Réforme des retraites : désavantager plus les femmes, c’est notre projet !

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Du mal. Et toujours plus d’inégalités. Voilà donc ce que ferait la contre-réforme des retraites aux femmes. Et c’est le gouvernement qui le dit.

En 2017, Emmanuel Macron a proclamé l’égalité entre les femmes et les hommes « grande cause nationale » de son quinquennat. Cinq ans plus tard, on est toujours si loin du compte que le Président a cru bon de récidiver. L’égalité entre les femmes et les hommes est à nouveau proclamée grande cause nationale du quinquennat.

 

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C’est dire si un projet gouvernemental de réforme des retraites qui aggraverait les inégalités femmes/hommes ferait mauvais genre. Et c’est pourquoi, la Première ministre, les ministres et les députés commis à la « pédagogie » de la contre-réforme clament partout que leur projet bénéficiera aux femmes. Avec parfois des couacs retentissants. Et toujours cette prétention insultante et dangereuse de nous faire prendre des vessies pour des lanternes.

La contre-réforme fait mauvais genre

Le couac est venu… du rapport gouvernemental sur les objectifs et les effets du projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale transmis par le gouvernement au Parlement avec le projet de loi proprement dit. Lundi 23 janvier, le journal Les Échos explique : « L’étude d’impact anticipe un relèvement de l’âge de départ lié à la réforme de sept mois en moyenne pour les femmes, contre cinq mois pour les hommes. Les femmes nées en 1972 verront leur âge moyen de départ augmenter de neuf mois en moyenne contre cinq pour les hommes de la même génération. Pour la génération 1980, l’effort est même deux fois plus important, puisqu’elles partiraient huit mois plus tard contre quatre mois pour les hommes ».

Le même jour, le ministre Frank Riester reconnait sur Public Sénat que « les femmes sont un peu pénalisées par le report de l’âge légal ». C’est même la seule phrase compréhensible qu’il prononce sur le sujet.

Depuis, c’est le branle-bas de combat du côté de l’exécutif pour expliquer que pas du tout, qu’on a mal compris et que les femmes seront les bénéficiaires de la contre-réforme. Un vrai festival.

Et puis il y a les défenses Attal et Dussopt… Autant dire qu’on n’aimerait pas les avoir comme avocats !

Avant de reprendre tout ce fatras d’enfumages au service d’une contre-réforme qui aggraverait toutes les inégalités face à la retraite, et notamment les inégalités entre les femmes et les hommes, une précision sur les effets de la réforme en matière de recul de l’âge de départ pour les femmes et pour les hommes. Elle est apportée par l’économiste Michaël Zemmour qui contribue avec persévérance et compétence (ici et ) à clarifier le projet du gouvernement. Pour la génération née en 1972, explique-t-il, on parle d’un décalage de 5 mois pour les hommes et 9 mois pour les femmes. Mais si on enlève les personnes non concernées par le décalage (16% en invalidité/incapacité et 22% qui partent à 67 ans), on est plutôt sur un décalage moyen (ensemble femmes et hommes) de 11 mois. « Je n’ai pas le chiffre spécifique pour les hommes concernés et les femmes concernées, explique -t-il, mais, ils sont sans doute respectivement, en moyenne, proches de 8 mois pour les hommes et 14 mois pour les femmes ».

Illustration avec le cas « concret, tout simple » pris par la journaliste Fanny Guinochet sur LCP : Nathalie et Marc, nés en 1975, ont commencé leur carrière à 23 ans et ont deux enfants. Avec la réforme, Marc continuerait de partir à 66 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Nathalie ne pourrait plus la prendre à 62 ans. Elle devrait la retarder de deux ans (24 mois) pour atteindre le nouvel âge légal de 64 ans.

Cela dit, voyons ce qu’il en est du reste des affirmations ministérielles.

1. « Les femmes continueront à partir plus tôt que les hommes » (Élisabeth Borne)

C’est doublement faux. Comme le rappelle Michaël Zemmour : « Ça fait plusieurs fois que j’entends ou lis « Les femmes continueront à partir plus tôt que les hommes ». Dans quel pays ? Parce qu’en France, en 2020 les femmes partent un peu plus tard que les hommes (et la réforme va renforcer cela) ». Toutes les statistiques le montrent et tous les rapports du COR ou de la DRESS le disent : « Le taux de retraités est plus faible pour les femmes que pour les hommes à tous les âges entre 50 ans et 66 ans. En effet, les hommes partent en général plus tôt à la retraite que les femmes ». Et si le taux des femmes qui liquident leur retraite est plus élevé à 67 ans, c’est parce que les femmes sont plus nombreuses à devoir attendre cet âge pour ne plus avoir de décote. Le Conseil d’Orientation des Retraites prévoit que, globalement, cette différence s’atténuera jusqu’à disparaitre pour la génération née en 1975. Mais, c’est sans la contre-réforme macronienne. Pas avec.

2. « Les femmes seront majoritairement bénéficiaires de la revalorisation des petites pensions ». (Élisabeth Borne, Isabelle Rome, Olivier Dussopt…) Et pour plus de détails : « 38% des femmes partant à la retraite auront une pension plus élevée grâce à la hausse du minimum à 1200 euros. 1 millions de femmes verront leur pension revalorisée » (Isabelle Rome).

L’embrouille gouvernementale est totale. La hausse du minimum à 1200 euros ne figure pas dans le projet de réforme. Ce qui figure, explique à nouveau Michaël Zemmour, c’est une « revalorisation » des plus petites pensions. Mais seulement pour les pensions liquidées à taux plein (sans décote). Et donc rien pour les pensions avec décote. Pour une carrière complète, l’augmentation varierait de 1 euro à 100 euros maximum. Pour les carrières incomplètes ce serait au prorata. Au total, pour les retraités actuels la mesure concernerait un peu plus de 10% des retraités (1,8 million) pour un montant moyen de +63 euros mensuels pour les femmes et +45 euros pour les hommes. Pour les nouveaux retraités par exemple celles et ceux nés en 1962, 16% des hommes gagneraient +25 euros et 29% des femmes +38 euros. Et en plus l’âge pour percevoir la pension serait retardé de 0 ( pour les départs à 67 ans) à 2 ans. Si bien que le total des pensions versées durant ce qui reste à vivre en bonne santé pourrait être le plus souvent inférieur, y compris pour les femmes. Au terme de la réforme, affirme Michaël Zemmour, « on aura toujours environ 25% des retraités avec une pension inférieure à 1200€, environ 40% des femmes et 15% des hommes ».

Ce qui serait juste et qui bénéficierait effectivement aux femmes, ce serait non pas des pièces jaunes pour les petites retraites et maintenir à 67 ans l’âge de liquidation sans décote, mais au minimum de supprimer la décote dès 62 ans pour les petites pensions.

3. « Les femmes sont désavantagées dans leurs retraites parce qu’elles ont de plus petits salaires et des carrières plus hachées. Dans la réforme on prend des mesures pour réduire ces inégalités […] Mais si on veut vraiment supprimer les inégalités (de retraites) femmes/hommes, il faut supprimer les inégalités de carrières professionnelles. Et c’est ce qu’on fait, par exemple, avec le chantier que le gouvernement a ouvert sur le service public de la petite enfance. » (Gabriel Attal)

Il est indiscutable que les femmes ont, plus que les hommes, des carrières incomplètes, des salaires plus faibles, du travail à temps partiel. Ces inégalités ont la vie dure. Elles se réduisent très insuffisamment et ont un impact majeur sur les inégalités femmes/ hommes en matière de retraite. Le système de retraite est redistributif avec des dispositifs comme les pensions de réversion, les minima de pensions, les majorations d’assurances au titre des enfants, les retraites anticipées pour handicaps, incapacité, ou carrières longues, les trimestres pour chômage, maternité… Ces mécanismes contribuent à réduire les inégalités de pensions entre femmes et hommes par rapport aux inégalités de revenus perçus pendant la vie professionnelle.

Mais, explique l’économiste statisticien Patrick Aubert, d’autres mécanismes comme le calcul annualisé et sur les 25 meilleures années ou les conditions d’obtention du taux plein contribuent à dégrader la situation relative des femmes à plus faible pension. Elles retardent l’âge de liquidation de leurs retraites, augmentent la proportion des femmes sans emploi ni retraite en fin de carrière, et dégradent le taux de remplacement de leur pension de droit direct. Elles n’améliorent que la situation des femmes à plus haute pension.

Et au total, la retraite amplifie encore les inégalités de salaires : les salaires des femmes sont inférieurs en moyenne de 22% à ceux des hommes, mais les femmes continuent de partir en retraite avec en moyenne des pensions de droit direct inférieures de 30% à celles des hommes. Et la proportion des femmes ayant des pensions de retraite misérables est plus forte. Fin 2016, 40% des retraitées percevaient une pension de droit direct inférieure à 1000 euros.

La contre-réforme du gouvernement ne va pas réduire mais aggraver ces inégalités, comme l’explique Christiane Marty, ingénieure, féministe, d’Attac. Le recul de l’âge de la retraite « signifiera une prolongation de la situation précaire que vivent de nombreuses personnes – parmi elles, une majorité de femmes – entre la fin de l’emploi et la liquidation de la retraite ». Et une augmentation de leur nombre. L’allongement rapide de la durée de cotisation va lui aussi générer une augmentation des décotes et plus de recul à 67 ans pour ne pas être pénalisé. Et cela concernera davantage les femmes que les hommes.

Bien sûr que, si on veut supprimer les inégalités de retraites femmes/hommes, il faut supprimer les inégalités de carrières professionnelles. Voilà une idée qu’elle est bonne. Elle est même si bonne que le gouvernement devrait commencer par là. Par là et par d’autres choses encore comme la formation et l’emploi des jeunes, l’amélioration de l’emploi des seniors et l’emploi à temps plein pour toutes celles et ceux qui subissent le temps partiel. Et aussi de « rendre le travail soutenable ».

Parce que dans l’immédiat, le système des retraites n’est pas menacé. Et parce qu’au contraire, ce sont ces changements-là qui sont urgents y compris pour équilibrer dans la durée le système des retraites. Par exemple, s’agissant justement de la petite enfance. Partout en France le secteur passe de défaillant à en crise. Il faudrait, non pas un enfumage de belles paroles et de faibles moyens, mais un vrai plan d’urgence. Pour le bien des enfants et pas seulement pour que les femmes puissent travailler davantage.

On l’aura compris, les promoteurs de la contre-réforme prennent vraiment les femmes (et les hommes) pour des imbéciles. À vouloir la défendre à coups de faits quasi-alternatifs, ils sont dangereux pour la démocratie.

 

Bernard Marx

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