’ai la foi, l’attente d’un
grand mouvement social. »
L’expression
« mouvement social », dont la première
occurrence remonte à 1823, possède
une filiation contestataire que les auteurs
resituent dans une histoire politique, syndicale, culturelle, idéologique, religieuse. Foisonnant,
ce livre rassemble une multitude de travaux qui retracent
et analysent la diversité des modes d’action que la France
a connue depuis le début du xixe siècle. Les formes
traditionnelles et marginales, les événements connus et
méconnus, les soulèvements spontanés ou organisés s’y
enchevêtrent, tissant les fils d’un récit fait de discontinuités
et de ruptures. Depuis les grandes grèves syndicales
jusqu’à la multiplication des luttes – des femmes, des
précaires, des chômeurs, des sans-papiers, des immigrés,
des minorités sexuelles, des cités etc. Des dates célèbres
(1848, la Commune, 1936, Mai 68, 1995) se juxtaposent
à d’autres qui gagneraient à être mieux connues. Ainsi,
Michel Pigenet analyse le silence qui entoure le conflit
social d’août 1953, parmi les plus importants de l’histoire
de France, avec à son apogée près de quatre millions
de grévistes : « Faute d’une victoire incontestable, à
chaud, et en dépit des points marqués ultérieurement,
la mobilisation exceptionnelle de l’été 1953 ne sera pas
érigée en événement mémorable. »

La lecture de cet ouvrage offre des analyses instructives
et des angles parfois surprenants, comme le chapitre
consacré aux rites pratiqués dans les années 1820-1848
qui relèvent d’une modernisation du répertoire né dans
un cadre urbain. Emmanuel Fureix, montre comment les
enterrements d’opposition, les banquets protestataires,
les acclamations, sérénades et charivaris politiques ont
« fait advenir, de manière fugace et fragile, des formes
de souveraineté populaire »
. Quant à François Jarrige,
il revient sur le « luddisme », à savoir un refus de la
mécanisation manifesté par la destruction des machines :
« La référence est utilisée pour stigmatiser l’archaïsme
supposé du peuple et son incompréhension à l’égard des
lois de l’économie. »
Voici donc un livre destiné à devenir
un ouvrage de référence.

Histoire des mouvements sociaux en France. De 1814 à nos jours,
de Michel Pigenet et Danielle Tartakowsky (dir.), éd. La Découverte,
810 p., 32 €.

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