Gilets jaunes : des ronds ? Point ! Cette question répétée en boucle et cette réponse, d’un autre temps, résumeraient-elles ce qui se joue chaque jour aux quatre coins du pays et se montre sur les écrans des télévisions familiales : des feux (de joie ?) et des gilets (jaunes !).
Il y a quelque temps, Télérama titrait son enquête sur les périphéries contemporaines : "La France moche" ; celle des ronds-points, des supermarchés et des lotissements pavillonnaires. C’est elle qui se retrouve sur le seul espace public de ces non-lieux ou devant les supermarchés, temples de la consommation.
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par Clémentine Autain
Le choix du tout routier et du règne organisé des grandes surfaces met en péril les commerces et les emplois du réseau de villes de cette France, que l’on dit profonde, et la prive de ses services publics de proximité.
Pour être citoyen, il faut acheter. Un nouveau système censitaire se met en place, celui de la démocratie marchande.
Bien au-delà du prix de l’essence ou du gazole, c’est la première chose à entendre : nous sommes, nous sommes las, nous sommes là ! Je reste étonné, au-delà de l’entêtement bougon quelquefois exprimé sur les barrages, de la lucidité de beaucoup et de ce que disent les représentants auto-désignés et aussitôt décriés des gilets jaunes, se jouant des pièges que leur tendent les roués qui les interrogent comme ceux qui les surplombent des hauteurs du gouvernement de la France.
On ne peut laisser cette pétition dans l’indicible. Soyons politiques avec les gilets jaunes.
Mais, par moment, comme dans une partie de cartes, que l’on observerait à l’insu des joueurs, on a envie de crier – comme les enfants au guignol – que veut dire la légitimité d’une assemblée issue d’un scrutin majoritaire : un zest de démocratie ? Un pauvre reste d’expression populaire.
Ce mouvement ambigu, cette jacquerie qui d’évidence attire aussi les Dupont-la-joie, toutes sortes de provocateurs, toutes sortes d’incendiaires et aussi de pilleurs, il faut les politiser.
Pour répondre au peuple qui s’affirme tout en cherchant ce qu’il pourrait être, il est aussi nécessaire de repolitiser des partis hors sol et sans mémoire.
Politiser ce moment, c’est y participer, sinon cela voudrait dire que le vulgum pécus n’aurait d’autre porte-voix que le Rassemblement national. De cette émotion peut surgir un homme providentiel et les grenouilles choisir leur roi : ein volk, ein reich, ein führer. On ne peut laisser cette pétition dans l’indicible. Soyons politiques avec les gilets jaunes. Comment passer d’une colère sans politique à une politique dépassant la colère ? La politique est une invention et non une évidence. Mais certains, d’évidence, l’apprennent plus vite que d’autres.
Paul Chemetov,
architecte, urbaniste
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De cette émotion peut surgir un homme providentiel et les grenouilles choisir leur roi : ein volk, ein reich, ein führer
ça pourrait être du Macron tout craché, vous vous en rendez compte ou pas ?
Maintenant, sur le fond et l’idée qu’il faut soutenir les gilets jaunes, cet appel va tout à fait dans le sens de rappeler à tous que cette mobilisation populaire collective et massive fait se croiser des gens, qui se parlent et s’inspirent mutuellement des questionnements à même d’aboutir à une prise de conscience politique... Le mouvement des gilets jaunes reste un mouvement "inclusif" qui ne rejette que les ambitions de récupération, et certainement pas les militants eux-mêmes à condition qu’ils ne soient pas en "mission commandée".
Mais sur la forme, celui-ci donne moins l’impression d’inciter à l’accompagnement de ce mouvement, que de vouloir en prendre la tête... Et parfois, cela frise le mépris, notamment lorsqu’on lit ce qui sonne comme le devoir d’apporter la bonne parole aux sauvages :
Ce mouvement ambigu, cette jacquerie qui d’évidence attire aussi les Dupont-la-joie, toutes sortes de provocateurs, toutes sortes d’incendiaires et aussi de pilleurs, il faut le politiser .
De fait, il interroge moins l’état d’une république qui a installé la défiance des citoyens à l’égard de la parole politique comme la seule conduite à tenir, que d’affirmer la nécessité pour le mouvement des gilets jaunes de se ranger sous l’autorité d’une de ses figures institutionnels les plus emblématiques qu’est le parti politique... C’est triste.
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