Travail du sexe : comment se positionnent les candidats de gauche ?

Travail du sexe comment se positionnent les candidats de gauche

Elles sont des milliers en France à dénoncer la situation « ubuesque » dans laquelle la pénalisation des clients les place. Où en est la gauche sur cette question de la prostitution ?

Un film remarquable sort en salle le 8 décembre : « Une femme du monde » de Cécile Ducrocq. L’histoire d’une femme « fière d’être pute », qui se bat pour ses droits via le syndicat du travail sexuel (STRASS). Comme dans le film, elles sont des milliers en France à dénoncer la situation « ubuesque » dans laquelle la pénalisation des clients les place. Plus vulnérables depuis cette loi, ces femmes libres veulent être reconnues pour leur travail. Où en est la gauche sur la question de la prostitution ? Nous avons posé la question aux candidats de gauche.

Il y a des sujets porteurs en campagne présidentielle. Aucun problème pour parler immigration cette année encore, ou bien sécurité. Difficile en revanche d’entendre les propositions sur certains sujets, celui du travail du sexe par exemple. Il ne s’agit pourtant pas d’un thème de niche, il concernerait 40.000 personnes en France.

Nous avons contacté les équipes des candidats de gauche pour connaître leur position. Aucun n’a voulu répondre oralement. Chez les Verts, « c’est trop sensible ». On a eu de l’espoir avec la féministe Sandrine Rousseau, mais elle non plus « ne s’exprimera pas ». Au NPA, « ça discute, mais voici un texte d’il y a dix ans ». Un peu mieux chez Nathalie Arthaud, qui déterre un article de… 2013. Avant la loi de 2016 donc, celle qui a instauré la pénalisation des clients. Quant aux autres, LFI, PS, PCF, Montebourg, la patate chaude est passée de mains en mains.

La possibilité d’un travail

« La prostitution est un terrain glissant pour les politiques », affirme la sociologue Catherine Deschamps. « Ça cache une ignorance du sujet. Ils sont peu, par exemple, à entendre qu’un tiers des prostituées le font de leur plein gré. À cette question du travail, ils n’apportent aucune réponse ». Pour la plupart des candidats, en effet, la prostitution ne peut être un métier. Dans son article ressorti du placard, Lutte Ouvrière coupait court au débat : « L’immense majorité des prostituées, pour ne pas dire la totalité, le font sous la contrainte ».

« Une femme du monde », le film très documenté de Cécile Ducrocq[[En salle le 8 décembre.]], donne l’exemple contraire. Laure Calamy y incarne une prostituée libre. « Le discours ambiant veut que même si les travailleuses du sexe affirment être consentantes, elles ne le sont pas. Or qui sommes nous pour les contredire ? », interroge la cinéaste. Cybèle L’Espérance partage cet avis. Cette escort et accompagnante sexuelle de Chambéry n’en peut plus de se faire traiter de « colabite » ou « d’aliénée » parce qu’elle demande la dépénalisation des clients. Elle est porte-parole du STRASS (syndicat du travail sexuel) et en tant qu’auto-entrepreneuse (inscrite en catégorie « autre services personnels »), elle s’organise comme elle le souhaite, y trouve son compte même, ou essaie vu les obstacles. « On peut se déclarer mais on ne peut pas avoir de clients, notre entourage peut être accusé de proxénétisme, on ne peut pas se regrouper… Bref, il faut se cacher ».

Cybèle explique être en meilleure santé que lorsqu’elle travaillait à l’usine, et voit son métier comme une « éducation au plaisir ». Un point de vue aux antipodes de la conception victimaire portée par les abolitionnistes, ceux du Nid par exemple. Cette association aide les prostituées à se « libérer du système prostitueur » et les dirige vers le « parcours de sortie » mis en place depuis cinq ans. Celui-ci débouche, si le préfet l’accorde, sur une aide financière de 300 euros. Sacré pactole.

Poutou, Kazib et Jadot, seuls candidats pour la dépénalisation

Dans les pages de Têtu en juin dernier, Yannick Jadot affirmait vouloir une dépénalisation des clients : « Il faut protéger celles et ceux qui ont choisi cette situation, en levant toutes les dispositions qui pénalisent les clients et les prostituées ». Le candidat écolo est le seul sur cette ligne, avec Philippe Poutou. Dans le texte que le NPA nous a envoyé, celui qui date de dix ans, le parti anticapitaliste dénonce « l’hypocrisie de la pénalisation du client, qui ne fait pas disparaître la prostitution mais rend simplement plus difficile les conditions dans lesquelles elle s’exerce ». Pour autant, Poutou s’affirme abolitionniste.

Il y a une brouille dans le vocabulaire à vrai dire. L’abolitionnisme était à l’origine une pensée émancipatrice, prônée par la féministe Joséphine Butler à la fin du 19ème siècle. Il s’agissait d’abolir le contrôle social qu’imposait le réglementarisme et les maisons closes. Si Poutou utilise visiblement le terme dans son sens originel, la plupart l’utilise maintenant dans le sens de prohibitionnismeDans une tribune parue en avril dernier, à l’occasion du cinquième anniversaire de la loi de 2016, des députés socialistes, communistes et insoumis déploraient les faibles sanctions prévues par le texte abolitionniste (prohibitionniste donc), regrettant que la France ne suive pas la politique plus stricte de la Suède, premier pays a avoir pénalisé l’achat de services sexuels en 1999. « Aujourd’hui le client ne risque qu’une amende de 1500 euros pour assouvir des fantasmes avec une personne à l’enfance le plus souvent traumatique ».

« Des relents de puritanisme »

Une position partagée par Anne Hidalgo : « Je donnerai à cette politique les moyens qu’elle nécessite pour l’accompagnement des personnes et la lutte contre les réseaux de proxénétisme. La pénalisation du client sera maintenue, elle est incontournable pour faire évoluer les mentalités ». Même son de cloche du côté des communistes, indignés par l’expression « travailleurs.ses du sexe », ils envoient une réponse lapidaire : « on est abolitionnistes ! »

Jean-Luc Mélenchon l’est « fermement » lui aussi, et nous explique sa raison philosophique : « Le corps n’est pas une marchandise. Quand vous vous êtes vendu comme tel, vous n’êtes plus maître de vous-mêmes ». Une expression « insidieuse », commente Françoise Gil. « Ces femmes ne vendent pas leur corps, elles l’ont toujours ! On revient toujours à la question des réseaux dans ces réponses et on minimise la prostitution libre. On sent dans ces positions des relents de puritanisme, une sacralisation du sexe féminin, ce sexe qui enfante… C’est une vision étroite de la femme ». Le militant d’extrême gauche Anasse Kazib est finalement le plus bavard sur la question, pour lui « c’est surtout le capitalisme qui exploite des millions de gens dans le monde ». En recherche de parrainages pour 2022, ce révolutionnaire estime que la prostitution diminuerait d’elle-même dans une société débarrassée par l’aliénation de l’argent. « Il ne faut pas une pénalisation des clients mais que chacun puisse avoir des papiers, un accès aux soins et à un revenu indexé sur l’inflation ».

Mis à part lui, on ne s’étend donc pas sur la prostitution à gauche. Et malgré nos sollicitations, aucunes nouvelles d’Arnaud Montebourg. L’ancien ministre du Redressement productif ne semble pas se pencher sur la question. Il avouait pourtant en 2013 avoir fréquenté des prostituées lorsqu’il était « jeune fou »« Publiez l’article sans notre réponse », nous dit son entourage. Pour lui comme pour les autres, il reste cinq mois pour sortir du bois.

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