« M. Foulon a été pendu hier par arrêt du peuple. » [1] Depuis que j’ai lu cette phrase, elle me fascine. Elle apparaît au bas d’une lettre de Maximilien Robespierre à son ami Buissart datée du 23 juillet 1789, dans laquelle il raconte la Révolution qui a déjà « fait voir en peu de jours les plus grands événements que l’histoire des hommes puisse présenter ». Contrairement à ce qu’on lit partout, Robespierre n’avait nullement pêché dans les livres une vision naïvement idéalisé du peuple. Dans un Discours sur les peines infamantes composé en 1784, il dénonce, au contraire, l’abjection dans laquelle l’ont plongé les préjugés : « Voyez comme le peuple se méprise lui-même à proportion du mépris qu’on a pour lui » [2]. Je crois que c’est le 17 juillet 1789, quand les Parisiens escortèrent le roi à Paris qu’il a découvert le peuple comme acteur de l’histoire.
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« Il est impossible d’imaginer un spectacle aussi auguste et aussi sublime. Figurez-vous un Roi au nom duquel on faisait trembler la veille toute la capitale et toute la Nation, traversant [...] une armée de citoyens rangés sur trois files [...] parmi lesquels il pouvait reconnaître ses soldats, entendant partout crier vive la Nation, vive la Liberté, cri qui frappait pour la première fois ses oreilles. Si ces grandes idées n’avaient pas été capables d’absorber l’âme toute entière, la seule immensité des citoyens non armés qui semblaient amoncelés de toutes parts, qui couvraient les maisons, les éminences, les arbres mêmes qui se trouvaient sur la route, ces femmes qui décoraient les fenêtres des édifices élevés et superbes et que nous rencontrions sur notre passage [...] ; toutes ces circonstances et une foule d’autres non moins intéressantes auraient suffi pour graver à jamais ce grand événement dans l’imagination et dans le cœur de tous ceux qui en furent les témoins ». [3]
Moi non plus, je n’idéalise pas le peuple. Quand s’est lancé le mouvement des Gilets jaunes, j’ai partagé les craintes qui partout s’exprimaient d’un mouvement d’extrême droite. Mais en écoutant les paroles de ces personnes qui toutes se disent fièrement "le peuple", j’ai été frappé de leur intelligence et de leur générosité. Certes, il y a des exceptions sordides ; mais je crois que le courage politique autant que la fraternité interdisent aujourd’hui de croire que l’exception infirme la règle. Les scrupules théoriques de l’intellectuel seraient ratiocinations de demi-savant qui oublie que l’événement, par nature, déjoue les pronostics : en révolution comme en tout, l’ultime effort de la raison est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la surpasse. Et si je suis choqué parfois par ce peuple qui, il faut l’avouer, ne parle ni ne mange ni ne se meut tout-à-fait comme moi, je dois choisir mon camp. C’est ce que Robespierre a fait face aux violences qui ont émaillé les débuts de la révolution, auxquelles il n’a pas trouvé de place dans sa lettre et qu’il ne mentionne qu’après les salutations d’usage, d’un souffle et sans commentaire.
Olivier Tonneau,
Enseignant-chercheur à l’Université de Cambridge
et membre de la France Insoumise
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