Accueil > Société | Par Gildas Le Dem | 3 novembre 2014

Well Well Well, « revue lesbienne et féministe »

Sorti cet automne, le premier numéro de Well Well Well, revue lesbienne, connaît un succès spectaculaire. Retour sur les raisons de sa création, ses visées, ses enjeux politiques et culturels avec sa fondatrice et rédactrice en chef, Marie Kirschen.

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Regards. Pourquoi avoir fondé une nouvelle revue lesbienne ?

Marie Kirschen. Nous avons vraiment créé Well Well Well en raison d’un manque criant de visibilité. Moi-même, j’avais été en charge du site TêtuE, disparu depuis. Et au cours des années 2012-2013 (alors que le débat autour du Mariage pour tous battait son plein !), nous avons vu disparaître tous les magazines spécifiquement lesbiens : la Dixième muse, Lesbia… Si bien qu’en terme de print, il ne restait plus rien, même si des sites comme Yagg ou Barbieturix continuaient d’exister.

Well Well Well se présente comme un mook, ce format hybride entre magazine et livre, c’est presque un objet d’avant-garde…

Je le prends comme un compliment : on pourrait dire en tout cas que c’est un bel objet. L’idée de départ était de concevoir une revue incluant du beau papier, de belles couleurs, excluant toute publicité surtout. Le format du mook nous a, de plus, autorisé à passer outre le côté éphémère du web, à privilégier des formats de papiers au long cours, des enquêtes approfondies d’autre part.

« La culture lesbienne ne se transmet qu’à travers les médias et les livres »

Pourquoi ne pas avoir lancé un site web ?

Le format du web ne pouvait tout à fait nous convenir. Les internautes tendent à cliquer sur des papiers, des interviewes de personnalités déjà connues. Une revue oblige le lecteur à parcourir l’ensemble du contenu, à s’arrêter sur des problèmes, des figures qui lui sont peu familières. Or, contrairement à la culture noire par exemple, la culture gay et lesbienne ne se transmet pas au travers de traditions familiales, encore moins à l’école. Elle n’existe qu’à travers les médias et les livres qui circulent entre gays et lesbiennes. Et c’est encore plus vrai de la culture lesbienne. Moi-même, lorsqu’adolescente j’ai tenté de m’informer, je n’avais à ma disposition que les médias gays, si bien que je connaissais mieux Oscar Wilde ou Marcel Proust que l’histoire féministe ou lesbienne ! Par exemple, avec des pages consacrées à Audre Lorde, nous avons voulu faire revivre la mémoire d’une penseuse, d’une poétesse afro-américaine, dont le travail devrait être un point de départ pour tous ceux qui, aujourd’hui, s’interrogent sur les rapports entre race, classe et genre.

Le féminisme est très présent dans Well Well Well

Notre premier point d’accord a en effet été de nous revendiquer comme une revue lesbienne et féministe (même si, bien sûr, diverses approches du féminisme coexistent au sein de la revue). Et justement, nous avons également voulu être attentives, en consacrant des pages à Audre Lorde, à ne pas faire un magazine n’évoquant que des lesbiennes ou des femmes blanches. Nous aurions pu nous en tenir à mettre en avant Céline Sciamma ou Virginie Despentes, mais cette exclusion des femmes de couleur nous semblait intolérable. Nous cherchons également à établir des ponts entre la culture trans et lesbienne : nous expliquons notamment comment les trans lesbiennes peuvent faire l’objet d’un rejet ou d’une exotisation au sein même de la communauté lesbienne (comme, du reste, les femmes bi).

« Offrir des armes théoriques, historiques, culturelles »

Votre revue vise-t-elle aussi d’autres publics ?

Well Well Well s’adresse évidemment aussi aux femmes hétérosexuelles, ou aux hommes gays. Une de nos grandes fiertés a été de recevoir les félicitations d’une journaliste hétérosexuelle. Pour la première fois, en lisant notre dossier sur les rapports entre trans et lesbiennes, elle disait avoir avait concrètement saisi la différence entre trans et lesbiennes, c’est-à-dire entre identité de genre et orientation sexuelle – qui sont évidemment tout à fait distinctes, même s’il existe des trans lesbiennes. Si les lesbiennes connaissent encore mal leur propre histoire, leur propre culture, leur propre diversité, il est évident que les hétérosexuels connaissent encore moins cette histoire et cette culture spécifiques. Nous ne pouvons donc que nous réjouir qu’ils la découvrent, ou la redécouvrent avec nous ! Il est évident, en ce sens, que la revue a une visée politique, même si nous regrettons que la presse dite "militante" soit souvent déconsidérée. Simplement, Well Well Well vise à offrir des armes théoriques, historiques, culturelles, pour toutes celles et ceux qui voudront bien s’en emparer.

Y compris les gays et les hommes en général, qui négligent souvent les thématiques féministes et lesbiennes ?

Dans ce numéro, nous nous interrogeons évidemment sur tous les préjugés qui entourent la communauté gay et lesbienne. Une de nos enquêtes montre que la place des lesbiennes dans le tissu associatif LGBT reste tout à fait minorée, même si les choses commencent à évoluer. Les postes de pouvoir ou de porte-parole restent encore, le plus souvent, réservés aux garçons. Il ne faut pas s’imaginer, en effet, que les gays soient spontanément féministes ! Les gays, comme les mouvements ou les partis de gauche, qui restent souvent dominés par des hommes, méconnaissent encore, la plupart du temps, les problématiques féministes et lesbiennes dont ils devraient pourtant se faire les porte voix dans l’espace public.

Avez-vous été surprises par l’ampleur de votre succès ?

Oui, nous avons déjà presque vendu l’ensemble des 3.000 exemplaires. Nous en avons remis quelques-uns en vente ce week-end. Lecteurs de Regards, jetez-vous sur les tous derniers exemplaires !

Well Well Well est une revue semestrielle éditée par l’association AVLPM. Présentation et commandes de numéro sur son site.

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Vos réactions

  • C’est un bouillon de culture, avec mise en perspective. Je l’ai acheté le premier jour et je ne suis pas encore au bout. C’est bon de découvrir petit à petit. Je le fais lire à mes fils, à ma mère, mes copains-copines, je n’ai pas essayé avec mon père qui préfère Aragon ou Irving Yalom, j’y arriverai peut-être un jour.
    Bravo les filles. Et bravo Regards pour cet interview (et plein d’autres choses).

    Faye Denohouet Le 3 novembre 2014 à 14:51
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  • Je milite depuis plus de 20 ans dans le tissu associatif LGBT et les lesbiennes sont en général bien moins engagées dans ces réseaux que les gays. C’est une constatation qu’hélas, j’ai du mal à comprendre. On est heureusement plus nombreuses depuis quelques années mais toujours en minorité. Les femmes paraissent moins revendicatives et moins motivées que les hommes qui bougent beaucoup. L’absence de visibilité lesbienne dans les médias s’en ressent forcément. Il y a un manque de réactivité évident, même sur les réseaux sociaux. Les articles sont par exemple " likés" mais je trouve qu’il y a très peu de commentaires et de débats qui s’engagent sur n’importe quel sujet. Les femmes ont peur des donner leurs avis ? Dommage, il faut pourtant se bouger, s’organiser et se faire entendre beaucoup plus pour faire accepter nos droits sinon...l’exemple de la PMA me semble très parlant...

    Alexandra Le 4 novembre 2014 à 10:41
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  • le ps aime les gens comme vous demandez leur des subventions !!!

    franckysmith Le 4 novembre 2014 à 17:28
       
    • Cher frankysmith, étant donné les conflits très vifs qui opposent aujourd’hui les mouvements et organisations lesbiennes au Parti Socialiste et ses représentants (je vous conseille par exemple de consulter le site du groupe Oui Oui Oui : http://ouiouioui.org/), je crains que votre offre de médiation soit peu réaliste dans le contexte actuel.
      Cordialement,
      Gildas Le Dem

      Le 18 novembre 2014 à 05:22
  •  
  • La libido et la jouissance des LGBT n’intéresse que les LGBT : les français, globalement, n’en ont strictement rien à foutre :
    "Offrir des armes théorique", lit-on dans l’article ! Parce que la sexualité, pour les lesbiennes, est un "combat" ? C’est consternant !

    Stéphane GRANVILLE Le 7 novembre 2014 à 07:09
       
    • Cher Stéphane Granville, je me permettrai tout d’abord de vous faire remarquer (vous l’auriez compris si vous aviez bien voulu lire l’entretien attentivement, sans vous arrêter à quelques mots) que l’homosexualité n’est pas simplement une sexualité, mais également un mode de vie, une culture, et bien sûr aussi un ensemble d’affects. Que ces affects, cette culture, ce mode de vie ont une histoire qui est aussi l’histoire d’une lutte pour la reconnaissance du droit à vivre, faire vivre ces affects et cette culture dans l’espace public. Dès lors, il me semble difficile - une fois dit que l’homosexualité n’est pas simplement une sexualité - de conclure que celle-ci n’intéresse que les personnes LGBT. Elle intéresse d’abord toutes les personnes - LGBT ou non - qui partagent le souci d’un combat pour l’égalité des droits. L’histoire de l’homosexualité, et spécifiquement des lesbiennes, peut également intéresser nombre de femmes - homosexuelles ou hétérosexuelles - puisque, si vous vouliez bien vous renseigner, l’histoire du féminisme, du moins en France, est inséparable de figures comme Monique Wittig, Margaret Stephenson pour ne citer qu’elles, dont le rôle fut pour le moins éminent dans l’émergence du mouvement de libération des femmes (elles furent de celles qui, au mois de mai 1970, déposèrent, sous l’Arc de Triomphe, une gerbe destinée à "plus inconnue que le soldat inconnu, la femme du soldat inconnu" : moment inaugural du féminisme en France, s’il en est !). Ce serait également vrai d’Angela Davis ou d’Audre Lorde aux Etats-Unis, dont vous conviendrez qu’elles furent également de grandes figures des combats pour le droit des femmes et des afro-américains. Enfin, si vous voulez bien considérer que les couple de lesbiennes sont composées de deux femmes (c’est une évidence qu’il faut pourtant toujours rappeler), vous pourrez alors imaginer les difficultés matérielles que ces couples rencontrent dans une période de crise, puisque les femmes, c’est très connu, et a fortiori des couples de femmes, souffrent plus que d’autres de situations précaires, d’inégalité de traitement quant au salaire qui leur est accordé, etc.
      Ces quelques raisons, culturelles, historiques, matérielles, vous permettront je l’espère de reconsidérer votre commentaire pour le moins lapidaire.
      Cordialement,
      Gildas Le Dem.

      Le 18 novembre 2014 à 05:10
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  • Pourquoi ça s’arréte en 2014,vos commentaires ??? J’AIME BEAUCOUP,dommage.

    Inuitegentille Le 14 mars 2016 à 11:49
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  • Bonjour,

    Comptez-vous relancer ce journal ? Quelqu’un a des infos ?

    Sabrina
    http://rencontrelesbienne.org

    Sabrina Le 9 juin 2016 à 17:36
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