Ces derniers jours, deux personnalités françaises ont choisi d’accorder à l’humoriste Dieudonné une publicité de grande ampleur. Le ministre de l’Intérieur Manuel Valls en annonçant qu’il étudiait "toutes les voies juridiques" pour interdire ses spectacles à la suite de "propos racistes et antisémites". Le footballeur Nicolas Anelka en célébrant un but inscrit en Angleterre, samedi, par l’exécution d’une "quenelle", le geste popularisé par le comédien.
Inutile de se livrer à une analyse sémantique de cette gestuelle pour déterminer s’il s’agit d’une authentique démonstration d’antisémitisme ou d’une simple expression "anti-système" : elle peut être l’un et l’autre, et prospère avant tout au travers d’une ambigüité parfaitement cultivée, qui en permet un large usage, aussi bien de la part d’authentiques antisémites [1] que de celle de simples adeptes de la provocation ayant une notion plus ou moins précise de sa signification potentielle, mais bien conscients de son caractère transgressif. Ajoutons ceux que la polémique conduit à prendre le parti de Dieudonné, par une forme de sympathie ou d’anticonformisme qui ne vaut pas adhésion à ses idées, mais qui contribue à leur banalisation.
Marque de fabrique
Son inventeur en a bien compris l’efficacité. Il en a fait un redoutable outil de communication qui fonctionne aussi bien sur sa viralité que sur la réprobation qu’il déclenche : le geste prospère avec sa dénonciation, car plus il est dénoncé, plus son pouvoir de provocation s’accroît auprès de ses divers publics. Un bras ou un doigt d’honneur aurait tout aussi bien exprimé le message, si ce dernier était ce qui est prétendu. Mais il fallait que la quenelle soit une marque de fabrique pour l’humoriste, et même une marque commerciale que, selon Le Monde [2], sa compagne a déposée auprès de l’Institut national de la propriété industrielle.
Le piège est parfait, assuré de se refermer sur ceux que Dieudonné, ses propos et sa figure indignent légitimement. Manuel Valls ne fait pas partie de cette catégorie : avec ce qui n’est qu’une déclaration d’intentions [3] et non une action concrète, il choisit délibérément d’accroître une publicité qui fait le jeu de sa cible, et y trouve l’occasion d’une action de communication personnelle lui permettant de se mettre en scène. Tout comme pour son modèle Nicolas Sarkozy, l’efficacité réelle de son action est parfaitement secondaire, de même que le risque d’aggraver le problème. L’essentiel est d’occuper le terrain médiatique, de se mettre à l’affiche. Valls instrumentalise Dieudonné pour son propre profit, comme Dieudonné instrumentalise sa quenelle, c’est-à-dire à la fois ce qu’elle provoque d’indignations convenues [4] et ce qu’elle lui confère d’image de victime de la censure ou de bouc émissaire d’un nébuleux ordre politico-médiatique. Qu’importe si le ministre et l’humoriste desservent les causes qu’ils prétendent défendre : les leurs sont sauves.
Les vaines rébellions d’Anelka
On ne prêtera pas autant de capacité de calcul à Nicolas Anelka, cela excèderait largement ce qui relève plutôt d’un opportunisme réflexe. Le dénominateur commun entre les trois hommes réside seulement dans l’aptitude à saisir une occasion de provocation à but auto-publicitaire. Anelka partage avec Dieudonné la faculté à susciter chez les uns une détestation radicale, chez les autres une adhésion irréfléchie envers leur posture d’insoumission. En l’occurrence, cette dernière est totalement dénuée de sens : jamais le footballeur n’a réussi à poser un discours cohérent sur les vaines rébellions qui ont jalonné sa carrière, se contentant d’opposer aux interrogations un égoïsme phénoménal et une irresponsabilité – au sens d’une incapacité à répondre de ses actes – érigée en mode de vie (lire "Anelka, footballeur offshore"). Afin de sortir de l’anonymat d’une piètre fin de carrière, au sein du onzième et moins prestigieux club de sa carrière (West Bromwich Albion) pour lequel il venait d’inscrire le premier but de la saison, la célébration-quenelle vient à point.
Anelka peut observer d’un œil narquois l’effet produit – forcément supérieur, il faut le souligner, à celui de gestes analogues de la part de sportifs plus consensuels comme Tony Parker ou Teddy Riner. Rompant deux mois de silence sur Twitter, il a déclaré : "Ce geste était juste une spéciale dédicace pour mon ami humoriste Dieudonné." Une façon de tenter d’assurer ses arrières en Angleterre, où les unes des quotidiens de dimanche indiquent qu’il n’a pas mesuré les conséquences de célébration (la Fédération a d’ores et déjà annoncé une enquête), tout en ménageant l’ambigüité de son soutien.
La quenelle, pour une part, délivre un message objectivement détestable qui fait jubiler les antisémites. Pour une autre, elle exprime un total néant politique, une protestation stérile très raccord avec la période actuelle, seulement efficace pour ajouter aux haines et aux tensions sans même ouvrir un semblant de débat, mais qui se nourrira de sa médiatisation. Avec le concours actif de ceux qui veulent soigner leur propre exposition, à cette triste occasion.
ZZZZZzzzzzzzZZZZzzzzzzZZzzzzzzzz... Personnellement, je préfère lorsqu’un article est neutre, impartial, objectif et honnête.
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