Accueil | Par Farid Benlagha, Thomas Porcher | 7 décembre 2018

Gilets jaunes : une colère qui mérite une réponse collective à gauche

Près d’un mois après le début du mouvement des "gilets jaunes", intellectuels, artistes, politiques, syndicalistes et personnalités de la société civile donnent à Regards leur lecture de ce soulèvement populaire.

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La colère des gilets jaunes était prévisible, elle trouve sa source dans la mise en place depuis plus de vingt ans de politiques économiques profitant à une minorité et fragilisant le plus grand nombre (les classes moyennes et modestes). La promesse des élites faite au peuple n’a pas été tenue, cette colère, si elle n’est pas prise en compte à sa juste mesure, pourrait être dramatique électoralement. La politique libérale, de droite comme de gauche et même des deux réunis, est à bout souffle, il faut une réponse politique à la hauteur et un changement radical du mode de régulation de notre économie.

 

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par Clémentine Autain

 

La liste des promesses non tenues pour la majorité de la population est longue. Il y a d’abord eu celle d’une "mondialisation heureuse" qui devait profiter à tous. Mais le libre-échange n’a en réalité que favorisé les cadres et a mis en concurrence les employés et les ouvriers des différents pays qui assistaient dans le meilleur des cas à la pression à la baisse de leur salaire et dans le pire à la délocalisation de leurs activités vers des pays, parfois européens, où le coût du travail y était plus faible. En France, ces fermetures d’usines ont condamnées des régions entières. Pourtant, aucune politique publique n’a été mise en place pour empêcher ces délocalisations ou pour assurer plus de sécurité à ces perdants de la mondialisation. Bien au contraire, les collectivités territoriales ont fait face à une baisse drastique de leurs dotations, les prestations sociales ont été de plus en plus rabotées, le traitement politique à leur égard de plus en plus méprisant faisant reposer l’ajustement des ces déséquilibres macroéconomiques sur l’individu sommé d’être plus mobile, plus adaptable et en constante formation. Une forme de connivence s’est même installée entre les grandes patrons et les politiques, les uns retardant la fermeture des usines avant les élections, les autres se déplaçant pour promettre monts et merveilles, puis… Rien. Lâchées par l’Etat et jugées trop coûteuses pour leurs entreprises, des millions de vies ont été broyées. Dans l’indifférence générale, des pans entiers de notre industrie ont disparu.

Il y a eu ensuite celle de la déréglementation des marchés financiers qui devait permettre l’investissement et, in fine, l’emploi mais qui a plutôt contribué au développement des produits financiers, les mêmes qui ont provoqué la crise de 2007 aux Etats-Unis dont certaines régions françaises ne se sont toujours pas remises. La finance a également encouragé la gestion actionnariale des entreprises donnant la part belle aux actionnaires, faisant porter encore une fois l’ajustement sur les salariés, justifiant les "lois travail", facilitant les licenciements pour pouvoir ajuster la masse salariale aux aléas de la conjoncture économique et garantir des niveaux de profits constants aux actionnaires.

Enfin, l’Union européenne a été et reste le véhicule d’une politique libérale et austéritaire qui casse le modèle social français c’est à dire l’ensemble des institutions et des législations ayant pour but de protéger les Français contre les aléas de la vie, à savoir la sécurité sociale, le droit du travail, le salaire minimum, les allocations chômage, les aides sociales et l’accès à l’éducation et aux soins.

Les politiques appliquées ces vingt dernières années ont été un véritable rouleau compresseur pour les classes moyennes et pauvres. Les chiffres parlent d’eux mêmes. Selon ATD Quart Monde, entre 2000 et 2014, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (40% du revenu médian) a augmenté de 43,6% en France. A l’autre bout, les plus riches ont vu leur revenu augmenté plus vite que la majorité des français et ont bénéficié, en même temps, de cadeaux fiscaux. Les travaux de Thomas Piketty sur les inégalités montrent qu’entre 1983 et 2015, le revenu moyen des 1% les plus aisés a progressé de 100% contre à peine 25% pour le reste de la population. Et c’est à ces mêmes 1% que Macron a offert une réforme de l’ISF leur permettant d’obtenir quasiment 4 milliards de baisses d’impôts. Il en va de même pour les multinationales qui profitent d’une profusion de niches et d’avantages fiscaux leur permettant d’échapper à l’impôt et amenant à cette situation complètement folle où les PME françaises ont une pression fiscale plus forte que les entreprises du CAC 40. Le chantage au départ des plus riches (individus comme entreprises) a accouché d’un système où les plus modestes (salariés comme entrepreneurs) paient l’impôts, quand les plus fortunés y échappent. Au final, ces cadeaux fiscaux aux plus riches entraînent des manques à gagner en termes de ressources fiscales qui sont compensées par des taxes sur la consommation qui aggravent les inégalités (car elles pèsent plus sur le budget des ménages modestes que sur les aisés) et des coupes sur les dépenses publiques (gel des retraites, des prestations sociales, économies sur les APL, etc.) Pour les classes moyennes et modeste, c’est la triple peine : des salaires compressés par la logique actionnariale et la mondialisation, des impôts qui augmentent sur les biens de consommations et une protection sociale qui diminue.

La réponse à la crise ne peut donc qu’être politique et elle doit se faire sur un programme de changement radical.

Les conséquences de ces politiques sont là, présentes dans notre vie de tous les jours : les fins de mois difficiles, les prestations sociales et les retraites au rabais, le manque d’infrastructures de transports, le manque de moyens et de personnels dont se plaignent les pompiers, le corps médical et l’éducation nationale. Le programme de Macron propose d’aller encore plus loin dans cette logique. Les solutions proposés par le gouvernement pour sortir de cette crise comme le moratoire sur les taxes est ridicule car outre le fait qu’il ne permet en rien d’améliorer la situation actuelle des français (il s’engage juste à ne pas la dégrader plus dans les 6 mois), il ne s’attaque pas au cœur du problème : les dérives du capitalisme libéral.

La réponse à la crise ne peut donc qu’être politique et elle doit se faire sur un programme de changement radical. Il faut en finir avec le capitalisme de Thatcher-Reagan et proposer un nouveau mode de régulation de l’économie qui soit plus égalitaire et plus écologiste. Toutes les forces de gauche doivent s’allier sur un programme ferme de rupture à gauche, prendre le pouvoir et casser cette spirale destructrice. Si elle n’est pas à la hauteur, d’autres forces s’empareront de cette colère.

 

Thomas Porcher,
économiste

Farid Benlagha,
producteur

 

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