« La politique d’austérité est une politique
folle. Il suffit de regarder ce qui se passe
en Grèce, en Espagne et au Portugal. »
Ainsi parle… Marine Le Pen. Peu
présente ces derniers mois, l’excandidate
à l’élection présidentielle
refait surface en enfonçant le clou
sur son nouveau terrain de prédilection
: le social. Et elle y va fort.
La présidente du Front national ne
mâche pas ses mots pour dénoncer
l’accord Medef-CFDT sur la
flexibilisation du travail ou encore
pour mettre en cause les politiques
d’austérité. Elle s’insurge « qu’on
[les dirigeants] vienne toujours au
chevet des patrons du CAC 40 » et
s’en prend au modèle allemand
qu’elle accuse de « dumping social ».
Elle impute la responsabilité de la
dette « aux dirigeants politiques qui,
en 1973, ont obligé l’État Français à
emprunter sur les marchés financiers ».
Et prend la défense des services
publics : « Dans les campagnes, les
Français n’ont plus de police, plus d’hôpitaux
de proximité, plus de maternelles,
plus de collèges, plus d’armée, plus de tribunaux
d’instance, plus de service public,
plus de bureau de poste… »
Ce positionnement lui avait déjà
réussi lors des élections du printemps
dernier. Il semble toujours
bien fonctionner. Marine Le Pen
progresse dans les sondages, gagne
en acceptabilité et serait même devenue
une des femmes politiques
préférées des Français. Témoignage
encore de cette légitimation
toute récente, la question posée
par David Pujadas en préambule
de son émission « Des paroles et
des actes », diffusée le 26 février
dernier sur France 2 : « Le FN est-il
toujours infréquentable ? »
Assurément le FN change de discours
et de tactique. Pas d’idéologie.
Mieux, Marine Le Pen parvient
à élargir le champ de crédibilité
de son parti en développant une
réponse conforme en tout point
aux fondamentaux du mouvement
d’extrême droite. Rajeunie, l’actuelle
direction du Front a compris
qu’avec l’éloignement de la fin de
la Seconde Guerre mondiale et
de la guerre d’Algérie, l’opprobre
qui entourait le FN a perdu de sa
force. Alors que le père savait les
portes du pouvoir à jamais fermées,
le pestiféré de la République s’est attaché à rassembler toutes
les mouvances d’extrême droite
et s’est attelé à un travail culturel
en profondeur. Il n’a jamais été
question pour lui de construire
une crédibilité politique. Même
durant la courte période où un
groupe de députés frontistes siégeait
à l’Assemblée nationale, les
interventions dans l’hémicycle
étaient l’occasion de provoquer
esclandres et scandales.
Radicale différence
C’est avec cela que Marine Le Pen
et ses amis rompent. Ils n’en ont
plus besoin. Les sillons profonds
creusés par le père permettent
de s’en affranchir. Car le ciment
idéologique a pris, aussi bien chez
les militants que chez les électeurs.
Quand Marine Le Pen parle
de préférence nationale ou de
défense de la laïcité, elle n’a pas
besoin d’en rajouter. Tout le
monde la comprend à demi-mot.
Il ne s’agit pas de dissimulation.
Tout au contraire, ses interventions
sont d’une clarté politique
tranchante – autre facteur de son
succès. Elle ne joue pas la technocrate
et ne se cache pas derrière
une quelconque expertise économique.
Elle assume une orientation
politique. Aux journalistes qui lui
font remarquer que ses critiques
de l’« accord sur la sécurisation de
l’emploi » (ANI) sont quasiment les
mêmes, au mot près, que celles de
Jean-Luc Mélenchon, elle répond :
« Ce n’est pas très étonnant. Nous nous
opposons tous les deux, mais avec des solutions
radicalement différentes, à la politique
ultralibérale menée à la demande de
Bruxelles, qui impose la dérégulation du
travail au bénéfice des grands groupes et
du Medef. » Prenant même la peine
de préciser : « Le Medef étant le syndicat de
défense des grands patronats. » (sic) Elle
admet le parallèle sur le constat
mais tranche sur les solutions :
« On ne peut pas lutter contre l’ultralibéralisme
et la mondialisation si on est
pour l’immigration et pour l’Europe.
L’Europe impose une dérégulation totale,
une privatisation totale. Et l’immigration
est utilisée depuis 30 ans pour peser à la
baisse des salaires, c’est-à-dire pour créer
une concurrence au moins-disant social
sur le territoire. » Tout l’oppose donc
à Jean-Luc Mélenchon.
Libéral hier, étatiste aujourd’hui :
le FN est pourtant toujours le
même parti. Son socle idéologique
ne se situe pas là. En la matière,
il lui est loisible de raconter une
chose et son contraire. L’invariant
est ailleurs. Il est dans le
nationalisme et la construction de
boucs émissaires, dans la réponse
autoritaire et la détestation de
l’individualisme. Son nouveau credo : la défense des oubliés. Efficace
: « Il y a des catégories entières de
Français qui vivent une relégation politique,
économique, territoriale et culturelle.
On va toujours au chevet des banlieues
difficiles, il faut arrêter de servir
toujours les mêmes. (…) »
Les cathos-réacs sacrifiés
La perception que le pouvoir est
désormais accessible a bel et bien
changé la donne. Marine Le Pen
jette aux orties quelques oripeaux
trop encombrants. Pour occuper
pleinement l’espace de la critique
sociale, elle est prête à sacrifier la
frange aisée catho. Ils trouveront
refuge chez Copé. Marine, elle,
ouvre les bras. « Qu’on soit juif, musulman,
homo ou hétéro, on est d’abord
Français », déclarait-elle durant la
campagne présidentielle de 2012.
Expliquant à « ceux qui ont mal compris
» que « la préférence nationale,
c’est accorder des avantages en matière
d’emploi et de logement, pas aux blancs,
ni au Français de souche, mais à ceux
qui ont la nationalité française quelle
que soit leur origine ou leur religion ».
Un discours qui se recentre sur les
classes moyennes, « ceux qui gagnent
3 000 ou 4 000 € par foyer et que François
Hollande considère comme riches »,
assène-t-elle goguenarde.
« Sur les fondamentaux, Marine Le
Pen n’a rien changé, analyse Erwan
Le Coeur, politologue, spécialiste
du FN. Elle s’est entouré de conseillers
qui lui ont fait comprendre que si elle
veut conquérir un nouvel électorat, il faut
qu’elle soit non plus dans la répression
mais dans la protection, et pour cela
l’État lui est très utile ». Et d’ajouter :
« Si on regarde par ailleurs ce qui n’a
pas du tout été expurgé du programme du FN, on obtient un mélange d’autoritarisme
et d’étatisme qui fait penser à
une vision du monde proche de celle du
fascisme initial italien. C’était une théorie
qui se disait ni de droite ni de gauche,
qui voulait un État totalitaire qui intervienne
sur la plupart des sujets de la vie
de tous les jours, la place de la famille, la
place de la procréation… » Cet alliage,
on le doit notamment à la nouvelle
garde rapprochée de la présidente,
plus proche des mégrétistes que
des traditionalistes, et qui compte
dans ses rangs un énarque Florian
Philippot, propulsé comme
vice-président du parti. S’il fallait
se convaincre de la fermeté des
convictions ultra-droite de Marine
Le Pen et de ses proches, il suffirait
d’observer les nominations qui
interviennent dans l’appareil frontiste.
Dernière en date, celle d’un
jeune militant ultra-radical imposé au service du groupe des élus régionaux
de Lorraine, nouveau fief
de Philippot. Même les anciens
militants sont écoeurés. Marine Le
Pen et sa bande ne sont vraiment
pas des tendres. S’ils ont interdit
croix gammées et salut nazi, ils
n’en demeurent pas moins proches
des mouvances les plus identitaires.
Ultra-radicaux mais propres sur
eux et bien élevés. Ce sont des politiques
qui ne font plus d’esclandre.
Quand on lui demande si elle est
« une Gianfranco Fini à la française
», la réponse est on ne peut
plus explicite. Elle ne se reconnaît
en aucune façon dans l’action du
leader du parti fasciste italien qui
a dirigé la transformation de son
mouvement dans les années 1990
pour l’intégrer dans le jeu parlementaire
italien. « Il a tout abandonné
et ne pèse plus que 2 %. »
Ce n’est vraiment pas la voie qu’elle
entend suivre. La banalisation
l’effraie autant que son père qui ne
manque pas une occasion de lui
rappeler qu’un FN gentil ne sert à
rien. Elle travaille à résoudre cette
équation : ferme sur ses orientations
et rassembleuse dans ses
manières. Son chemin à elle : continuer
d’infuser sa cohérence idéologique,
et mettre le reste de la droite
en demeure de venir sur ses terres.
Prochaine étape : les élections municipales
et européennes.