Le confinement est pour beaucoup une épreuve. Cet enfermement individuel mais synchronisé peut être source d’angoisses. C’est un accélérateur de solitude où chacun des contacts avec autrui et l’extérieur passe par la technologie. Téléphone, ordinateur, télévision sont devenus encore un peu plus notre seule fenêtre sur l’extérieur. Le risque est grand que demain, des barreaux y soient dressés. Tracking, surveillance généralisée, nous sommes au bord d’un précipice qui n’a rien d’une révolution virale. Pour autant, le discours de gauche sur les libertés publiques est bien peu actualisé.
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Cette période provoque des comportements individuels qui forcent au repli sur soi et sur sa sphère privée, en réduisant le champs des interactions sociales et en augmentant la segmentation du regard, de plus en plus canalisé par les réseaux sociaux, la télévision et tout ce qui nous concentre sur du déjà vu et du déjà connu. L’épidémie nous fait également déployer des mécanismes de survie, actualisés par les films à scénario catastrophe et de nombreux développement de la pop culture autour de la fin du monde : de l’accumulation compulsive des premiers jours à la fuite de celles et ceux qui le peuvent vers des lieux où passer un confinement plus doux. Nous avons vécu une stigmatisation de l’ensemble de ces comportements qui ont été très vite la cible de reproche gouvernementaux et médiatiques, pour susciter la division entre les confiné.e.s.
Qui croire ?
Dans cette période, les médias et la communication qui font d’ordinaire notre quotidien prennent une place de plus plus grande dans la construction de notre manière de percevoir l’extérieur, tant et si bien que notre rapport à la réalité ne passe plus par les faits, mais par ce qu’on nous dit des faits. Ce monde où l’expérience n’a plus sa place met en scène fake news et hyper communication gouvernementale. Comment vérifier ? Qui croire ? Les quartiers de Marseille et de Seine-Saint-Denis sont-ils les ruches qu’on nous décrit ? La rue Montorgueil est-elle pleine de promeneurs ? Le personnel soignant a-t-il assez de masques et de sur-blouses comme l’affirme le Ministre de la santé ? Nous n’avons plus les moyens de construire un rapport sain et équilibré au réel, nous sommes enfermés dans l’incertitude et dans une lutte des discours anxiogènes.
C’est un monde étrange qui se déploie sous nos yeux dans ce contexte du chacun chez soi. La surveillance et la limitation des déplacements, tout comme l’auto-autorisation de sortie construisent une société policée où chacune et chacun est responsable d’abord devant lui-même de la santé collective, et ensuite devant la loi. La pression morale et politique incombe à l’individu vecteur de l’épidémie, nous sommes toutes et tous appelé.e.s à nous considérer comme des soldats pris dans une guerre avec ses héros, ses planqués, ses victimes.
Les héros d’aujourd’hui l’étaient déjà hier
Ce monde de silence, de masques, de précautions dissimule les oppressions qui se poursuivent : les violences sexistes qui explosent, l’engrenage d’un racisme structurel allant des contrôles de police abusifs à la stigmatisation télévisuelle des quartiers populaires qui ne respecteraient pas le confinement, l’exploitation capitaliste séparant les cadres bien confinés d’un prolétariat exposé à tous les risques pour remplir souvent des missions qui n’ont d’essentiel que le gain économique.
Et puis dehors, il y a le monstre. Cette maladie quasi mythique, hydre au nombre incalculable de têtes, dragon qui terrorise le monde entier, auquel font face les soignant.e.s et toutes celles et tous ceux qui concourent au bien-être collectif. Ils et elles sont les héros et les héroïnes désigné.e.s par les média et les politiques alors qu’hier ils étaient largement ignoré.e.s. Gilets jaunes, grévistes de l’hôpital public, mobilisé.e.s des Ephad, manifestantes et manifestants pour une autre réforme des retraites, toutes et tous ont été méprisé.e.s par le pouvoir qui ne se montre aujourd’hui capable que d’une reconnaissance individualiste par la mobilisation de clichés sur l’héroïsme. Où étaient passée cette reconnaissance quand depuis des mois ces mêmes héros et héroïnes demandaient une revalorisation de leur travail et de la considération qui leur est due ?
Ne pas se contenter de vaines paroles
Alors, il s’agit peut être d’un moment formidable qui permettra à chacune et à chacun de prendre conscience de ce qui nous est essentiel et donc de ce qui devrait nous être commun. Cela pourrait également permettre de mettre en lumière celles et ceux qui prennent soins du collectif. N’oublions pas cependant que des discours similaires ont déjà été tenus au lendemain des attentats de 2015 sur la mobilisation exemplaire du personnel soignant. Soyons sans naïveté, nous n’apprenons pas des crises.
Cette crise sanitaire n’est pas différente de la crise écologique dont nous avons conscience depuis plus de 20 ans. Nous avons pêché par la même non prise en compte du risque, par le même recours au marché pour vaincre la crise, et par la même absence de réaction construite collectivement. Demain, certain.e.s feront la promotion de l’adaptation au risque sanitaire, sans s’attaquer aux causes (mondialisation, faiblesse des structures de santé, défaut de protection sociale dans de nombreux pays), et nous vendrons des solutions inadaptées : régime d’assurances privées, privatisation de la santé pour créer des hôpitaux basé sur des fondations formidables outils de défiscalisation, un nouveau régime d’exception sanitaire permettant la limitation des libertés publiques pour lutter contre la propagation des épidémies.
Entre sidération et solidarité
La bataille qui doit nous animer est de réussir à influer sur la lecture de ce nouveau mythe collectif pour contrer ces plans. L’épidémie ne fait aujourd’hui qu’exacerber les traits de l’individualisme contemporain et de la société qui l’accompagne. Il pourrait demain servir l’expansion d’un néolibéralisme encore plus prédateur et s’accordant à merveille d’une société de contrôle, ayant mis la technologie au service d’une surveillance généralisée. L’extrême droite européenne ne s’y est pas trompée, de Salvini à Le Pen, elle a déjà tracé les lignes du monde d’après, mise au pas de l’Union européenne comme outil des nationalismes européens, fermeture des frontières, stigmatisation des étrangers et des populations issues de l’immigration.
Nous nous trouvons dans cette tension entre la sidération et la solidarité, entre de nouveaux moyens pour l’hôpital public et la généralisation du tracking (technique qui vise à suivre les déplacements des citoyen.ne.s par leur téléphone portable), entre les applaudissements aux fenêtres les soirs à 20h et la loi d’urgence sanitaire qui vient porter un coup sans précédent au droit du travail.
Le monde d’après ne va pas de soi
Cette épidémie ne nous débarrassera pas du capitalisme, le monde d’après ne va pas de soi. Construire un monde plus juste qui soit libéré des oppressions où l’humain serait au centre de l’attention passera par la bataille du récit et de l’unité dans le combat émancipateur. Il ne s’agit pas seulement que séparément chaque chapelle de gauche intègre dans son logiciel la question du soin. Comme pour la lutte contre le péril écologique, les intérêts capitalistes liés à la mondialisation et le rapport de force trop déséquilibré doit conduire à un combat commun.
Cette crise et le mythe qui l’accompagne pourraient nous mettre face à un précipice immense si la gauche ne se lance pas dans cette bataille. Déconstruire, inventer, rassembler doivent être les maîtres mots de la période à venir. En effet, si celles et ceux qui croient au progrès et à la possibilité d’un monde construit sur de nouvelles bases n’œuvrent pas ensemble, nous nous exposons au déploiement d’une stratégie du choc, glaçante et implacable, emportant droit du travail, mécanismes de solidarités et libertés publiques.
Hadrien Bortot
Ce récit est légendaire et la bataille dont il est l’enjeu un combat d’arrière-garde. Le Parti communiste, qui veut la livrer, compte sur le malheur universel pour se refaire une santé. C’est une illusion. Rien dans la crise présente n’appelle, pour trouver une issue, à changer de régime politique et à s’engager sur la voie du socialisme.
Nous devrons probablement repenser le rôle de l’État. Pour autant celui-ci ne cessera pas d’être une démocratie et son régime parlementaire. Tous les partis politiques contribueront à cette réflexion, ceux de droite comme ceux de gauche, sans qu’aucun d’eux ne perde son titre à y participer. Chacun y apportera sa part, le PCF la sienne, parmi celles de ses rivaux, celles de ses adversaires.
Mais, forcé de reconnaître de droit ce voisinage concurrentiel, il ne pourra prétendre à aucun monopole. C’est pourtant là la condition minimale que réclame le socialisme pour simplement exister, à moins de changer le sens du mot pour le salut du discours et la survie du parti qui se prévalait de la chose.
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