Au lendemain de ces élections municipales et européennes, le constat qu’un parti d’extrême droite puisse attirer un électeur sur quatre et soit considéré comme une alternative légitime sur l’éventail politique, nous alerte terriblement. Le séisme électoral provoqué par l’emprise plus si nouvelle du Front National dans l’espace politique français est le témoin certain d’une déchirure profonde du concept même de vivre-ensemble, tout cela dans l’indifférence apathique d’un triste nombre d’abstentionnistes qui observent, avec morgue, une société dériver lentement et de façon insidieuse vers l’individualisme sans compromission, vers la peur de l’étranger, vers l’intolérance envers la différence, vers la laideur la plus abjecte.
Alors, au moment où l’on en est encore à colmater les brèches dans une urgence qui fait penser de plus en plus au long naufrage de la Méduse, au moment où chacun se renvoie la balle de la responsabilité dans un semblant de débat démocratique, au moment où la sclérose de la sphère politicienne commence à approcher de sa phase la plus aigüe, il est temps de trouver une nouvelle force pour jeter les bases d’un nouveau paradigme sociétal.
Et tout cela commence par la lutte contre l’indifférence : ce sentiment d’impuissance aussi bien à l’échelle du citoyen qu’à l’échelle de la classe politique, irrigue l’ensemble des catégories sociales, conditionne la psyché collective, gagne les rangs de la jeunesse, les rangs des syndicats, les rangs de toutes les forces vives qui devraient, au contraire, rappeler toutes les vérités, les plus naïves comme les plus fondamentales. Un sentiment de "trop tard" et de "trop dur" pourtant infondé nous étreint et nous fait accepter le naufrage lent et incertain de nos idéaux, jusqu’à un oubli nonchalant, une acceptation de l’inacceptable, une banalisation de certaines paroles et de certains actes, une perte d’importance progressive, une désinvolture.
Sans aucunement jeter l’opprobre sur ceux qui nous dirigent et qui occupent tout l’espace politico-médiatique, en les accusant, à tort, nous en sommes certains, de ne pas vouloir œuvrer dans le sens de l’intérêt général, il faut, au contraire, chercher l’origine de leur mollesse d’actions et d’idées dans leur absence, sinon dans leur peur, d’assumer réellement les missions qui leur incombent. Une des réponses aurait pu être la jeunesse… Las, certains constatent avec tristesse qu’elle a perdu sa vocation historique contestataire, si tant est qu’elle ne l’ait jamais eue, sa capacité à renverser les paradigmes sociaux, cette folie et cette grâce qui font pourtant son charme et sa force, qu’elle a laissé s’abimer son indignation fraiche et spontanée pourtant si cruciale pour l’équilibre d’un peuple.
Aller jusqu’à penser qu’elle a perdu sa force serait, à notre sens, grande négligence. D’abord car il existe – et nous sommes certains qu’il existera toujours – une fraction d’irréductibles, prête à tout pour faire valoir des droits, des valeurs dont elle s’est candidement mais fermement emparée : si elle ne se manifeste pas, c’est que la puissance de l’autre partie de la jeunesse l’ensommeille. Ainsi, pour qu’elle se mette en ébullition, nous voulons croire qu’il faut l’intéresser, lui parler franchement et lui donner l’élan initial nécessaire pour que, de manière inertielle, elle poursuive son chemin, non pas persuadée par telle ou telle autre idée, mais convaincue qu’il faut qu’elle s’en forge une, personnelle. En tous les cas, ce n’est pas en lui murmurant poussivement des propos abscons, en lesquels même les spécialistes ont parfois du mal à discerner le véritable projet du propos mensonger, qu’on en motivera le réveil. Mais qui sait ? La honte héninoise sera peut-être ce détonateur.
Car aujourd’hui, nous sommes conscients de la force de notre âge, de cette liberté de n’appartenir à aucun système, de n’être lié par aucun accord à quelques institutions, d’être dénué d’intérêts et de contraintes. Nous sommes conscients que c’est à nous de crier à l’urgence le plus fort quand la société brule, de proclamer des vérités bafouées et oubliées, d’appeler à la rescousse, d’être fermes et inflexibles, et que c’est à nous d’exiger. Comment d’ailleurs se taire encore ?
Las, on nous dit le politique inféodé aux grands acteurs de l’économie de marché…ennemi invisible, aux contours flous, qui est comme un point de non-retour dans le débat d’idées. Mais il ne tient à qu’à nous, garants suprêmes du vivre-ensemble, de renverser ce rapport faussé de pouvoir et, non pas en invoquant un compromis qui n’a pas lieu d’être mais bien sur les fondements de notre légitimité démocratique, de trouver les voies et moyens pour établir une relation saine mais forte entre nous tous. Ainsi, la crise économique qui perdure depuis 2008 et derrière laquelle le gouvernement actuel se cache pour ralentir à l’extrême le mouvement des réformes structurelles pourtant nécessaires qu’il souhaitait engager, ne saurait être un argument assez solide pour justifier toutes les reculades auxquelles on assiste depuis vingt mois. Témoin d’une économie malade du fait de l’architecture même de son système, cette crise devrait au contraire être l’occasion d’aller puiser dans le stock infini de l’inventivité humaine les réponses nouvelles que pourrait apporter la France dans le monde contemporain.
Aujourd’hui, la France a besoin de grands mots, de grandes idées, d’idées qui la transcendent et qui lui permettent de vivre en harmonie avec elle-même. Dans la femme et dans l’homme politique, il ne devrait y avoir aucune fatalité : le combat pour un monde meilleur, dans tout ce que cette acception peut avoir de naïf et de simpliste, est un combat noble. Et doit être un combat rempli de joie et d’enthousiasme – même si les réalités sont, hélas, parfois d’une dureté au-delà du soutenable. Aujourd’hui, la France a besoin de croire que l’école de la République est un pilier du vivre-ensemble, que nos valeurs les plus chères sont défendues au sein et par delà nos frontières, que nos richesses sont pleinement et justement exploitées et que l’égalité entre les individus n’est pas un vain mot. Aujourd’hui, la France a besoin de mettre en place des politiques publiques nouvelles pour permettre aux Français de s’imaginer d’une façon nouvelle : les réformes sont multiples et doivent se faire tous azimuts, dans la réflexion, l’intelligence et la vitesse qui incombent à leur urgence.
La gauche au pouvoir ne semble pas en mesure de se réinventer, de ré-enchanter l’action politique, elle qui patauge, semi-moribonde, dans des idéologies contradictoires, et qui s’englue au rythme de son indécision, faisant fi de l’urgence sociale, de l’urgence esthétique et poétique mais aussi de l’urgence de sa survie. Une gauche dans le moule confortable et vaseux de la social-démocratie à la française, qui a perdu son courage historique et qui ne s’adresse plus au peuple que dans le jargon lénifiant des technocrates. Ce n’est pas les armes qui lui manquent, ce ne sont pas les projets, ce ne sont même pas les idées qui fourmillent pourtant en secret chez beaucoup, c’est plus l’audace et l’ambition, ces folies qui emportent les peuples, ce pari éternel d’un monde réellement meilleur, ce pari visionnaire sur le poétique, sur la beauté, sur les formes invisibles qui sont dans le réel. Cette audace, qui est l’apanage de la jeunesse, est à réinventer, à réveiller, à ré-enchanter.
Evidemment, les Français ne sont pas les seuls acteurs de leur destin. Dans l’Europe qui ne cesse de se construire plus avant, dans la mondialisation galopante qui intensifie à grande vitesse tous les échanges et tous les réseaux de part le monde, il ne faut plus réfléchir seul, ni même à plusieurs : il faut réfléchir à tous. Le défi est d’autant plus important que la voix de la France est encore de celle que l’on peut entendre, certes de plus en plus faiblement, dans le concert tonitruant des nations, des entreprises, des hommes et des femmes. Mais qu’importe la puissance du porte-voix : si le message est juste, il saura être entendu.
Alors agissons, réfléchissons et parlons. Entre nous et entre tous. Le débat démocratique ne doit pas s’arrêter aux frontières des statuts et des positions : il doit irriguer toute la société pour aider à produire l’armature nouvelle d’une pensée politique et poétique nouvelle. En un mot comme en cent, il faut donner envie à chacun d’être responsable de tous car cette envie est la clef de voûte du vivre-ensemble.
Et pour ça, mesdames et messieurs les politiques, réinventez la jeunesse de vos idées, la puissance de vos mots, l’impériosité de vos actions. Et vite, le monde brûle.
Alors on arrête de se triturer et on y va ?
http://www.nouveau-depart-fdg.org/appel.html
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