SIDA, ne plus considérer les médicaments comme des marchandises

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Alors que l’épidémie du SIDA fait toujours rage dans les pays pauvres, les malades ont encore du mal à accéder aux traitements. Malgré cet état de fait, la production de médicaments génériques reste sans cesse entravée par les lobbies pharmaceutiques qui promeuvent leurs brevets via des accords internationaux. Dans les tranchées d’une guerre de l’ombre. A lire aussi notre dossier spécial « libre », La Révolution commOniste, dans le Regards actuellement en kiosque.

« Les produits pharmaceutiques sont considérés comme des produits commerciaux. Ils tombent sous le coup des règles de la propriété intellectuelle, sans qu’on s’interroge davantage sur les conséquences pour les malades, s’insurge Céline Grillon, chargée du plaidoyer international à Act Up Paris. Il faut arrêter de considérer les médicaments comme des produits du commerce et les envisager comme des biens communs. » Considérer les médicaments comme des biens communs, qu’est-ce à dire? Tout simplement les libérer du joug des brevets qui entravent leur fabrication et leur circulation, autrement dit encourager la production des médicaments génériques. Une bataille rude qui oppose les lobbies de l’industrie pharmaceutique contre les partisans de ce qu’on appelle plus communément aujourd’hui le « libre ».

Or la guerre du libre est souvent une guerre de l’ombre qui se mène dans différents champs, de l’audiovisuel aux médicaments, peu médiatisée (sauf Hadopi) car très technique. Difficile de rendre compte des combats sans se perdre dans les méandres du droit international. Accords de libre échange, ACTA, CETA, TAFTA…Autant d’accords internationaux tortueux qui régissent les droits de propriété intellectuelle. Rien de virtuel au regard des enjeux qui, eux, sont très concrets. Si Act Up figure parmi les organisations en lutte sur le front de la propriété intellectuelle, c’est pour permettre l’accès aux soins des personnes séropositives, et ce à l’échelle mondiale. Oui, les traitements existent, oui les anti-rétroviraux sont une arme efficace, mais malheureusement les pharmacies des pays en développement ne sont pas aussi garnies que celles des pays riches. Et ce, pour cause de brevets, donc de gros sous.

Alors qu’en juillet dernier, le parlement européen rejetait la ratification de l’Accord commercial anti-contrefaçon (ACTA), une victoire gagnée de haute lutte, Barack Obama, Herman Van Rompuy, président du Conseil européen et José Manuel Barroso, président de la Commission européenne lançaient le 13 février 2013 le début des négociations d’un nouvel accord entre l’UE et les USA : le Transatlantique Free Trade Agreement, autrement appelé TAFTA. La guerre du libre est une guerre sans fin et… sans transparence. Car la particularité de ces accords est qu’ils se négocient dans le plus grand secret. Les militants recueillant ça et là les « fuites » pour pouvoir réagir. « Officiellement, TAFTA n’a pas vocation à remplacer ACTA, mais en fait TAFTA est en quelque sorte le spectre d’ACTA, confie Céline Grillon. Le lobby industriel pousse tellement fort, qu’on s’y attendait un peu. On ne sait pas exactement encore de quoi il retourne, mais nous réclamons dores et déjà plus de transparence, et Nicole Bricq, la ministre du Commerce extérieur, semble aller dans notre sens, mais nous restons prudents car l’actuel commissaire européen au commerce, Karel De Gurcht, a fait d’ACTA un échec personnel. Il a la volonté de finir son mandat avec un autre résultat.»

Pour Act Up, la bataille se mène sur le front des génériques, c’est-à-dire la possibilité pour des industries pharmaceutiques des pays du Sud de fabriquer et de commercialiser des médicaments à moindre coût. Et dans le domaine du SIDA, les génériques sont la planche de salut de nombreux malades. 80% des médicaments utilisés pour traiter le VIH dans les pays en développement sont produits en Inde. Or, en ce moment même, la commission européenne fait pression sur l’Inde pour qu’elle accepte de signer un accord de libre échange qui renforcerait les droits de propriété intellectuelle des industries pharmaceutiques des pays du Nord et compromettrait gravement l’accès aux soins des malades séropositifs. En 2012, on comptait 34 millions de personnes vivant avec le VIH contre 33,5 millions en 2010. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient l’épidémie a repris. En Afrique subsaharienne, ce sont près de 69,1% des personnes qui sont atteintes du VIH. « Seules 50% des personnes séropositives vivant dans des pays à revenus faibles ou intermédiaires ont accès à un traitement, déclare la militante d’Act Up. Sans compter que ce n’est pas parce qu’on a eu accès une fois à un traitement qu’on est sous traitement. »

De fait, on ne soigne pas de la même façon un malade au Bénin ou en France. Pour exemple, une des conditions du bon fonctionnement des anti-rétroviraux est l’observance, à savoir le respect des horaires fixes pour la prise du traitement. « Au Bénin, la difficulté de l’accès aux médicaments empêche les malades de suivre une bonne observance, raconte Céline Grillot. Il faut parfois faire des kilomètres pour avoir un traitement et revenir le lendemain parce qu’il y a une rupture de stock, ce n’est pas toujours possible. » Or qui dit mauvaise observance dit à terme traitement inefficace. Dans la pharmacopée des anti-rétroviraux, il existe des médicaments de première, deuxième et troisième ligne. Lorsqu’un traitement 1ère ligne devient inefficace on passe à la catégorie au-dessus. Les médicaments de 1ère ligne étant considérés comme éminemment toxiques, ils ne sont plus distribués en France mais constituent les principaux traitements des pays pauvres, qui en revanche, brevets obligent, n’ont pas accès aux médicaments de 3ème ligne. Donc si on résume, les malades séropositifs des pays du Sud sont plus nombreux, leurs pharmacies sont moins remplies, ils ont accès à des traitements plus toxiques, moins efficaces. Et lorsque ceux-ci ont cessé de faire effet, ils n’ont pas de plan B.
De l’importance de soustraire les médicaments aux règles du commerce et de les envisager comme des biens communs. La bataille du libre doit sortir de l’ombre.

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